Publié le Mercredi 17 novembre 2021 à 15h13.

Un enregistrement live inédit du chef-d’œuvre de John Coltrane : A Love Supreme

« Live à Seattle », chez Impulse – 16 euros en CD et 31 euros en vinyle et disponible sur les plateformes.

John Coltrane (1926-1967) a longtemps joué du sax alto avant de passer au ténor. Il s’est formé auprès des plus grands de son époque (Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Eric Dolphy, Sonny Rollins). Le quintet qu’il forma avec Miles Davis est considéré comme un sommet (cinq albums magistraux) avec le duo qu’il constitua avec le pianiste Thelonius Monk. Ce n’est qu’à l’âge de 30 ans qu’il devint vraiment indépendant, forma son propre quartet et grava les albums qui influencent encore aujourd’hui toujours le jazz moderne (Giant Steps, My Favorite Things, Olé Coltrane, etc.). Il a exploré toutes les possibilités de son instrument, dépassé les horizons du développement thématique et harmonique en combinant l’improvisation à la chaleur du timbre, à la dynamique et au rythme. Le tout dans une recherche spirituelle permanente. A Love Supreme est, à juste titre, considéré comme un de ses chefs-d’œuvre.

A Love Supreme

Enregistré en 1964 et publié en 1965, A Love Supreme est l’album majeur du jazz moderne. Fraîchement accueilli à sa sortie par une majorité de critiques, il se vendit tout de suite à plus d’un million d’exemplaires. Les critiques devinrent alors exégètes et A Love Supreme devint l’album référence de plusieurs générations de musicienEs de jazz. Apothéose musicale du groupe de Coltrane de l’époque (lui-même au sax ténor, Jones1 à la batterie, Garrison à la contrebasse et McCoy Tyner au piano), la formation après ce disque n’avait plus rien à prouver et se dissolvait rapidement. En conséquence, l’album fut très peu joué en live dans son intégralité2. Mais…

Tremblement de terre sur la planète jazz

Enregistré « live » à Seattle le 2 octobre 1965, deux ans avant la mort du saxophoniste, cet inédit, connu de quelques rares initiés, a refait surface en octobre 2021 et provoqué un petit tremblement de terre. En plus, comme l’enregistrement a été capté par Joe Brazil, musicien de jazz et ami de Coltrane, et brassé par les consoles de Rudy Van Gelder, le magicien du son de chez Impulse, la qualité est époustouflante en regard des trois uniques micros présents ce soir là à Seattle.

Pour cette séance, le quartet de John Coltrane est augmenté de trois autres musiciens et pas des moindres. Pharoah Sanders au saxophone, Donald Garrett à la basse et à l’archet et Carlos Ward au saxophone alto. Il n’en fallait pas moins pour exprimer les croyances spirituelles et les sentiments universalistes du compositeur au moment où la police s’acharnait sur les jeunes noirs.

Enregistrement studio vs enregistrement « live »

Éternelle discussion jamais vraiment tranchée. Si la finesse et la profondeur d’un enregistrement studio est inégalable, la puissance d’une performance live procure des émotions incomparables aux musiciens et au public surtout. Pour ce « live », les musiciens reprennent exactement dans le même ordre les quatre mouvements de l’enregistrement studio : « Acknowledgement », « Resolution », « Pursuance » et « Psalm ». Mais parce qu’il y a trois musiciens supplémentaires, la formation veut aller encore plus haut, encore plus loin et pour ce faire se cherche, cherche et trouve. Plusieurs interludes (la batterie d’Elvin Jones !) s’intercalent entre les mouvements et seul le final somptueux « Psalm » respecte la durée initiale du mouvement pour la transe voulu par le compositeur. En deux mots, l’enregistrement initial faisait 32 minutes et ce live 75 minutes et vous n’en aurez pas l’impression !

  • 1. Elvin Jones a aussi influencé les meilleurs batteurs de rock tel Mitch Mitchell, et même Jimi Hendrix.
  • 2. La seule autre interprétation connue de l’album est celle du festival de Juan-Les-Pins en juillet 1965.