La Fin de l’histoire, Éditions Métailié, 2017, 17 euros. Un nom de torero, Éditions Métailié, 1994 et Poche Points, 2017, 6,40 euros.
Ces deux romans « noirs » mettent en scène le Chilien Juan Belmonte, ex-guérillero en Bolivie, ex-membre de la garde rapprochée de Salvador Allende (le GAP), ex-membre de la guérilla au Nicaragua, formé dans les académies militaires d’URSS, de RDA et de Cuba.
Belmonte a été un combattant dont le parcours ressemble beaucoup à celui de l’auteur Luis Sepulveda. Grâce à ce personnage fictif, l’auteur peut « raconter ce que l’histoire officielle dissimule ». Sous Pinochet, Belmonte a réussi à échapper aux sbires de la junte chilienne et à s’exfiltrer. Sa compagne, Veronica, l’amour de sa vie, a eu moins de chance. Après avoir été torturée dans les sous-sols de la sinistre villa Grimaldi, elle a été laissée pour morte, nue, sur une décharge de la périphérie de Santiago le jour même où Belmonte entrait en vainqueur à Managua. Elle n’a pas livré le nom de ses camarades, mais reste prostrée dans un état d’hébétude. Les années ont passé, Belmonte survit assez misérablement à Hambourg, où il fait office de videur dans une boîte glauque et envoie de l’argent au Chili pour sa compagne.
Un nom de torero (traduit par François Maspero)
En 1994 (Un nom de torero, Points), Juan Belmonte est contacté par le mystérieux Oskar Kramer, qui se présente comme chargé des enquêtes outre-mer de la Lloyd hanséatique – désignation qui masque des activités, on s’en doute, peu avouables. Il sait tout du passé de Belmonte et, sous la menace du chantage, contraint l’ex-guérillero à reprendre du service. Il s’agit en l’occurrence de retrouver avant l’ex-Stasi un lot de 63 pièces d’or de la collection du « Croissant de lune errant » (hommage du sultan du Maroc à Ibn Batutta en 1357) disparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le trésor se trouverait en Patagonie dissimulé par un ancien soldat de la Wehrmacht. Galinsky, l’ex-Stasi dépêché sur place connaît bien le terrain et avance avec des méthodes très expéditives. Ni héros ni salaud, Juan Belmonte, l’homme qui porte le nom du célèbre torero, ami d’Hemingway, doit réactiver d’anciens réseaux. De Santiago à la Terre de Feu, la course au trésor s’engage. Par le biais des rencontres et des souvenirs, Belmonte/Sepulveda conte la vie d’hommes et de femmes qui ont combattu au Chili ou au Nicaragua et qui doivent composer avec le poids des morts et le peu reluisant présent de la « transition démocratique ». L’enjeu du combat pour Belmonte est l’argent pour faire soigner Veronica tandis que Galinsky rêve de retrouver son rang perdu depuis la chute du Mur.
La fin de l’histoire
Quinze ans plus tard, Juan Belmonte a déposé les armes. Il vit en Patagonie en compagnie d’un ami chilien de Hambourg et de Veronica qui reprend peu à peu ses esprits. Kramer de la Lloyd hanséatique a tenu ses promesses et l’a fait soigner dans la meilleure clinique danoise. Mais comment échapper à son passé et au sang versé ? Kramer et les services secrets de la Russie de Poutine ont à nouveau besoin des services de Belmonte pour prévenir une action qui pourrait nuire aux bonnes relations entre Russie et Chili. Un groupe de cosaques nostalgiques a décidé de libérer le descendant du dernier ataman, Miguel Krassnoff. Petit-fils et fils des cosaques russes qui ont participé à la guerre civile contre l’Armée rouge de Trotski puis à la Seconde Guerre mondiale dans les régiments SS, Krassnoff est devenu général de l’armée de Pinochet, avant d’être emprisonné à Santiago pour sa participation à la répression et à la torture pendant la dictature militaire. Pour mener l’opération, les cosaques ont recruté, contre une petite fortune, deux anciens Chiliens du KGB. Belmonte devra les retrouver. Mais qui manipule qui ? Qui règle ses comptes avec qui pour la « fin de l’histoire » ? De la Russie de Trotski et Babel au Chili de Pinochet, de l’Allemagne de Hitler au Santiago d’aujourd’hui, la Fin de l’histoire traverse le 20e siècle pour venir échouer sur les rivages fracassés du 21e siècle commençant.
Les deux romans peuvent se lire séparément. Pour une meilleure compréhension, il est préférable de commencer par Un nom de torero. Les deux ouvrages sont une mine d’informations sur le courage de l’équipe qui entourait Allende (le GAP), sur la libération du Nicaragua et le rôle peu glorieux joué par Cuba et la RDA pour expulser les guérilleros indésirables ainsi que sur les agissements de l’« Oficina », qui organisa la « transition démocratique » au Chili. On est saisi par les scénarios des romans, la poésie et l’amour qui s’en dégagent.
Comme on ne peut « échapper à l’ombre de ce que nous avons été », un troisième « Belmonte » est en préparation.
Sylvain Chardon