À regarder le défilé des plans sociaux et des réductions d’effectifs de toutes les manières possibles revient en mémoire le cri de joie de Jo Moore : cette conseillère du ministre britannique des transports s’était réjouie dans un courriel interne de la « chance » offerte par Al-Qaida : « C’est une très bonne journée pour sortir toutes les mauvaises nouvelles. ».
Le coronavirus sert ainsi à faire passer une couche supplémentaire de mesures antisociales. Les déclarations répétées de Macron tout au long du mois de juillet montrent qu’il ne renonce à rien, en particulier pas à sa politique fiscale : la Convention citoyenne pour le climat s’est faite sèchement rembarrer quand elle a osé suggérer une surtaxe sur les dividendes ! A été aussi annoncée une baisse de 20 milliards d’euros (10 milliards en 2021 et autant en 2022) de l’imposition des entreprises (des impôts dits « de production ») tandis qu’est maintenue la baisse programmée de l’impôt sur les sociétés.
Le nouveau Premier ministre, Castex, est chargé d’engluer les prétendus « partenaires sociaux » pour leur faire avaler cuillerée après cuillerée les décisions gouvernementales. Pas moins de quinze concertations ou négociations sont annoncées. Certes, sont claironnés des délais supplémentaires pour la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage. C’est bon à prendre mais rien n’est changé sur le fond.
Le grand patronat, pour sa part, est bien décidé à emmagasiner le plus possible de gains le plus vite possible. Il se bat sur trois fronts. D’abord les crédits publics : il s’agit d’en obtenir le plus possible quelle qu’en soit la forme – subventions, prêts, baisse d’impôts, report d’échéances fiscales et sociales. Ensuite, des « assouplissements » supplémentaires du Code du travail au nom de la crise. Enfin, les suppressions d’emplois sous toutes leurs formes.
Certes, des artisans, petits commerçants et PME ont de vraies difficultés liées en grande partie à la pandémie et à un rebond vraisemblable à l’automne prochain. Mais la situation est tout autre pour les grands groupes qui ont accumulé les bénéfices et profitent de milliards d’aides de l’État. Le PDG d’Air France, Ben Smith, ne cache pas ses objectifs : « Tout ce que les précédents dirigeants n’ont pas été capables de faire, il faudra que ce soit moi qui le fasse ». Ainsi, l’État avait garanti un prêt de sept milliards à Air France, à quoi s’ajoute un plan de relance pour le secteur aéronautique… Air France va supprimer 7 500 emplois.
L’État annonce une aide de plusieurs milliards à Renault et un plan de soutien à l’automobile. Quelques jours plus tard, Renault annonce la suppression de 15 000 emplois, dont 4 600 en France ainsi que la fermeture de plusieurs établissements. PSA de son côté s’attaque aux conditions de travail en généralisant les « prêts de personnel » et le télétravail et engage, elle aussi, des suppressions d’emplois, à commencer par les intérimaires. Du côté des grands groupes, les annonces macabres se succèdent donc.
Deux cas apparaissent particulièrement significatifs : Sanofi et Nokia. Emmanuel Macron se rend dans une usine Sanofi pour annoncer un soutien à la relocalisation de l’industrie pharmaceutique et à la recherche. Quelques jours plus tard, Sanofi annonce des suppressions d’emplois ! Et Sanofi n’a pas renoncé au versement de quelques 4 milliards d’euros de dividendes en 2020 ! Nokia, pour sa part, veut se débarrasser de 1233 employés de sa filiale française, l’ex-Alcatel racheté en 2015. Comme l’a déclaré un délégué syndical CFDT : « il y a beaucoup de rage. Ce n’est pas le Covid-19 » qui provoque ce nouveaux plan. Dès « le 16 mars, tout le monde était en télétravail, tout le monde a continué à bosser. Il n’y a pas eu d’arrêt des activités. On a même sorti des produits en avance sur les plannings ». Ce plan social est « purement financier ». Même Laurent Berger s’énerve et compare le comportement de certaines entreprises à celui d’« un pétrolier qui, quand il y a une marée noire, vide ses cuves au large en se disant “ni vu ni connu” ».
Mais il ne suffit pas de dénoncer quelques patrons plus voyous que d’autres. Une offensive globale contre le monde du travail est en cours à la faveur de la crise. Peu importe la casse sociale, peu importe la ruine des territoires.
Les rêveries sur le « jour d’après » cèdent la place à la lutte des classes menée de façon résolue par « ceux d’en haut ». Pourtant, du côté de la gauche officielle, les plans pour préparer les futures présidentielles semblent prioritaires sur toute autre considération.
Certes, la convergence des luttes ne se décrète pas. Mais face à une offensive centralisée et cynique, la coordination des ripostes devrait être à l’ordre du jour. Du côté syndical, seule est annoncée nationalement une journée de mobilisation le 17 septembre prochain. Malgré ses limites, il est possible que certains secteurs du salariat s’en emparent pour exprimer leur volonté de lutte. À nous d’y travailler.