Publié le Samedi 4 juillet 2015 à 08h22.

Sur le bon usage du concept de décroissance

Avec 3 à 4% de croissance mondiale par an, le capitalisme est en crise. La croissance de 2014 à 3,3%, bien que jugée trop faible par le FMI, si elle était seulement maintenue, impliquerait une production mondiale multipliée par 10 en un siècle, par 320 en deux siècles, par 10 000 en 3 siècles, par cent-mille milliards en 1000 ans. Absurde.

 

Mais de quelles activités l'économie capitaliste exige-t-elle la croissance  ?

Considérons certains services, comme l'éducation ou la santé : Pour que ces activités contribuent à l'élévation du PIB, à la «  croissance  », il faudrait leur affecter plus de moyens  : davantage d'enseignants, davantage de soignants. Que ces activités soient privées ou publiques, ce n'est pas, d'évidence ce type de croissance que cherche le capitalisme.

 

Certaines activités productives, comme l'agriculture ou l'énergie, sont engagées dans des choix techniques qu'il faudra remettre en cause. Remplacer les énergies fossiles par des renouvelables serait mettre en oeuvre des technologies plus exigeantes en main d'oeuvre, plus chères, et de cette manière faire «  de la croissance  ». En agriculture, remplacer la monoculture et l'élevage industriel par une agriculture respectueuse du sol et des consommateurs exigerait un nombre plus élevé de paysans  ; il y aurait alors «  croissance  » en valeur de la production agricole. Mais c'est un type de croissance dont nous pouvons constater que le capitalisme n'est pas friand.

Du côté de la production industrielle (chimie, automobile, informatique c) l'efficacité productive augmente à une vitesse vertigineuse. Pour compenser la baisse des prix unitaires, les quantités doivent augmenter toujours plus. C'est un mouvement exponentiel, frénétique, que les ressources de la terre ne peuvent plus entretenir sans dommages graves pour l'environnement. C'est la contestation de ce type de croissance, et non celle des services publics ou de l'agriculture biologique, que visent les partisans de la décroissance. De ce point de vue, même si le terme trop général de «  décroissance  » peut paraître inadéquat, nous partageons ce combat.

 

Il serait pourtant plus pertinent de donner un qualificatif à la décroissance  : décroissance de la production matérielle serait plus proche de ce que nous voulons mais pas suffisamment précis : il faudra partout améliorer l'habitat et dans le contexte de l'urbanisation massive du tiers monde, construire. La transition énergétique ne sera pas qu'une transition technologique, l'essentiel sera fait de sobriété et d'efficacité ; mais sa dimension technique implique la croissance de certains secteurs de production : éoliennes, panneaux solaires, isolation de maisons, transports en communc Dans une décroissance globale de la production de biens matériels, certains secteurs devront croître.

Reste le concept de «société d'abondance». Aux origines du communisme, il était le joker qui permettait d'éluder la question de la distribution, c'était une manière commode de s'affranchir (intellectuellement) d'un problème jusque là résolu par le marché et le pouvoir d'achat. Puis vint la prise de conscience des limites matérielles que la planète pose à la production : alors l'idée communiste d'une société d'abondance a été abandonnée.

 

Pourtant, dans une société émancipée, la production matérielle (nourriture, logement, habits, transports etc) pourrait être effectuée à moindre frais, pourvu qu'elle reste dans des dimensions raisonnables et qu'on mette fin à l'obsolescence programmée. Elle ne constituerait alors qu'une part réduite de l'activité humaine. Le capitalisme fait des travailleurs remplacés par les machines des humains excédentaires, des chômeurs  ; la réduction du temps de travail et de son intensité serait une étape nécessaire pour une société émancipée, mais au bout du compte, une société rationnelle qui mettrait en œuvre des moyens efficaces de production serait une société d'abondance de travail.

Que faire de cette abondance  ? C'est la question qu'on ne sait pas poser si on raisonne en termes de décroissance. Et c'est la question que les communistes ne posent plus depuis qu'ils ont abandonné le joker de l'abondance pour résoudre la question de la distribution.

Pourtant, rien ne s'oppose au fait que les moyens consacrés à l'éducation, à la santé au sens large –incluant le bien-être -, à l'art, et peut-être à d'autres services que nous n'avons pas inventés, augmentent indéfiniment au fur à mesure que les moyens à consacrer aux besoins matériels seront moins pressants. Alors une société d'abondance de services deviendrait une perspective. Ces services seraient gratuits et à la libre disposition de tous.

 

Une telle société, ou chaque humain aurait sa place dans le processus de production de la vie sociale et matérielle, serait une société qui emploierait davantage de main-d'œuvre que la nôtre  : elle inclurait tout le monde. Alors, tout indicateur de richesses qui serait en rapport avec le travail socialement mis en oeuvre (la valeur), comme l'est pour l'essentiel le PIB, serait, dans une phase de transition vers le communisme, en croissance.

 

Gérard Vaysse (Lyon)