Publié le Vendredi 19 février 2021 à 15h07.

La finance autoritaire : vers la fin du néolibéralisme

De Marlène Benquet et Théo Bourgeron, Raisons d’agir éditions, 2021, 10 euros.

Marlène Benquet1 et Théo Bourgeron (B&B) notent dans l’introduction de leur livre que, ces dernières années, se sont produits des évènements peu attendus. Dans deux pays importants (les États-Unis et le Brésil) ont été élus à la présidence des hommes aux caractéristiques particulières et porteurs d’un projet autoritaire et ultra-libéral, Trump et Bolsonaro. Au Royaume-Uni en 2016, de façon inattendue, un référendum a donné une majorité au Brexit. De nombreux commentateurs voient dans ces trois évènements le produit de la combinaison d’idées réactionnaires et racistes avec une révolte de segments des classes populaires ou moyennes (au Brésil).

Pour les deux auteurs, ces analyses sont insuffisantes et ne tiennent pas compte des clivages au sein des classes dominantes dont une partie a agi avec force pour que se réalisent ces évolutions. Leur travail est avant tout centré sur la Grande-Bretagne avec une étude minutieuse du financement de la campagne référendaire sur la sortie de l’Union européenne. Malgré les nombreuses déclarations de la City de Londres en faveur du remain (rester), les données montrent que le secteur financier a consacré près de 60 % des fonds qu’il a versés au soutien du leave (quitter). Descendant plus dans le détail, B&B constatent que ce ne sont pas les mêmes acteurs financiers qui ont soutenu chacun des deux camps. Du côté du remain, on trouve les agents financiers traditionnels (banques, fonds de pension, etc.). Du côté du leave, des activités au développement souvent plus récent. Pour les désigner, B&B utilisent les termes de « première » et « seconde financiarisation ». Si les groupes de la « seconde financiarisation » ont soutenu le leave, c’est d’après les auteurs, par rejet des velléités de Bruxelles, après la crise de 2007-2008, de contrôler certaines opérations financières ; ils pensent aussi qu’une fois le Brexit réalisé, Londres pourra devenir « une Singapour mondiale… une vaste terre d’asile fiscal » tournée non vers l’Europe mais vers les États-Unis et le reste du monde.

Pour B&B, ces développements mettent en cause les analyses qui, à l’instar des Pinçon-Charlot, insistent sur le caractère soudé de l’oligarchie. B&B rappellent que Marx insistait sur la concurrence entre les capitaux et sur le rôle de l’affrontement entre les diverses fractions bourgeoises dans la révolution de 1848 et ses suites2. On a parfois du mal à suivre B&B dans leurs développements sur les deux pôles de la financiarisation dont ils reconnaissent parfois eux-mêmes qu’ils sont partiellement interpénétrés. Mais, même si on n’est pas totalement convaincu par leur analyse de la finance, il est indéniable que derrière le Brexit se trouvaient des fractions du capital.

Pour tenter d’appréhender le projet à long terme du capital pro-Brexit (qui, outre une partie du secteur financier, agglomère les secteurs de la construction et des énergies fossiles), B&B analysent la production intellectuelle des divers groupes de réflexion qui leur sont liés. Ils soulignent leur idéologie libertarienne qu’ils définissent comme une doctrine économique opposée à toute intervention de l’État sauf pour protéger la propriété privée et le libre-jeu du marché. Les libertariens vont plus loin que les néolibéraux dans leur remise en cause du rôle de l’État. Ils ne sont guère attachés aux institutions internationales mises en place au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ils sont aussi climato-sceptiques, ou bien relativisent le problème et insistent sur le coût « exorbitant » des mesures avancées pour contrecarrer le réchauffement. Si cela s’avère nécessaire pour protéger la propriété privée, les libertariens n’ont aucune opposition à des mesures autoritaires. Ils y sont d’ailleurs d’ores et déjà favorables.

Élargissant leur réflexion à l’ensemble de la planète, B&B voient arriver un nouveau moment de capitalisme qui marquerait la fin du « néolibéralisme démocratique ». Ce nouveau moment libertarien-autoritaire n’est pas le produit de la manipulation des foules par des démagogues mais le choix conscient d’une fraction du patronat qui n’a comme souci que la sauvegarde immédiate de ses intérêts.

Le livre de B&B s’inscrit dans une réflexion nécessaire sur l’évolution autoritaire des États capitalistes et sur le surgissement sur la scène politique de personnages comme Trump, Bolsonaro et, à un moindre degré, Boris Johnson. Mais leur annonce de la « fin du néolibéralisme » ne convainc guère : on peut, au contraire, attribuer bien des évolutions qu’ils décrivent aux logiques profondes d’un capitalisme qui engendre la lutte de tous contre tous et à la radicalisation du néolibéralisme dans un contexte de crise économique. Quoi qu’il en soit, le livre de B&B est utile car comme le souligne le titre de leur dernier développement, il est important de « connaître son adversaire ».

  • 1. Marlène Benquet est, entre autres travaux, l’auteure d’un livre sur la grande distribution « Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution », La Découverte. Voir sur le site du NPA https://www.npa2009.org/…
  • 2. Cf. Les luttes de classe en France, 1850. https://www.marxists.org…