Publié le Mardi 18 mars 2014 à 07h55.

Sur les luttes des ouvriers chinois

Han Dongfang, avec la collaboration de Michaël Sztanke, « Mon combat pour les ouvriers chinois », Michel Lafon, 2014, 290 pages, 17,95 €.

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Han Dongfang était de passage en France pour la promotion de son livre. Comme il l’a dit lui lui-même, il ne pourra plus être un leader de la lutte dans son pays, mais il œuvre désormais depuis Hong Kong à la progression des droits des ouvriers chinois.

De la révolte…

Ce fils de paysan, ancien cheminot, est une figure du mouvement de la place Tienanmen en 1989, où il avait proclamé la Fédération autonome des travailleurs de Pékin. Il passera 22 mois dans les prisons chinoises et devra ensuite se faire soigner aux Etats-Unis. Empêché de retourner en Chine et interdit de territoire, il vit depuis vingt ans à Hong Kong où il a fondé le China Labour Bulletin1. En 1994, c’était un bulletin bilingue envoyé tel une bouteille à la mer vers les entreprises chinoises. Le doute quant à son efficacité était fort : était-il lu par les ouvriers ? Par la police ?

La création d’une émission sur Radio Free Asia a permis d’agrandir son audience, de créer des liens à distance, mais surtout d’établir un contact direct avec la réalité de la classe ouvrière chinoise. L’utilisation du réseau social Weibo permet également aux ouvriers de savoir ce qui se passe à l’autre bout du pays. En 2005, une explosion dans une mine de charbon a fait 170 morts. L’occasion de se rendre compte que lors de ces accidents les familles étaient éloignées, les liens entre les autorités locales et les directeurs locaux aboutissant à une dissimulation et le gouvernement chinois mettant en place un comité sur la sécurité dans chaque mine, sous la direction du syndicat officiel. China Labour Bulletin s’est investi dans de nombreuses campagnes contre les mauvaises conditions de travail des sous-traitants des entreprises occidentales. En vingt ans, il est devenu une source des revendications ouvrières en Chine, qui, à distance, aide les salariés sur leurs droits.

Pour Han Dongfang, de 1993 à 2003, la priorité du gouvernement chinois a été de rendre les entreprises conformes aux règles de l’OMC. Ce profond changement dans le contexte social et économique a généré la privatisation massive des entreprises d’Etat, 50 millions d’ouvriers ont été licenciés. Un exode rural extraordinaire s’est produit. La corruption s’est développée. Puis, de 2003 à 2013, les dirigeants ont commencé à émettre des réserves sur les écarts de niveau de vie entre les campagnes et les villes. Le gouvernement a alors multiplié les politiques d’intégration des travailleurs migrants en ville, sans droits, et a développé la législation du travail, tandis que le système du « bol de riz en fer » (l’emploi à vie garanti dans le secteur public), qui prenait en charge les ouvriers, a disparu. Les lois de 1950 reconnaissent la fédération officielle des syndicats (AFCTU), créée en 1925, comme ayant le monopole de la représentation de la  classe ouvrière. Sa mission est officiellement de protéger les intérêts des ouvriers, mais en réalité de défendre les intérêts et la stabilité du Parti communiste chinois.

…à l’adaptation ?

Cependant une nouvelle classe ouvrière chinoise est apparue. Désormais, les ouvriers nés dans les années 1980 et 90 sont prêts à tout pour défendre leurs droits. En dépit de l’élimination du droit de grève en 1982 dans la Constitution, les grèves ont été en augmentation : révoltes contre les restructurations massives des entreprises d’Etat dans les années 2000, grève radicale et organisée chez Honda Nahai en 2010. Si les revendications se sont élargies (aux salaires, au temps de travail, à la couverture sociale, aux retraites et à la sécurité au travail), l’été 2010 a marqué un tournant : après la grève chez Honda, les ouvriers demandent la « restructuration des syndicats » – plutôt que la formation de syndicats indépendants.

Han Dongfang se défend d’être un dissident. Il a évolué dans sa vision des choses et a changé de stratégie. Vers 1995, il  pensait que rien ne pourrait évoluer en Chine sans la mise en place d’un système démocratique qui favoriserait la création de syndicats libres. Il estime aujourd’hui que le développement économique de la Chine, tourné vers les exportations et avec un faible coût de la main d’œuvre, a besoin de l’essor d’un marché intérieur, donc d’une augmentation du pouvoir d’achat, et que ce serait une vision partagée par le PC chinois, qui pourrait amener le syndicalisme officiel à évoluer.

C’est la raison pour laquelle, afin de ne pas se trouver en confrontation directe avec les autorités, Han Dongfang met désormais en avant l’idée de l’indépendance des syndicats officiels vis-à-vis des employeurs et l’utilisation des possibilités de négociation collective.

Christine Schneider

Le site de China Labour Bulletin : http://www.clb.org.hk/en/