Au delà d’une aspiration légitime à vivre de leur travail, les manifestations des éleveurs expriment la colère et le désarroi d’agriculteurs qui se considéraient comme des chefs d’entreprise et se retrouvent en voie de prolétarisation ou menacés par le chômage. Ils ont perdu toute confiance dans les partis de gouvernement, relais du libéralisme européen qui les ruine. Ne suivant plus aveuglément les consignes de la FNSEA, ils se mobilisent avec l’énergie du désespoir sans hésiter à « casser » ni à affronter la police.
Ce vide politique et syndical est pain bénit pour le Front national. La menace est à prendre au sérieux, la petite bourgeoisie des campagnes peut, en l’absence de réponse progressiste et crédible à ses difficultés immédiates comme à ses angoisses existentielles, se jeter dans les bras de Marine Le Pen et de ses acolytes qui multiplient les communiqués.
Ainsi Florian Philippot, le 15 février 2016, le jour où Stéphane Le Foll s’est fait renvoyer dans ses buts par la Commission européenne :
« Si l’Union européenne n’avait pas fait sauter les quotas laitiers, les exploitations laitières françaises seraient viables ; si l’Union européenne n’avait pas favorisé par ses normes et le dumping social des travailleurs détachés les grosses exploitations étrangères, alors les filières d’élevage, à commencer par celle du porc, seraient viables. L’Union européenne, aux origines même de la crise agricole, l’a également aggravée par son inconséquence politique et ses refus dogmatiques. Il en est ainsi de l’embargo russe, des négociations sur le TAFTA et de l’interdiction de l’étiquetage des produits (…) Le Front national propose la mise en place d’une grande politique de patriotisme alimentaire qui assurera des débouchés à l’ensemble de nos paysans et garantira la qualité dans nos assiettes. L’agriculture ne peut être traitée comme un marché comme un autre soumis aux dérégulations du libéralisme sauvage. Protéger les agriculteurs français pour leur permettre de vivre de leurs productions, d’innover et d’investir dans l’avenir ne devrait faire l’objet d’aucune négociation. Il faut agir et vite, sans quoi la France dépendra demain de ses voisins, voire de la malbouffe américaine, pour se nourrir ».
Réactionnaire, raciste et incohérent
Le FN cultive la nostalgie de la France rurale de jadis, parée de toutes les vertus, entre les « trente glorieuses » et « la terre (qui) ne ment pas ». « Il faut remettre Bruxelles à sa place et protéger le marché français des produits étrangers de mauvaise qualité qui tirent les revenus agricoles vers le bas et parfois nous empoisonnent ». Discours réactionnaire et raciste : tout ce qui vient de l’étranger, des immigrés aux fruits et légumes, est mauvais et menaçant.
Si l’Europe est la cause de tous les maux, il faut rompre avec la politique agricole commune et renationaliser les aides, rétablir le protectionnisme d’antan. Une pique contre le « syndicat majoritaire : « Quand la FNSEA réclame encore une fois "mieux d’Europe", elle enfume donc gravement les agriculteurs et les Français. » Programme incohérent puisque loin de renoncer aux exportations, le FN insiste pour un dialogue avec Poutine permettant la levée simultanée des sanctions et de l’embargo russe. Mais il s’adresse à des producteurs que les ventes de céréales et de vin ne consolent pas de leurs propres difficultés.
Le Front national s’approprie en les détournant des thèmes portés par la gauche antilibérale et même par les écologistes. Quand Marine Le Pen s’attaque au « Traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis, TAFTA, qui aggraverait toutes les difficultés actuelles et porterait le coup de grâce à une agriculture brillante par son savoir-faire mais à l’agonie », elle ne veut que protéger les capitalistes français de la concurrence internationale des « trusts apatrides ». Quand le FN dénonce « l’interdiction de l’étiquetage des produits », il ne préconise pas le contrôle des industriels bien de chez nous pour les dissuader de remplacer le bœuf par du cheval. Il critique « le dumping social des travailleurs détachés » mais pas l’embauche non déclarée des saisonniers. Il s’est mêlé aux commandos contre les ZADistes de Sivens.
On retrouve le clivage entre le Non de gauche au traité constitutionnel européen et le Non raciste et souverainiste des Le Pen et De Villiers. Raison de plus pour affirmer avec force que notre cible n’est pas une Europe « américaine » ou « allemande » mais les institutions européennes au service du Capital, l’internationale des exploiteurs. Nous ne voulons pas expulser le « plombier polonais » mais en finir avec un système qui réduit des ouvriers à la servitude sur tout le continent. Aucune ambiguïté, même sémantique, ne doit servir la soupe aux nationalistes. Un gouvernement anticapitaliste devra affronter les institutions de l’Europe bourgeoise sans reculer devant la rupture, mais pas en agitant le drapeau tricolore.
Gérard Florenson