Publié le Mercredi 3 septembre 2014 à 09h31.

Les réformes du gouvernement dans l'éducation

Introduction d'un débat à l'université d'été 2014 du NPA par Eric. 

Les décrets Peillon-Hamon d’Août 2014

 

Si l’on veut définitivement se convaincre de la continuité et du caractère absolument nocif de la politique éducative du gouvernement (et soi-dit-en-passant du dialogue social qui l’accompagne), il suffit de se référer aux deux derniers décrets que vient de publier Hamon.

Dans le 1er degré, outre la partie consacrée aux REP+, le décret présenté comme une adaptation à la « réforme » des rythmes scolaires explique que « les personnels enseignants du 1er degré chargés soit de fonctions de remplacement, soit de l’accomplissement d’un service hebdomadaire partagé entre plusieurs classes d’une même ou de différentes écoles assurent les heures d’enseignement auxquelles les élèves des classes où ils interviennent ont droit », y compris donc en dépassant les ORS ce qui ouvre droit à un temps de récupération équivalent défini par l’autorité académique, en clair un début d’annualisation.

Voilà qui a le mérite d’enfoncer le clou sur ce qui a réellement motivé cette contre-réforme, à savoir outre la remise en cause du cadre national (horaires-pedt), la volonté également de remettre en cause le statut des enseignants.

L’autre décret publié par Hamon concerne, et c’est une nouvelle appellation, les ORS et les missions des enseignants du secondaire, un décret d’autant plus considérable qu’il est supposé entrainer dans un an l’abrogation des décrets de 50. Ce n’est pas rien tant il s’agissait d’une ligne de défense qui a freiné voire empêché la mise en place des contre-réformes : on pense ici au socle commun notamment mais plus généralement aux différentes dispositions de la loi Fillon par exemple.

Le phénomène était tel que la bourgeoisie pestait depuis des décennies contre ces décrets, le dernier exemple en date étant le rapport de la cour des comptes de 2013 qui déplorait que les seules obligations auxquelles les collègues étaient astreints, c’était les heures de cours disciplinaires et hebdomadaires.

Il ne s’agit ici ni de dire que ces décrets étaient la panacée ou encore d’expliquer que le gouvernement serait en passe de remplir tous ces objectifs avec ce décret. Par contre, il est sur le point, si ça devait se confirmer bien sûr de parvenir à « une avancée historique » pour reprendre les mots de Peillon, en intégrant dans les obligations toute une série de missions autres que l’enseignement. Désormais, le service, ce sera les cours d’un côté et toute une série de tâches locales soumises à contrôle et comptabilité des chefs d’établissements.

Sans cela et le gouvernement lui-même le sait, les différents rapports en attestent, tout le reste ne rentrera pas en application. C’est par exemple la conditions nécessaire (mais pas suffisante) pour en finir avec deux éléments qui gênent beaucoup :

-       Les disciplines dans le secondaire et encore davantage au collège.

-        La séparation entre l’école primaire et le collège.

 

Une réforme annoncée du collège

 

Prenons l’exemple de la réforme annoncée du collège. On trouve ainsi des précisions sur le sujet dans le dossier ministre publié par Médiapart : le collège est ainsi décrit comme un « petit lycée » aux missions « mal définies ».

Les critiques adressées au collège sont éloquentes :

« des horaires communs et toujours déclinés hebdomadairement », « un enseignement identique pour tous défini par le socle commun et les programmes d’enseignement », « manque d’autonomie des établissements laissant peu de place aux initiatives locales », « mauvaise articulation entre enseignement commun à tous les élèves et adaptation à leurs besoins », « les enseignements demeurent la plupart du temps dispensés selon la règle : un enseignant, une heure, une classe », « la nature disciplinaire des programmes obère les enseignements à vocation transversale », « les programmes d’enseignement ne sont pas modulables, rendant difficile leur adaptation au parcours de chaque élève »

Le dossier ministre rappelle les orientations tracées par la loi d’orientation : tronc commun + enseignements complémentaires (visant notamment à acquérir le socle) + des marges de manœuvre locales dans la DHG (on parle de temps d’accompagnement pédagogique pour certaines disciplines et d’un volant d’heures professeur « pour donner aux équipes davantage d’autonomie »).

Le texte mentionne une évolution de plusieurs textes réglementaires (textes relatifs au socle, aux programmes mais aussi aux horaires et à l’organisation des programmes).

Ce texte, et c’est important, appelle à la vigilance s’agissant du statut des enseignants : « les choix devront être compatibles avec les évolutions de ce statut ». Et d’appeler à accompagner ces changements, parce que des changements importants sont annoncés. Difficile d’ailleurs de séparer les questions que sont le socle, les programmes et l’évaluation.

 

Sur le socle commun

 

Ici, l’objet avait été explicité dès la loi d’orientation, afin de ne pas revivre les même soucis qu’avec le socle de 2006 : « il s’agit de mieux l’articuler avec les enseignements afin qu’il devienne le principe organisateur de l’enseignement obligatoire ».

Dans ce « nouveau » socle, il y a 5 domaines (plutôt que les 7 compétences clés). Il est précisé que « chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de toutes les disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à tous les domaines ».

-       Sur le 1er domaine (les langages pour penser et communiquer), on est sidéré de voir, s’agissant paraît-il du domaine le plus fondamental, la faiblesse du contenu, son vide d’un point de vue disciplinaire. Le plus important pour l’élève : « cette maitrise le rend capable d’apprendre, de réaliser des tâches et de résoudre des problèmes, elle est indispensable pour accéder à d’autres savoirs et à une culture équilibrée ».

 

-       Le 2ème domaine, c’est quand même « apprendre à apprendre ». Le texte explique même : « les méthodologies du travail ne s’apprennent qu’en situation. Mais il faut leur consacrer le temps nécessaire et les explications suffisantes ».

 

-       Le 3ème domaine (formation de la personne et du citoyen), de type comportemental. L’enseignement moral et civique ainsi que le parcours d’orientation et de découverte des métiers tiendront une place de choix.

 

-       Le 4ème domaine (l’observation et la compréhension du monde). Il est écrit : « la compréhension d’une réalité complexe demande de croiser apports des différentes disciplines. On ne peut attendre de l’élève qu’il établisse de lui-même les connexions entre les différents enseignements qu’il reçoit. La conduite de projets menant à une réalisation concrète est l’occasion de mobiliser les savoirs et d’opérer des liens entre les disciplines, c’est aussi le moyen d’apprendre à s’engager dans le cadre d’un travail collectif ». No comment.

 

-       Le 5ème domaine (les représentations du monde et l’activité humaine), on est frappé par le fait que l’enseignement est réduit aux « notions de base ».

 

 

Bon, la direction du SNES explique que ce socle lui convient, qu’il constitue une bonne base de consultation de enseignants (prévue à l’automne dans les écoles, les collèges et les lycées). Le SNES juge que les items et compétences ont disparu, que le principal est de « dépasser l’opposition connaissances/compétences en recherchant l’adhésion la plus large possible » et que la décision du CSP « de ne pas traiter en détail de l’évaluation du socle et de son articulation avec le diplôme national du brevet » est « un choix sage ».

 

C’est assez significatif d’une orientation mais il y’a en plus quelques problèmes :

-       Les items ont disparu : ce n’est pas vrai ! D’ailleurs, un des membres du CSP explique que les 7 compétences clés y sont plus que jamais présentes, à commencer par « apprendre à apprendre. Plus grave, on apprend dans le dossier ministre que tout est déjà prévu avec un nouveau livret de compétences (Le LSUN, livret scolaire unique numérique) qui doit être mis en place à la rentrée 2016), ce qui confirme que les compétences sont toujours là.

 

-       Autre élément, la charte des programmes. Un des responsables du CSP a dit s’agissant du socle que c’était « le programme des programmes », en clair une première étape destinée à lancer la suite de l’opération beaucoup plus sensible. D’ailleurs, il faut se souvenir que la direction de la FSU, bien consciente de ce qui est en train de se tramer, avait demandé et obtenu un décalage d’un an pour les nouveaux programmes arguant que le calendrier était intenable.

En lisant la charte des programmes, on comprend définitivement que le gouvernement et son CSP travaillent à la mise en place des « curriculum ». Ainsi, cette charte précise, pour bien indiquer l’axe de la politique du gouvernement : « le socle commun relève d’un document qui constitue le programme général correspondant aux cycles de l’école élémentaire et du collège. Il définira les grands domaines de la formation des élèves en visant leur cohérence d’ensemble ».

Tirant toutes les conséquences de la concurrence entre les programmes et le socle, la solution est toute trouvée : les programmes, c’est le socle.

Reste maintenant à le décliner suivant une logique nouvelle : par cycles puis par domaines de formation et enfin par disciplines.

Dans ce cadre, les programmes deviennent une simple « norme », une « référence », « ils n’ont pas vocation à entrer dans le détail de la mise en œuvre ». Partant de là : « dans le cadre de la référence nationale que constituent les programmes, les modalités de mise en œuvre que sont amenées à définir les équipes pédagogiques pourront être formalisées dans un document spécifique . Celui-ci permettrait d’expliciter les modalités retenues, en fonction des acquis, de la culture, des goûts et des difficultés des élèves, des projets d’école ou d’établissement, des enseignants, des ressources culturelles, naturelles et économiques locales, des collaborations engagées entre les différents professionnels de niveaux et disciplines différents, ainsi que des projets éducatifs locaux ».

C’est bien la logique du « curriculum » : s’en prendre aux programmes annuels, disciplinaires et nationaux. 

 

-       L’autre élément lié aux compétences, c’est bien sûr l’évaluation. À telle enseigne qu’avant sa démission Hamon avait annoncé une « conférence de consensus » sur le sujet à l’automne, pour aller vers une évaluation « positive », c’est à dire « la fin des notes à bon escient » dixit Hamon.

En fait, cette idée n’avait pas germé par hasard dans le cerveau de Hamon, le principe d’une conférence sur l’évaluation avait été acté avant, on le trouve déjà dans le dossier ministre, à la suite d’un rapport de l’inspection sur le sujet en Juillet 2013.

Dès le début de ce rapport, on comprend les enjeux : « des incohérences entre la notation habituellement mise en place dans les classes et lors des examens et l’objectif de la validation par compétences sont notamment apparues avec de réelles difficultés de mise en œuvre lorsque les deux systèmes d’évaluation coexistent »

Ce rapport permet de voir sans équivoque que la question de l’évaluation « positive » est conçue comme un appui pour mettre en place les compétences.

Ça s’inscrit également dans la perspective de casse du statut. Citant des expérimentations (évaluations sans notes), le rapport précise : « on assiste ainsi à des changements importants de pratiques dans le rapport entre professeurs, élèves et savoirs, la notion de travail individuel du professeur dans sa discipline se trouvant alors dépassée au bénéfice d’un travail plus collectif et transversal ». Ce rapport explique même que les difficultés de mise en place de l’évaluation par compétences tient à la « nécessité de mobiliser du temps de concertation », avant d’ajouter que « les inspecteurs généraux ne peuvent que constater que la pérennité de ces innovations rencontre à un moment ou à un autre la question des statuts et des missions des professeurs ».

Pour définitivement se convaincre de ce dont il s’agit, le rapport affirme : « l’absence de choix entre l’évaluation par compétences ajoutée à la volonté d’évaluer de manière exhaustive toutes les disciplines entretient la confusion entre les différentes modalités d’évaluation et conduit à laisser le champ libre à des choix individuels », « l’impossibilité actuelle de mettre en place une scolarité obligatoire unifiée et de repenser le statut des professeurs (missions/polyvalence) ne permet pas un véritable travail en commun au sein des écoles, des collèges et entre écoles et collèges ».

Les recommandations du rapport ne peuvent surprendre :

« lever l’ambiguïté du concept de liberté pédagogique au regard de la nécessité de rendre compte des résultats des élèves » (préconisation reprise par Hamon fin Juin à la radio dans rue des écoles), « articuler les programmes avec des modalités de l’évaluation qui doivent définir ce qui est exigible » et enfin « faire évoluer et rapprocher les statuts et fonctionnement des professeurs des écoles et collèges afin d’assurer la concertation, le travail en équipe pédagogique et aller vers l’unification de la scolarité obligatoire ».

 

Un exemple concret : l’éducation prioritaire

 

L’éducation prioritaire préfigure tout ce qui risque d’arriver si une telle politique n’est pas stoppée, on peut le dire de cette manière.

Tout d’abord, Précisément, le plan du gouvernement est accompagné d’un référentiel des « meilleures pratiques » destiné à « offrir un cadre structurant », de fait en opposition avec le cadre national. Tous les REP devront établir un projet de réseau sur la base de ce référentiel.

Il faudra y définir les objectifs et les actions retenues. La 1ère version expliquait même que ces projets vont régler la vie des écoles et établissements rattachés. 2 instances (le comité de pilotage et le conseil école-collège) seront chargés de mettre en place cette politique au « plus près des configurations et besoins locaux ».

La liberté pédagogique des enseignants s’exercera dans le cadre du référentiel. Ainsi, pour les nouveaux venus, il est recommandé de mettre en place des entretiens afin de les informer des « projets du réseau, des orientations pédagogiques et des modalités de travail en équipe ». Les enseignants récalcitrants (présentés comme des enseignants en difficulté) feront l’objet d’un « suivi personnalisé », tous les autres devront suivre des formations obligatoires, celles-là même que le projet de réseau rendra nécessaires. Dans cette logique, les recrutements locaux sont inévitables, ce qui sera le cas dans l’académie de Versailles.

Dernière chose sur l’aspect local, Chaque réseau devra établir des liens avec les associations et les diverses structures périscolaires dans « un souci de cohérence et de complémentarité des apprentissages », dans la logique du projet éducatif territorial.

 

Mais, il est vrai que la question de la pondération REP+ a accaparé les regards. Mais il y a des contreparties annoncées clairement dans le plan avec un temps de travail collectif (1h30 par semaine en collège et 9 jours par an en école). En somme, c’est une nouvelle obligation de service, ce dont attestent tous les textes.

Dans les collèges, cela ce traduit de cette manière. Le principal du collège R.Desnos d’Orly : « le temps institutionnel attribué pour travailler ensemble et le temps de concertation dégagé pour les équipes éducatives caractérisent l’avancée majeure qu’est la mise en place des REP+ » ; au collège Quinet de Marseille, les « heures libérées » seront également utilisées par le principal ; Le Mercredi après-midi est parfois évoqué pour les réunions inter-degrés. Le SNES Créteil expliquait en Juin : « il a été dit aux collègues que cette pondération serait inscrite dans les services ».

 

Bon, il y a la position du SNES sur le sujet, mais le plus important est de voir pourquoi ce temps de concertation est tellement important pour le gouvernement.

 

Selon le référentiel, ces temps de concertations, en termes pédagogiques ou pour le suivi des élèves doivent avoir des objectifs bien identifiés, en appui sur des coordonnateurs et des instances (conseils école-collège, conseils de cycles ..) qui doivent prendre leur envol.

Des pistes d’évolution pédagogique sont tracées : « plus de maitres que de classes », « co-présence», usage du numérique, « un temps mobile » adapté aux besoins. Le gouvernement n’évoque ici jamais le nombre d’élèves par classes, les seuils, les dédoublements ou encore les besoins en personnels (spécialisés), ce qui indique à quel point son plan en constitue l’antithèse. De même, pas d’augmentation des horaires disciplinaires, il est vrai que le principal est de garantir le « lire, écrire, parler » avec un enseignement plus « explicite » des compétences.

 

En plus, il y a de nouvelles obligations dans les REP+ : accompagnement continu en 6ème  (il faudra même « établir des liens entre le dispositif et le reste des cours »), encadrement de 2 heures autour du logiciel d’col, soutien méthodologique et tutorat, groupe de prévention contre le décrochage scolaire et commission de suivi des élèves en grande difficulté, des relations accrues avec les parents et les « partenaires ». La continuité école-collège au « cœur du projet de réseau », une « politique d’orientation » avec la mise en place pleine et entière du parcours d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel en lien avec les collectivités locales et les « partenaires socio-économiques ». Pour parvenir à tout cela, le travail collectif sera évidemment essentiel.

 

Les collègues du collège République de Bobigny notent que : « Ces missions supplémentaires nécessaires vont rester hélas pour nos élèves des incantations ministérielles puisque nous avons des moyens horaires en baisse cette année. ». C’est possible que les moyens ne suivent pas,  mais il est certain que le gouvernement veut aller parce qu’il n’a pas le choix, vers l’intégration au service des enseignants de toute une séries de missions définies localement, aboutissant à l’augmentation de la charge de travail et à la minoration de l’enseignement en tant que tel. Dans son rapport de Mai 2013, la cour des comptes expliquait que « selon les lieux, les élèves peuvent avoir un besoin plus ou moins important de cours magistraux ou d’une aide individualisée » et de recommander de « moduler la répartition des obligations de service des enseignants en fonction des postes occupés et des besoins des élèves ». La pondération dans les établissements REP+ est un premier pas pour aller vers la modulation des services et leur adaptation aux contextes locaux. Le principal d’Orly juge ainsi que ce plan va permettre de « préfigurer l’évolution du métier d’enseignant dans tous les établissements qui ne se résume plus au face à face  pédagogique » et de « construire une culture professionnelle inter-degrés pour enseigner en éducation prioritaire ». Avant de conclure qu’il s’agit désormais de « s’appuyer sur la logique des compétences pour aller progressivement vers la transdisciplinarité »

 

On le voit, les multiples contraintes annoncées dans le référentiel, leur caractère local sont la traduction pour l’EP des « missions liées » du nouveau décret statutaire. Avec le « nouveau » socle et la modification des programmes suivant la logique des  « curriculum », ça ouvre la voie à une déclination locale des enseignements disciplinaires en fonction des besoins locaux.

Assurément, le plan Peillon-Hamon indique la volonté du gouvernement de doter un certain nombre d’établissements de l’EP, d’un caractère propre comme on dit dans le privé, avec un enseignement au rabais, basé sur de vagues compétences dans le cadre de l’école du socle. Ça doit définitivement éclairer sur la nature du nouveau décret statutaire censé également « reconnaître » les nombreuses tâches effectuées par les enseignants, sur les « curriculum » ou l’évaluation « positive ».

Dans ce contexte, il nous faut exiger le retrait du plan pour l’éducation prioritaire, l’abrogation du décret statutaire. Militer pour le boycott de la consultation annoncée sur le socle et plus généralement pour la rupture des concertations syndicats-gouvernement visant à mettre en place la loi Peillon.