D'Élise Fontenaille-N’Diaye. Calmann-Lévy, 2015, 17 euros.
En 1926, le rapport officiel du premier massacre de masse du 20e siècle a été détruit par l’Angleterre parce que l’Allemagne menaçait de révéler les crimes coloniaux des autres pays, si on s’attardait sur les siens.
C’est à partir de ce fameux Blue Book retrouvé que l’auteur a construit son livre : ni roman ni œuvre d’historien, mais une histoire sidérante. Dans le Sud-Ouest africain, la Namibie actuelle, les Héréros et les Namas, peuples d’éleveurs, convoitent et se partagent les pâturages et les sources. Par le biais d’un envoyé du IIe Reich sans scrupule, les terres deviennent propriété allemande. Dans ce qui devient le nouveau Far West pour l’Allemagne, les colons commettent des actions tolérées : pendaisons des ouvriers, viols des jeunes filles, pillage des tombes pour y voler des crânes : une activité lucrative au service des théoriciens de l’inégalité des races.Des noms, bien connus, sont croisés : Heinrich Ernst Göring, premier gouverneur de la colonie et père du bourreau nazi, Eugen Fischer, médecin et anthropologue dont les travaux inspireront Hitler.
En 1904, les Namas se révoltent. Ils seront massacrés. 15 000 soldats avec canons et fusils mitrailleurs débarquent d’Allemagne. Le général Von Trotha, dit le « Requin », signe l’ordre d’extermination des peuples Namas et Héréros. Ils sont poursuivis jusqu’au désert du Kalahari où les sources ont été empoisonnées : les assoifféEs, hommes, femmes, enfants, sont achevés à la baïonnette. Les survivantEs seront enfermés dans la presqu’île de Shark, transformée en camp de concentration, de travail et de bagne sexuel pour les femmes. Dans ce massacre qui dura quatre ans, les deux ethnies périrent : 65 000, soit trois quarts des Héréros, et près de 20 000, soit la moitié des Namas.
« Je considère comme mon devoir d’écrivain de rendre la parole à ceux qui ne l’ont pas ou plus », dit Élise Fontenaille-N’Diaye. Et c’est bien ce qu’elle fait en faisant revivre l’héroïque et fin lettré, chef des Namas, Hendrik Witbooi et en décrivant avec sensibilité une réalité et une mémoire difficiles à révéler.
Christine Schneider