Entretien. Porte-parole d’Attac, Thomas Coutrot revient sur les Panama papers, l’évasion fiscale et l’activité du mouvement social sur ces questions.
Depuis 2008, la presse a révélé plusieurs cas d’évasion fiscale internationale. Que les Panama papers nous apprennent-ils de plus ?
Les Panama Papers se distinguent par la masse considérable d’informations fuitées, et donc le nombre important de personnes démasquées. Concernant la France, la principale nouveauté est l’implication massive de la deuxième banque française, la Société Générale. Jusqu’alors, seules BNP Paribas et le Crédit Agricole s’étaient fait coincer lors de l’Offshore Leaks de 2013, mais pour un nombre bien inférieur de sociétés écrans (56 pour la BNP et 36 pour le Crédit agricole, contre 974 pour la Société générale via Mossack Fonseca). Cela ruine le discours, généralement tenu par les banquiers français, selon lequel ils laisseraient ces tripatouillages à leurs concurrents étrangers...
Des officines comme Mossack Fonseca existent-elles en France ? Sinon, par quels circuits des Français les contactent-ils ?
Mossack Fonseca est une société panaméenne, et la plupart des sociétés qui rendent ce genre de services – la création de sociétés écrans pour des clients riches qui y mettent leur patrimoine à l’abri du fisc de leur pays – sont logiquement situées dans les paradis fiscaux. Cash Investigation a bien montré comment on peut trouver très facilement via Google les coordonnées de cabinets spécialisés dans le blanchiment et l’évasion de capitaux. Dans le reportage, les journalistes ont dû aller à Genève pour rencontrer physiquement l’agent du cabinet en question afin de mettre au point le schéma d’évasion. Sans doute existe-t-il des cabinets encore plus compétitifs qui n’obligent pas leurs clients à se déplacer à l’étranger. D’ailleurs, l’Union des banques suisses (UBS) a été mise en examen en France pour démarchage illicite et blanchiment aggravé de fraude fiscale, des délits réalisés sur le territoire français.
Comment expliquer le sentiment d’impunité de ceux qui profitent ou favorisent l’évasion fiscale ? Tant Jérôme Cahuzac que Frédéric Oudéa ont menti, l’un devant les députés, l’autre au Sénat...
Jusqu’à très récemment les pouvoirs publics – l’administration fiscale et la justice – n’avaient pas une politique proactive en matière d’évasion fiscale. Alexis Spire décrit cela très bien dans son ouvrage L’impunité fiscale : les grandes entreprises, les banques ou les particuliers qui fraudent le fisc à grande échelle et sont coincés, s’en tirent au pire avec une amende, le plus souvent négociée avec le fisc... Les cabinets d’avocats ou de conseil fiscal qui organisent cette évasion ne sont jamais inquiétés. En France, les cas de fraudeurs condamnés à de la prison se comptent sur les doigts d’une main. Les moyens du contrôle fiscal sont très insuffisants et en régression. D’ailleurs, tant Cahuzac qu’Oudéa sont tombés non du fait d’une action de contrôle fiscal mais d’info fuitées et valorisées par un travail journalistique indépendant. Cela dit, il se pourrait que la panique commence à gagner les titulaires de compte offshore car plus personne ne peut se sentir à l’abri d’un lanceur d’alerte.
Attac lance une campagne de blocage des 103 agences banque privée de la Société générale. Peux-tu expliquer le rôle spécifique de ces agences, ainsi que l’objectif de cette campagne ?
Société Générale Private Banking, comme c’est expliqué sur son site, résulte du regroupement en 2008 des activités de la Société générale en « une structure autonome unique, entièrement dédiée aux besoins de ses clients les plus fortunés ». C’est donc explicitement la banque des riches, qui leur propose « une solution globale et cohérente qui intègre la complexité de leur situation personnelle et patrimoniale et/ou professionnelle ». C’est la filiale luxembourgeoise qui a créé les sociétés écrans via Mossack Fonseca, mais tout indique que ce type de service est proposé, sinon opérationnalisé, par les bureaux en France.
Avec Bizi !, Les Amis de la Terre et Action non violente COP21, nous avons lancé il y a un an une campagne de réquisitions citoyennes de chaises dans les agences des banques impliquées dans l’évasion fiscale (principalement BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, HSBC) pour exiger la fermeture de leurs filiales dans les paradis fiscaux et la fin de l’évasion fiscale, afin de financer la transition sociale et écologique. Ces actions de désobéissance non violente – juridiquement la qualification des faits serait « vol en bande organisée » – ont eu lieu dans 40 agences bancaires en France en 2015, avec une médiatisation non négligeable, une bienveillance de l’opinion et une grande prudence du parquet (aucune mise en examen à ce jour contre des faucheurs de chaises, sans doute de peur qu’un procès se retourne contre les banques). Mais comment le gouvernement peut-il justifier que BNP Paribas ait plus de filiales que jamais dans les paradis fiscaux (200 en 2014 selon le récent rapport de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires) ? Le chiffre est de 136 pour la Société générale et de 159 pour le Crédit agricole !
Les fauchages de chaises vont continuer, mais nous avons jugé possible et nécessaire de hausser d’un cran le niveau de radicalité des actions de désobéissance, en appelant au blocage des agences Private Banking. C’est à la fois moins risqué juridiquement – la qualification serait seulement « manifestation illicite » ou « entrave au travail » – mais plus difficile sur le plan militant, car l’idée serait de tenir le blocage dans la durée. Depuis une semaine, nous faisons des opérations ponctuelles de blocage dans plusieurs villes, et nous espérons que le mouvement va s’étendre.
Le scandale Panama Papers a éclaté dans le contexte de la mobilisation contre la loi travail et de l’émergence de Nuit debout : nous pensons qu’il faut aujourd’hui proposer au mouvement des actions de désobéissance non violente mais déterminée, afin de construire le rapport de forces qui imposera des reculs au gouvernement. Cela vaut pour la loi travail aussi bien que sur les paradis fiscaux. Contre la loi travail, les grèves et les manifestations sont indispensables mais ne suffiront sans doute pas, nous devons inventer des formes d’action nouvelles, comme on a commencé à le voir en 2010 avec les blocages de dépôt d’essence et de plateformes logistiques.
Les agissements des banques non seulement favorisent l’évasion fiscale mais font craindre une nouvelle crise financière. L’inaction totale de la présidence Hollande n’est-elle pas, au même titre que la loi El Khomri, significative d’une nouvelle étape dans l’évolution du PS français ?
En effet, le PS a franchi une étape ces derniers mois, mais ce n’est pas tant du côté de la finance... On avait eu le temps depuis 2012 de constater que Hollande n’avait aucunement l’intention de tenir ses promesses électorales, notamment la taxe sur les transaction financières, la séparation entre banques de dépôt et banque d’investissement, l’interdiction des activités des banques dans les paradis fiscaux. Ce sont bien plutôt les deux projets sur la déchéance de nationalité et sur le travail qui marquent les adieux officiels et publics du PS et de Hollande aux valeurs fondamentales de la gauche. C’est d’ailleurs cette double transgression qui explique qu’on ait pour la première fois l’émergence d’un grand mouvement social sous un gouvernement soi-disant de gauche.
Propos recueillis par Henri Wilno