Publié le Jeudi 1 décembre 2016 à 16h15.

Voyage en terres d’espoir

De Edwy Plenel, Éditions de l’atelier, 2016, 25 euros. 

Un séjour qui vaut le détour... En publiant cet ouvrage, Edwy Plenel nous invite à emboîter le pas du mouvement ouvrier, et à en redécouvrir les traces qui lui sont chères...

Ce jeu de pistes lui a été suggéré à l’occasion de la sortie du dernier tome de la cinquième période du dictionnaire biographique le Maitron, qui couvre une période allant de 1789 à 1968. Edwy Plenel rend ici un hommage original à l’œuvre monumentale qu’avait initié Jean Maitron en 1955. Aujourd’hui, grâce à ce travail, des milliers de notices, compilées sur 76 tomes, sont consacrées à la vie de ceux et celles qui ont lutté jusqu’à aujourd’hui. Ces tranches de vie choisies « ne racontent pas un passé mort, embaumé et desséché » mais « une histoire vivante, avec ses lumières et ses ombres, ses gloires et ses misères ».

Composée de militants de partis, de syndicalistes, de membres de sociétés clandestines (par exemple les « Marianeux »), d’activistes invétérés ou d’incorrigibles redresseurs de torts, cette multitude méritait, en effet, que l’on se penche à nouveau sur elle. Car, chacun à sa manière, tous ont tissé un fil invisible qui nous relie à eux, donnant à nos combats un sens et une portée qui dépassent les enjeux présents : nous ne faisons pas que résister aux mauvais coups du moment, nous perpétuons aussi les combats passés. Toutes ces notices saisissent une parcelle de la mémoire de l’histoire des vaincus. Des « vaincus qu’en apparence », comme le rappelle Edwy Plenel, car ils nous lèguent la liberté inestimable « d’une histoire ouverte, sans fin ni finalité, à faire et à inventer ». Il est question ici de notre histoire, pas la « longue litanie des vainqueurs qui réquisitionnent l’histoire, la grande histoire où de grandes circonstances fabriquent de grands hommes ».

Trajectoires individuelles et irruptions collectives

Plutôt que de nous présenter sa playlist attitrée, l’auteur a choisi de nous emmener en balade : des bureaux de Mediapart – à proximité de la plaque commémorative du député Alphonse Baudin qui mourut sur les barricades le 3 décembre 1851 en tentant vainement de dresser le peuple des faubourgs parisiens contre le coup d’État bonapartiste – jusqu’à Portbou où Walter Benjamin rédigea sa dernière lettre avant de se suicider, alors qu’il passait clandestinement de la France à l’Espagne avec l’aide d’une militante antinazie, Lisa Fittko, qui sera le dernier visage retenu par ce livre.

En nous faisant partager une galerie de portraits particulièrement évocateurs, l’ouvrage prend le parti pris de redonner vie au mouvement ouvrier. À l’encontre de la vision standardisée et momifiée héritée du stalinisme, Edwy Plenel épouse volontairement la démarche singulière du Maitron, où les trajectoires individuelles rencontrent les irruptions collectives. Il met ainsi en valeur la diversité des horizons, des parcours, des opinons, et des modalités d’action. « Une histoire maillée d’histoires » aux intonations libertaires. Dès lors, le mouvement ouvrier n’est plus une armée monocolore de clones, qui ne parle qu’une seule langue, il redevient un mouvement conscient, réel et pluriel. Il s’incarne dans des vies concrètes.

Raison pour laquelle son internationalisme ressort avec d’autant plus d’éclat. Portés par le sens du commun propre au projet d’émancipation qui les animait, les pionniers dont nous pouvons nous revendiquer avec fierté exécraient les replis chauvins et ne supportaient pas les frontières. Des exilés de la Commune aux militants anticolonialistes, l’internationalisme a toujours été l’horizon libérateur du mouvement ouvrier. Horizon que d’aucuns voudraient barricader aujourd’hui, tout en jouant les testamentaires de cette histoire de lutte.   

Or, comme le rappelle Edwy Plenel, nous héritons d’une « histoire sans testament » qu’il faut prendre pour ce qu’elle est : « une promesse en jachère que nous nous faisons à nous mêmes »

Olivier Besancenot