Le 3 mars était le jour de sortie du livre « Un "petit" candidat face aux "grands" médias », publié aux éditions Libertalia par nos camarades Philippe Poutou, Julien Salingue et Béatrice Walylo. L’ouvrage revient sur le traitement médiatique et le rapport d’un candidat comme Philippe Poutou aux médias dominants, en s’appuyant sur l’expérience des campagnes de 2012, 2017 et — surtout — 2022. Nous en publions un extrait.
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Une campagne présidentielle est un moment particulier dans la vie politique et le débat public, et un certain nombre de règles, plus ou moins compréhensibles et plus ou moins codifiées de manière objective, s’appliquent. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un travail d’explication des règles de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ex-CSA) s’impose donc, qui permettra de comprendre quelles sont les conditions « légales » qui surdéterminent notre rapport aux médias.
L’équité sauce Arcom
Pour la campagne 2022, l’Arcom a déterminé trois périodes : « équité » (1er janvier-7 mars), « équité renforcée » (8 mars-27 mars), « égalité » (28 mars-8 avril). Qu’est-ce que l’équité ? Interviewé sur France Info à ce propos le 3 janvier 2022, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, dont le patronyme indique certainement une ascendance prolétarienne, expliquait : « Tous les candidats déclarés ou présumés doivent être traités de façon équitable ». Le temps de parole attribué à chaque candidatE est ainsi calculé, toujours selon le président de l’Arcom, « en fonction du poids politique représenté par chacun de ces candidats, […] en fonction des sondages, des résultats aux élections, de la dernière présidentielle et de toutes celles qui sont intervenues depuis, en fonction des dynamiques de campagne ». Un document de l’Arcom indique en outre que sera prise en compte la « contribution à l’animation du débat politique ». Diantre.
Une indigeste tambouille, basée sur des critères plus que douteux et pour le moins subjectifs (qu’est-ce donc que le « poids politique » ?), mais avec une logique générale aisément identifiable : si certainEs auraient naïvement pu croire que l’équité consistait à donner plus à celles et ceux qui ont moins, la règle est en réalité exactement l’inverse.
Le critère des sondages est probablement le plus caricatural : alors que l’on sait qu’une surmédiatisation entraîne quasi-mécaniquement, du moins dans la première partie d’une campagne, une montée dans les sondages, Roch-Olivier Maistre recommande de tenir compte des sondages pour distribuer le temps de parole. En résumé : plus tu es médiatisé, plus tu es haut dans les sondages, et plus tu es haut dans les sondages, plus tu es médiatisé. Et la même remarque pourrait être faite concernant la « contribution à l’animation du débat politique », qui ne se déroule pas que dans les médias mais qui repose en grande partie sur le fait que l’on soit — ou non — médiatisé. Plus tu en as, plus tu en as : c’est sans doute ce que les technocrates de l’Arcom considèrent comme un cercle vertueux…
Et ce qui devait arriver arriva, comme cela fut confirmé lors de la communication, mi-mars, des premiers chiffres des temps de parole effectifs des candidats et de leurs soutiens, pour la période du 1er janvier au 7 mars, sur les radios nationales, les chaînes d’information et les chaînes généralistes. En tête, Emmanuel Macron, avec 158 heures et 34 minutes de temps de parole, suivi de près par Valérie Pécresse (158 h 29) et Marine Le Pen (151 h 39). Viennent ensuite Éric Zemmour (108 h 45), Jean-Luc Mélenchon (102 h 59), Yannick Jadot (70 h 36), Anne Hidalgo (55 h 34), etc., jusqu’au dernier du classement, un certain… Philippe Poutou, avec 6 heures et 52 minutes de temps de parole cumulé. L’important, c’est de participer ? […]
On a grillé TF1
C’est d’ailleurs dans cette période d’« équité renforcée » que TF1 a pris la liberté d’organiser, le 14 mars 2022, une « soirée présidentielle » en présence de seulement huit des douze candidatEs, laissant sur la touche Nathalie Arthaud, Jean Lassalle, Nicolas Dupont-Aignan et Philippe Poutou. Une initiative qui a — un peu — fait polémique, dans la mesure où elle a été prise moins d’une semaine après la publication de la liste des douze candidatEs officiels par le Conseil constitutionnel, ce qui rendait d’autant plus visible l’inégalité de traitement entre « gros » et « petits ». Une initiative qui nous a agacés, et à propos de laquelle nous avons deux-trois choses à raconter.
Quelques jours plus tôt, le vendredi 11 mars, alors que la soirée était annoncée mais pas le fait que quatre candidatEs seraient recalés, le directeur du service politique de TF1/LCI a en effet pris contact avec nous, par SMS, probablement pour préparer le terrain. Nous étions sur la route de Montpellier où un meeting était organisé le soir, toujours un peu euphoriques après l’obtention des 500 parrainages et plusieurs initiatives publiques réussies dans la semaine :
« Bonjour, je suis Adrien Gindre, chef du service politique TF1/LCI. Je vous écris à propos de l’accès de Philippe Poutou à l’antenne de TF1. Nous traiterons bien sûr de sa campagne dans nos reportages ces prochains jours et prochaines semaines, dans le respect des règles de l’équité fixées par l’Arcom. Par ailleurs, vous serez les bienvenus sur le plateau du 20 h de TF1 dans la période d’égalité. Nous recevrons les candidats entre le dimanche 3 avril et le vendredi 8 avril. N’hésitez pas à me dire si vous avez des indisponibilités sur cette période. Bien à vous. »
Saisissant la balle au bond et comprenant qu’il y avait anguille sous roche, nous en avons profité pour aller à la pêche aux informations quant à ce mystérieux plateau du 14 mars, à propos duquel une rumeur courait : seulement 11 candidatEs seraient invités. Et bien évidemment nous nous disions que l’exclu, c’était nous, et que le gentil monsieur de TF1 venait, avant que nous n’apprenions la mauvaise nouvelle dans la presse, nous rassurer en nous disant qu’il ne faudrait pas mal le prendre car il y aurait d’autres occasions, promis. D’où notre message :
« Bonjour, et merci pour les informations. Nous sommes à coup sûr indisponibles le 5 et le 7. Et certains d’être disponibles le 3 et très probablement le 4. J’en profite pour vous demander ce qu’il en est du lundi 14 mars, nous avons lu des choses diverses dans la presse quant à une initiative de TF1 avec 11 candidats, mais n’avons pas été contactés à ce propos. Pouvez-vous nous éclairer ? Merci à vous. »
Ce qui a entraîné la réponse suivante :
« Lundi soir il y a une émission avec des candidats qui bénéficient aux yeux de l’Arcom d’un crédit temps de parole plus important. Ils seront 8 à y participer. Pour autant, vous aurez bien sur TF1 un respect absolu des règles de l’équité telles que prévues par l’Arcom. D’où ma précision sur le fait que votre campagne apparaîtra bien dans nos journaux de 20 h. Et dans la période d’égalité une invitation sur le plateau de TF1. »
Message que nous avons reçu comme : désolé les enfants, mais avec votre forfait bloqué, vous n’avez pas assez de « crédit temps de parole » et vous ne pouvez donc pas être invités à notre soirée réservée aux grands. Mais n’ayez aucune inquiétude, vous pourrez passer demain dans la journée et manger les restes, on n’est pas des monstres non plus.
Nous n’avons pas répondu. Enfin, pour être plus exact, nous n’avons pas répondu par SMS, mais par un tweet posté sur le compte de Philippe Poutou une poignée de minutes plus tard :
« Depuis quelques jours on entendait parler d’une soirée électorale sur TF1 le 14 mars "avec 11 candidats".
Scoop (1) : finalement il n’y aura pas 11 mais 8 candidats invités
Scoop (2) : on n’est pas parmi les 8
Le débat démocratique c’est bien, mais c’est pas pour tout le monde. »
C’est d’ailleurs par ce tweet, particulièrement repris avec 35 000 likes et 10 000 retweets, que la nouvelle de l’exclusion de quatre candidatEs par TF1 a été rendue publique, avant même que la chaîne de Martin Bouygues ait eu le temps de faire sa communication.
La rumeur dit que, du côté de TF1, on nous en aurait voulu. Nous, on a trouvé ça plutôt drôle.