De Brigitte Giraud. Flammarion, 250 pages, 19 euros.
1960. Antoine et Lila ont un peu plus de vingt ans. Ils se sont mariés 18 mois plus tôt. Ils vivent et travaillent dans la banlieue de Lyon. Dispensé tout d’abord de service militaire, Antoine est finalement appelé au mois de mars.
Mais Lila est enceinte… Formé comme infirmier à Bar-le-Duc, Antoine sera envoyé en Algérie et affecté à Mers-el-Kébir… où naîtra Cécile, car Lila est venue le rejoindre entre-temps.
Les choses ont pu se passer ainsi
Brigitte Giraud aussi est née à Mers-el-Kébir à l’automne 1960. D’un père appelé, infirmier, et d’une mère venue le rejoindre. Lors d’une rencontre avec les lecteurs, l’auteure explique que « ce livre a été comme une nécessité venant après tous les autres ». Ce roman des origines s’est imposé pour surmonter l’obstacle des « phrases-écrans » qu’elle avait entendues mille fois dans la bouche de ses parents : « Il faisait toujours beau » ; « Je n’ai jamais porté d’arme ».
Nous n’avons pas affaire ici au « récit romancé » d’une situation rare (les enfants d’appelés nés en Algérie sont sans doute peu nombreux). On ne trouvera aucune trace de « romance », le style est dépouillé, sans pathos mais jamais sec. Un livre court et plein de vie pourtant… Nous sommes loin du « récit de témoignage ».
Mais il ne s’agit pas non plus d’une auto-fiction. « Pour la première fois, j’étais dans l’incapacité d’utiliser la première personne », confie ainsi l’auteure.
Mais peu nous importe finalement l’étiquette, peu importe qu’on ne soit pas sûr du registre : la réussite et l’effet de vérité sont là. On se dit : « Les choses ont pu se passer ainsi. Et si ce n’est pas ainsi, c’est quelque chose d’approchant ».
Le roman comme « moyen de connaissance »
Le livre se présente en trois parties. Antoine d’abord, qui, très vite, se rendra compte que sa mission d’infirmier à l’hôpital ne le préserve de rien. Et qui se révélera pleinement dans son rôle de soignant. Ensuite Oscar, un « psychiatrique » amputé de la jambe, mutique : avec Antoine, le retour à la parole, peut-être… Entre les deux, Lila, qui sait ce que se décider veut dire, qui habite en ville maintenant. Et, transversalement, les évolutions politiques et militaires de 1960 et 1961…
Puisque la gangue de silence enserre encore les personnes qui ont été engagées directement dans cette guerre qui a tant de mal, même six décennies plus tard, à se dire « guerre d’Algérie », puisque la colonisation reste si largement taboue, le pari est fait ici que la fiction romanesque est un excellent moyen pour faire craquer l’insupportable. Le roman comme « moyen de connaissance », ainsi que l’écrivait Kundera dans l’Art du roman. C’est dans cet esprit que Brigitte Giraud semble avoir travaillé pour nous offrir ce beau livre.
Fernand Beckrich