Un récit-témoignage d’Igort, traduction de l’italien par Laurent Lombard, Éditions Futuropolis, 2023, 168 pages, 24 euros.
« Ils sont entrés. Les Russes sont entrés en Ukraine. » Une guerre commence fin février 2022. Dans ce récit des trois premiers mois, le peuple ukrainien subit l’invasion et résiste comme il peut.
L’auteur Igort a vécu en Ukraine ; la famille de son épouse y vit toujours. Après avoir raconté les racines de ce conflit dans les Cahiers ukrainiens et les Cahiers russes 1, il donne ici une voix à ceux qu’en général on entend peu : les gens ordinaires victimes d’une guerre insensée et brutale. Une vie sous les bombardements, dans les villes assiégées… et puis la résistance, la détermination d’un peuple qui souffre mais ne cède pas.
L’invasion russe vue du point de vue de « ceux d’en bas »
Poutine croit en une guerre éclair. En trois jours, il veut prendre Kiev, remplacer le gouvernement démocratiquement élu (avec 73 % des voix) et ramener l’Ukraine dans le giron de la Grande Mère Russie. Une invasion imposante, une guerre à grande échelle qui aurait dû bouleverser l’Europe et la France. Poutine en a certainement informé ses « amis Macron et Scholz ». L’invasion des troupes russes (140 000 hommes) commence sur plusieurs fronts. L’Ukraine est attaquée par le nord, l’est, le sud. Igort montre sans faux-semblants la guerre subie par le peuple ukrainien, les civils, les gens ordinaires... Il montre leur peur, leurs malheurs mais aussi leur courage, leur solidarité, leur résistance. Un récit fort construit à partir de témoignages directs recueillis par téléphone, appels de parents, proches ou amis, témoignages d’hommes et de femmes assiégés, inquiets, apeurés, désespérés. Des anonymes qui racontent leur quotidien. Les bombes qui ciblent des civils, les immeubles qui s’écroulent. Les cadavres gelés dans la neige. Comment se nourrir, trouver de l’argent, se déplacer ou mettre sa famille à l’abri ?
Des témoignages bruts éclairés par l’histoire
À l’image de ce qu’Igort a fait dans les Cahiers russes et ses premiers Cahiers ukrainiens, il remonte aussi dans le temps pour éclairer, comprendre, expliquer. Et du passé plus ou moins récent de la relation entre l’Ukraine et la Russie, Igort raconte tout, sans concession depuis les grandes famines de 1932 et 1933 (« Holomodor ») organisées par Staline pour calmer les envies d’indépendance ukrainienne, les courtes hésitations du nationalisme ukrainien lors de l’invasion nazie symbolisée par l’ultra-nationaliste Bandera 2, prétexte 80 ans plus tard à la dénazification avancée par Poutine alors que les soldats ukrainiens de l’Armée rouge furent les plus nombreuses victimes de la guerre contre les nazis.
Un dessin âpre et réaliste
Cet album est un récit couché sur un cahier d’écolier, accompagné d’images qui témoignent de la détresse, de la violence, de la peur avec une grande variété graphique et des portraits marquants... Il y a des visages qui seront difficiles à oublier : Emilya, Evgenij, Anton, Yuri, Sveta, Masha, Jenia...
Peu de bulles mais des textes forts dans les cases pour accompagner les dessins d’un réalisme souvent âpre. Dessins réalisés aux crayons de couleur et à l’aquarelle mettant en scène des faits souvent insoutenables. Un album précieux pour la mémoire qui met en relief le regard hypocrite de celles et ceux qui ne veulent ni voir ni entendre le fracas des bombes sur les écoles et hôpitaux. Un album bouleversant et essentiel.
- 1. Deux albums parus également chez Futuropolis
- 2. Stepan Andriïovytch Bandera, né le 1er janvier 1909, fut un des dirigeants du nationalisme ukrainien et le chef de file de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B), à tendance extrémiste n’hésitant pas à collaborer avec les nazis avant de faire volte-face