De Michel Pastoureau, Seuil, 2016, 39 euros.
L’historien Michel Pastoureau s’est lancé dans une aventure ambitieuse et originale : faire l’histoire des couleurs. Après des livres consacrés au bleu, au noir puis au vert, est venu le tour du rouge. Rouge, une couleur incontournable pour ce journal.
Il s’agit d’un beau livre, avec une iconographie abondante et une qualité d’impression excellente. À travers cet ouvrage, on retrace l’histoire de l’humanité, puisque l’on commence avec les premières peintures murales des cavernes (celles de la grotte Chauvet ont plus de 30 000 ans) pour arriver au drapeau rouge du mouvement ouvrier...
L’histoire du rouge, c’est aussi l’histoire des techniques. La teinture en particulier, dont les progrès techniques participeront à l’apparition de tissus colorés pour les vêtements, ou pour la peinture.
Durant des millénaires, le rouge a été quasiment la seule couleur à être utilisée. En Égypte près d’un millénaire avant notre ère, le rouge incarne souvent une dimension négative, « c’est non seulement la couleur du désert brûlé par le soleil mais aussi celle des peuples qui y habitent, ou qui en viennent, tous ennemis des Égyptiens : elle est signe de violence de guerre et de destruction ».
Les civilisations chrétiennes donnerons au rouge une nouvelle dimension : celle du sang du christ. Et cela explique la croix rouge des croisés.
Au Moyen Âge, la couleur rouge devient celle du pouvoir. Ainsi les cardinaux se vêtissent entièrement de rouge. À la même période, le rouge signifie aussi l’amour, mais son usage est très codifié. Ainsi, le rouge à lèvre est proscrit : « c’est une abomination qui transforme les femmes en sorcières ou en prostituées ».
Pour les chrétiens, au 13e siècle, lorsque le système des sept péchés capitaux est mis en place, le rouge est lié à l’orgueil, la colère, la luxure et la goinfrerie. L’auteur constate que « la pellette du vice est à forte dominante rouge ».
Lors de la réforme protestante, le rouge est mis à l’écart, car il apparaît comme trop voyant, coûteux. Il est alors considéré comme indécent, immoral, voire dépravé.
Le drapeau rouge
À la fin du 18e siècle, en France, le rouge prend une nouvelle signification. Celle-ci est désormais politique. Et l’auteur de constater l’ampleur du phénomène : « Jamais au cours de l’histoire une couleur n’avait incarné à ce point un courant idéologique, pas même dans la Rome impériale ni dans la Byzance du haut Moyen Âge, lorsque le bleu et le vert emblématisaient des fraction politiques particulièrement agitées. »
Au départ, le drapeau rouge a une fonction d’avertissement : il signifie un danger et servira ensuite à ordonner à la population à se disperser lors des rassemblements. Le 17 juillet 1791, la garde nationale tire sur la population rassemblée sur le Champ-de-Mars. Le drapeau rouge avait été hissé, il deviendra l’emblème du peuple en révolte, sa couleur devenant celle du sang des « martyrs de la révolution ». À ce drapeau s’adjoint aussi le bonnet rouge (bonnet phrygien), symbole de l’affranchissement contre les despotes.
Au 19e siècle, en France, le drapeau rouge réapparaît au rythme des mouvements révolutionnaires (juillet 1830 à Paris, 1831 à Lyon chez les Canuts, La Commune de Paris en 1871…). En 1848, lorsque le roi Louis-Philippe est chassé, il manque de peu de devenir le drapeau national.
À la fin du 19e siècle, il est devenu le symbole des révolutionnaires et des socialistes partout en Europe, devenant celui du 1er Mai après la création de la « fête internationale des travailleurs ». En 1917, il devient le drapeau officiel de l’URSS.
Bref, un ouvrage érudit et foisonnant. L’auteur devrait continuer son aventure avec un livre sur le jaune, ce qui provoque un peu moins d’enthousiasme...
Pierre Baton Rouge