Publié le Vendredi 14 septembre 2018 à 00h37.

Sofia

De Meriem Ben M’Barek. Film franco-qatarien-marocain, 1h25, 2018. 

Meriem Ben M’Barek explique son choix de réaliser un film qui soit projetable au Maroc, car c’est à la population marocaine qu’elle veut s’adresser en priorité. Ce qui explique l’extrême pudeur de la mise en scène, mais qui n’enlève rien à la crudité de la situation, et souligne même la violence sociale qui emprisonne tous les personnages. 

Fracture sociale au Maroc

Pour la réalisatrice, l’objectif est de dénoncer les implications, dans le moindre détail de la vie des individus, de la domination postcoloniale française dans le pays où les inégalités entre riches et pauvres sont les plus fortes d’Afrique. 

Le point de départ de l’histoire est le déni de grossesse de Sofia, jeune femme de 20 ans, qui vit dans une famille relativement aisée, et pourtant galère dans la vie (elle a été licenciée d’un centre d’appel). Elle est prise de douleurs un soir de dîner où ses parents sont en train de boucler une affaire qui va leur permettre d’accéder à un cran supplémentaire de la moyenne bourgeoisie de Casablanca, et découvre alors sa grossesse. C’est le début d’un marathon, réussir à accoucher en milieu hospitalier tout en échappant à la loi qui punit de prison les relations sexuelles hors mariage, répondre aux injonctions de la famille dont l’honneur est bafoué, surtout lorsqu’elle lâche le nom d’un jeune homme issu des quartiers pauvres… S’entremêlent inextricablement les différents niveaux d’oppressions : oppression sociale (mépris des riches pour les pauvres), oppression des femmes (qui n’existent que dans le mariage), oppression politique et policière (avec la corruption généralisée), oppression postcoloniale (fantôme de la France, absente mais omniprésente, à commencer par la langue française, vecteur de la domination de classe).

Une plongée dans une société étouffante et sans perspective, pour légitimer la colère et appeler à la révolte.

Cathy Billard