Publié le Mercredi 8 mars 2023 à 09h42.

Un jour, j’ai menti, de Samira Sedira

Éditions La Manufacture de livres, 304 pages, 18,90 euros, en librairie le 9 mars 2023.

Roman très enlevé, tragédie moderne qui explore la question du mensonge, de l’usurpation... et de l’identité. 

Une écriture très charpentée mais fluide qui nous mène tambour battant au travers d’une histoire sombre portée par des personnages lumineuses. Pas d’hommes dans cette histoire, comme une évidence... pour paraître un 9 mars !

« Mère » Nikki

Qui est donc Nikki, personnage terriblement romanesque au cœur d’une légende ? Héroïne moderne de la lutte contre le mal-logement, icône de la cause des plus pauvres, cette femme charismatique tombe un jour de son piédestal : elle a menti ! Elle a endossé l’identité d’une femme du peuple alors qu’elle est fille de bourgeois. Démasquée, elle sombre en elle-même, malgré l’appui sans faille de son amie (?) Fanny. Luce, cinéaste, veut comprendre, et Jeanne, sa scénariste, voudrait bien saisir ce qui passionne Luce, son amie à l’instinct si sûr, dans cette affaire...

N’aies crainte, lecteurE, tu sauras tout. La fin de l’ouvrage, qui survient beaucoup trop vite, nous livre, sinon la vérité, du moins un ensemble de faits qui permettent d’articuler un dénouement avec une appréciation sociale et morale de la situation. Mais...

Toutes les questions sont posées...

« Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction »1. Selon cette acception, Nikky ne ment pas. Elle usurpe en revanche une identité qu’elle s’est taillée de toutes pièces. C’est cette révélation qui cause sa chute, mais pourquoi ?

Pourquoi ce mensonge qui ne lui apporte rien ? Pourquoi le paye-t-elle aussi cher, alors que cela ne nuit aucunement à celleux qu’elle prétend soutenir et qui, nous en aurons la preuve, ne lui reprochent rien ? Pourquoi cette femme radieuse engendre-t-elle de telles inimitiés ? Et pourquoi ne se défend-elle même pas en invoquant ses raisons ? Comment se construit une identité, a fortiori celle d’unE personnage publique, et qui a intérêt à la détruire ? Quel rapport avec la lutte des classes, avec la domination, avec leur morale (et la nôtre) ?

La morale justement, dont Rousseau exempte certaines modalités du « mentir », n’est-elle pas ce qui torture Luce, sur laquelle Jeanne nous donne les éléments nécessaires à sa compréhension ? En quoi Fanny — pour Nikki — et Jeanne — pour Luce — sont-elles des révélatrices des petits arrangements avec la vérité dont nous sommes toutes et tous capables, quitte à ne s’en point relever...

  • 1. Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire. Quatrième promenade.