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Publié le Dimanche 31 mai 2015 à 15h10.

Tenter de comprendre la phase actuelle du capitalisme : un retour sur les ondes longues

La crise actuelle est marquée par un bouleversement du monde  qui confronte les économistes à des questions difficiles.

-       Articulation crise financière et crise de l’économie réelle ?

-       Spécificités  de la crise européenne ?

-       Situation de la Chine (modèle de développement, ralentissement actuel, articulation avec crise capitaliste internationale)  ?

-       Quelle sortie de crise ?

Pour y faire face quelle est la pertinence des travaux d’Ernest Mandel sur les ondes longues (enfin traduits en français) (« Les ondes longues du développement capitaliste », Sylllepse 2014) ?

 

1.      Au risque de simplifier exagérément, on peut distinguer trois modèles essentiels de compréhension de la crise actuelle parmi les marxistes aujourd’hui

(1)    Uu marxisme parfois  quasiment réduit à un schéma dont certains des tenants sont ainsi dénoncés par K. Lapavistas comme ceux  «  qui croient que le marxisme et l’analyse marxiste du capitalisme peuvent être plus ou moins condensés dans la baisse tendancielle du taux de profit… Ce ratio, pour une partie de ces gens, indique tout ce qui est nécessaire de savoir au sujet du passé, du présent et de l’avenir du capitalisme » (K. Lapavistas).

Michael Roberts peut être considéré comme un des exemples de ce courant (son blog est très suivi et souvent intéressant. Malgré parfois leur schématisme ou leurs volontarisme statistique (Michael Roberts n’hésite pas à calculer un taux de profit mondial incluant la Chine), les auteurs de ce courant ont eu le mérite d’insister sur la question du taux de profit éludée par les économistes keynésiens.

Et certains ont su intégrer évolution du taux de profit et éléments contextuels pour produire des travaux de qualité : parmi les plus récents sur un sujet d’actualité, « Greek Capitalism in Crisis Marxist analyses », Edited by Stavros Mavroudeas- Routledge 2014

www.gbv.de/dms/zbw/779313909.pdf

 

(2)    Les conjonctures historiques spécifiques. A l’inverse des précédents, les tenants de ce type de positions (tout en ne remettant pas en cause le rôle du taux de profit) mettent l’accent pour expliquer les grandes périodes sur la spécificité des conjonctures historiques.

Isaac Johsua, en France, est un exemple de ce type  d’approche. D’abord, dans son analyse de la crise de 1929 centrée deux aspects essentiels : la fin d’une époque où le capitalisme américain encore semi-agricole avait  en son sein des mécanismes amortisseurs et l’entrée dans un monde où les USA commençaient à détrôner le Royaume-Uni en tant que puissance dominante sans vouloir encore en jouer le rôle1. Ensuite dans son  approche des « Trente glorieuses » européennes qui donne un rôle primordial au « rattrapage » des niveaux de productivité américains.

 

(3)    Enfin l’approche, moins à la mode, des ondes longues « à la Mandel ». Cette problématique s’inscrit dans le sillage des travaux de Kondratieff au début des années 20 et des observations faites à l’époque par Trotsky.

La force de cette approche a été d’intégrer deux éléments :

                                                                          i.      Le rejet du catastrophisme : le capitalisme serait toujours et en permanence au bord de la crise. Ce débat a, d’une certaine façon, eu lieu en URSS au début des années 20. L. Trotsky (« Rapport sur la crise économique mondiale’, 1921) : « … aussi longtemps que le capitalisme reste en vie, il continue d’inspirer et d’expirer ».

                                                                        ii.      La mise en place d’une approche intégrée dans le sillage du programme de recherche défini par Trotsky en 1923 (« La courbe du développement capitaliste ») :

« Quelles sont les perspectives que devrait, en conséquence, se fixer la recherche ? Etablir la courbe du développement capitaliste dans ses phases non périodiques (de base) et périodiques (secondaire) et ses points de rupture, en ce qui concerne les pays auquel nous portons le plus d'intérêt et en ce qui concerne le marché mondial dans son ensemble, telle est la première partie de la tâche. Une fois cette courbe tracée (les méthodes de fixation de cette dernière constituent un problème spécifique appartenant au champ de la technique statistique), il est possible de la décomposer en périodes, dépendant de l'angle d'ascension ou de déclin, relativement à l'axe des abscisses (voir le graphique). Nous obtenons dans cette voie un schéma du développement économique […] Avec ces schémas au point de départ, leur synchronisation avec les évènements politiques (au sens le plus large du terme) permettant de rechercher la correspondance ou, pour nous exprimer plus prudemment, l'interrelation entre époques délimitées de la vie sociale et les segments les plus nets de la courbe du développement capitaliste, mais également les impulsions souterraines qui provoquent les évènements. »

Ces citations de Trotsky permettent de  montrer la permanence des questions posées lors du débat autour des positions de Kondratieff dans l’URSS du début des années 20.

 

II.    Les « ondes longues » : une pertinence maintenue ?

Dans les années 70, la volonté de périodisation de l’histoire du capitalisme était très prégnante, y compris au-delà des marxistes, allant du meilleur (le versant marxiste des régulationnistes avec P. Dockès et B. Rozier) au mauvais (les technicistes à l’affut de la bonne technologie susceptible de faire redémarrer le capitalisme).

 

 

« La pulsation de l’Histoire » (F. Louça, dans son introduction à la traduction française de « Les ondes longues du développement capitaliste », Sylllepse 2014)

 

Phase

ascendante

Phase descendante

1ère onde longue

1789-1816

1816-1847

2ème onde longue

1848-1873

1873-1896

3ème onde longue

1896-1919

1920-1939/45

4ème onde longue

1940/45-1967/73

1968/73- ?

 

La popularité de cette démarche s’est estompée, sauf un retour périodique de schémas technicistes aux prévisions toujours démenties. Parmi les raisons de ce déclin, les incertitudes sur  l’analyse, dans le cadre des ondes longues, de la période ouverte depuis 1973.

Outre les problèmes statistiques (qui renvoient à la difficulté de calculer un taux de profit a partir des données disponibles), trois questions au moins sont posées :

 

a/ Depuis les années 70, la même crise ? C’est la position dominante avec des nuances chez ceux qui se revendiquent des ondes longues.

Ainsi Robert Brenner parle du « long downturn 1973-2007 »2.

b/ Comment interpréter la phase néo-libérale ? Cette analyse des années 1973-2007 comme période fondamentalement unifiée amène à s’interroger sur la cohérence systémique des mutations de l’économie mondiale intervenue lors de la phase néo-libérale qui a non seulement été marquée   par une augmentation du taux de profit (ce que nie Alan FreemanAlan Freeman (2013), The profit rate in the presence of financial markets: a necessary correction Journal of Australian Political Economy n°70, summer 2012.. http://gesd.free.fr/free…]) mais aussi par des transformations majeures :

  • Le développement de nouvelles technologies ;
  • L’introduction des nouvelles méthodes travail (toyotisme, etc.)
  • La précarisation de la main d’œuvre (et une remise en cause inégale selon les pays) des droits sociaux
  • Une série des défaites des travailleurs des pays de l’OCDE et un recul de la syndicalisation
  •   La chute du bloc soviétique
  • Le retour progressif de la Chine au capitalisme et son insertion dans le marché mondial.
  • La mise en concurrence directe des travailleurs au niveau mondial
  • Last but not least, la libéralisation financière et l’expansion du capital fictif, c’est-à-dire de droits de tirage sur la plus-value non encore produite. 

 

c/ Et la crise actuelle ? Son devenir ?

Au fur et à mesure que nous nous éloignons de 2007-2008, il apparaît que l’évolution de la crise pose des questions épineuses.

  • La crise dans sa phase actuelle s’accompagne d’une évolution différenciée des conjonctures. La question posée ici  n’est pas celle des BRICs (et notamment de la Chine ; le Brésil, quant à lui, est en difficulté) mais du cœur (jusqu’à présent) de l’économie capitaliste avec le décalage Europe continentale/USA et ceux existant au sein même de l’Union européenne. Décalages qui semblent contraster avec les tendances à la mondialisation de la finance et des marchés en général.  A quoi cette déconnexion des conjonctures renvoie-t-elle :

o        Des rythmes différents dans la restructuration de l’appareil productif et de la restauration des taux de profit ? « Dans l’industrie le coût unitaire de la main-d’œuvre a baissé de15% aux Etats-Unis en dollars, alors qu’il augmentait en euros de 4% en France et de 22% en Italie et qu’il baissait de 2,5 % en Allemagne. Les salaires ont donc bien été contenus outre-Atlantique par rapport à la croissance de la productivité, cet avantage coût étant encore renforcé par la faiblesse du dollar ».

 

o        Les politiques économiques ? Cette question concerne  notamment la zone €. Sur ce dernier point, un débat important existe par rapport aux keynésiens qui en font le facteur essentiel des spécificité de la crise en Europe .

o        Etc.

 

  • On ne sort pas d’une « grande crise » par les mécanismes cycliques C´était un point essentiel de divergence entre Trotsky et Kondratieff : pour Trotsky (et Mandel), les causes du retournement de l’onde longue expansive sont endogènes au mouvement du capital ;  par contre, le passage à une nouvelle longue expansive met en jeu des facteurs extra-économiques.

Ainsi, le discours habituel des marxistes à propos de l’Europe actuelle est que la sortie de crise passe du point de vue du capital par la remise en cause  des « compromis sociaux » hérités de l’après-guerre et des luttes des années 60 et une « purge » des capacités productives.

Mais quid du reste du monde : peut-on vraiment considérer que les USA ont d’ores et déjà opéré les transformations nécessaires à la sortie de crise ? 

  • Par ailleurs, le ralentissement chinois est-il un élément « détachable » du contexte économique global ?

 

Un nouvel épisode de crise financière éclairerait la situation. La politique des banques centrales, la volatilité de plus en plus grande des marchés financiers, le développement du « shadow banking » en créent la possibilité…  En avril dernier, Jamie Dimon le PDG de J-P Morgan soulignait ainsi la possibilité d’une crise plus grave qu’en 2008. 

*

*  *

 

En conclusion, un vaste programme de recherche semble ouvert :

a/ Ce programme doit d’abord  intégrer l’élargissement du « cadre géographique pertinent » (pour reprendre l’expression d’E. Mandel). Il n’est plus possible de se concentrer seulement sur les USA et l’Europe occidentale en considérant que cela suffit à représenter le capitalisme mondial. Il faut évidemment tenir compte du « basculement du monde », c’est-à-dire essentiellement la montée de la Chine parmi les acteurs majeurs du capitalisme international. Ce qui suppose une capacité à analyser l’économie chinoise, de son niveau technologique aux exportations de capitaux. L’importance de cette question est soulignée par Michel Husson (dans « Théorie des ondes longues et crise du capitalisme contemporain »)

b/ Il doit également intégrer les apports des travaux économiques actuels, en particulier ceux sur «  la stagnation séculaire », c’est-à-dire l’hypothèse que quelque chose serait « cassé » dans la dynamique de long terme du capitalisme avec notamment le décalage entre diffusion des NTIC et gains de productivité.

c/ Enfin, il y a la question du temps très long (au-delà des ondes longues) (cf. crise écologique) et de son articulation avec les autres rythmes économiques. I. Johsua a posé une question de ce type avec ses travaux sur l’impact du retournement démographique.

Henri Wilno 

  • 1. Isaac Johsua, « La crise de 1929 et l’émergence américaine », PUF, 1999.
  • 2. Robert Brenner, « WHAT IS GOOD FOR GOLDMAN SACHS IS GOOD FOR AMERICA, THE ORIGINS OF THE CURRENT CRISIS », Center for Social Theory and Comparative History, UCLA, 18 April 2009 http://www.sscnet.ucla.e…] et précise :

    « The fundamental source of today’s crisis is the steadily declining vitality of the  advanced capitalist economies over three decades, business-cycle by business-cycle, right into the present.  The long term weakening of capital accumulation and of aggregate demand has been rooted in a profound system-wide decline and failure to recover of the rate of return on capital, resulting largely—though not only--from a persistent tendency to over-capacity, i.e. oversupply, in global manufacturing industries.  From the start of the long downturn in 1973, economic authorities staved off the kind of crises that had historically plagued the capitalist system by resort to ever greater borrowing, public and private, subsidizing demand.  But they secured a modicum of stability only at the cost of deepening stagnation, as the ever greater buildup of debt and the failure to disperse over-capacity left the economy ever less responsive to stimulus. »

    Brenner insiste sur l’incapacité du capitalisme à revenir dans les années 80 au niveau antérieur du taux de profit. Par ailleurs, il relativise l’impact de la crise financière : « It is crucial to emphasize that the descent into recession was already well in progress before the outbreak of the financial crisis in July-August 2007 ».

    Cette analyse de la période 1973-2007 comme phase régressive de l’onde longue se retrouve avec une argumentation non fondée sur le taux de profit chez Michel HussonMichel Husson,  « La théorie des ondes longues et la crise du capitalisme contemporain » postface à Ernest Mandel, Les ondes longues du développement capitaliste, Syllepse, novembre 2014 http://hussonet.free.fr/…] : « malgré le rétablissement du taux de profit, le capitalisme  mondial n’est pas entré dans une nouvelle phase expansive. Il lui manque essentiellement trois attributs : un ordre économique mondial cohérent, des terrains d’accumulation rentable suffisamment étendus et un mode de légitimation sociale ».

    Il y avait eu dans les années 80 un débat (limité) sur cette question parmi les économistes de la LCR. Pour une position minoritaireHenri Wilno, "Un nouvel ordre productif ?", Inprecor n° 451, octobre 2000.