De Volker Braun. Éditions Métailié, 2014, 22 euros.
Contremaître renommé dans les mines de lignite qui, depuis la chute du mur, ferment les unes après les autres en Basse-Lusace (1), Flick (2), frisant la soixantaine, est finalement viré. À l’agence pour l’emploi où il agresse régulièrement sa conseillère, on ne lui propose que des « mini-jobs » et surtout de se calmer. Car cet homme à tout faire ne supporte pas de rester sans rien faire et, flanqué de son casque rouge, de ses mousquetons, de sa corne d’appel et de son petit-fils Ludwig, dit le Jobard, décide de se lancer sur les routes d’Europe à la recherche de ce travail qui se dérobe.
La lecture de cette fable subversive sur la destruction d’un monde du travail est « interdite aux mineurs et d’une utilité limitée pour les vieux au bout du rouleau », car les jeunes déserteraient les écoles s’ils apprenaient que « le plein emploi, c’était fini, (…) il allait falloir passer son temps autrement ». Dans ce véritable roman picaresque, notre Don Quichotte et son Sancho Pança de petit-fils se livrent à un tour de l’Europe du chômage, Flick, stakhanoviste inadapté à ce travail en miettes, devenant cueilleur de fraises, gardien d’œuvres d’art, tronçonneur municipal, affrontant de véritables moulins à vent (ici des éoliennes !), provoquant catastrophe sur catastrophe, mais surtout observant incrédule ce « mécanisme qui s’était transformé en un méga bulldozer, arrachant toutes les barrières et parcourant les continents sur le plan incliné des écarts de salaires ».
Le mélange exagéré des styles traduit la collusion de mondes qui n’ont plus rien à voir, le grand chambardement de la classe ouvrière auquel nous assistons impuissants… pour le moment car « Peut-être faudra-t-il encore une fois épeler l’Humanité, lettre par lettre, et le nouveau début de l’Histoire aura comme titre : c’est pour le dernier homme qu’il faut faire le monde. […] Le vrai travail n’a pas encore commencé, il coupera le souffle de cette société. »
Neïla
1 – Région industrielle de l’ex-RDA aux confins de la Pologne où règne l’un des plus forts taux de chômage allemand.2 – Sans doute une allusion à Friedrich Flick, propriétaire d’usines d’armement sous le 3e Reich, condamné en 1947, devenu ensuite actionnaire majoritaire de Daimler-Chrysler et l’une des plus grandes fortunes de la République fédérale...