Publié le Lundi 4 avril 2016 à 11h39.

31 mars : une nouvelle marche vers une mobilisation générale contre la loi Travail

Par Léon Crémieux, pour la revue Viento Sur. La journée nationale de grèves et de manifestations du 31 mars a été sans contestation possible un réel succès :

L’Intersyndicale annonce plus de 1 million de manifestants dans 260 villes. Le 9 mars, les chiffres annoncés étaient de 450 000 dans 170 villes. La police elle-même avec ses chiffres reconnaît que le nombre de manifestants était le 31 mars deux fois plus important que le 9 mars.

Entre-temps, les 17 et 24 mars les lycéens et les étudiants avaient organisé deux autres mobilisations rassemblant aussi dans de nombreuses manifestations des cortèges d’entreprises.

Dans la plupart des villes, les cortèges étaient nettement plus nombreux que le 9, et même à Paris, malgré la pluie battante.

De nombreux nouveaux secteurs étaient en grève dans le public comme le privé. A la SNCF, plus de 40% de cheminots étaient en grève, contre  la loi El Khomri, mais aussi contre un décret -socle fixant la base d’une future déréglementation du statut des cheminots.

La mobilisation de la jeunesse s’est aussi étendue depuis le 9 mars. 250 lycées bloqués le 31 mars contre 120 le 9 mars et 200 le 17 mars. La mobilisation étudiante est plus longue à s’étendre mais les comités de mobilisation se développent dans des dizaines d’Université.

Beaucoup de jeunes des quartiers populaires, plus que le 9 mars, étaient présents dans les manifestations.

La police est intervenue dans plusieurs villes avec de multiples provocations et actes de violence contre les jeunes à l’image de l’agression commise à Paris le 24 mars contre un jeune lycéen du XIXème arrondissement de Paris.

Le mouvement s’étend donc avec en ligne de mire le début du débat parlementaire sur la loi prévu le 9 mai.

Cette mobilisation est d’ores et déjà la plus massive subie par un gouvernement depuis 2010 où les grèves, les manifestations  et les blocages n’avaient pas réussi à bloquer une nouvelle attaque contre le système des retraites. Mais ce que tout le monde a en tête désormais c’est 2006 avec le mouvement victorieux contre le CPE, « contrat première embauche » que le gouvernement De Villepin avait dû retirer face à une mobilisation massive de la jeunesse soutenue par les salariés.

Le contexte n’est plus le même, avec notamment un paramètre essentiel : les dernières grandes mobilisations sociales en France (1995, 2003, 2006, 2010) ont toujours eu lieu contre un gouvernement de droite.

Beaucoup de militants respirent donc une « odeur » de 2003 ou de 2010. Mais pour l’instant à la différence de 2003, le mouvement de grève dans les lycées et les universités n’a pas atteint 2006 ni en ampleur ni en auto-organisation, et parmi les salariés aucun secteur n’apparaît en passe de jouer un rôle moteur, comme ont pu le faire les cheminots, les éboueurs, les transporteurs routiers en 2010, les postiers ou les enseignants dans d’autres mouvements.

Evidemment, la loi El Khomri frappe plus durement les salariés du secteur privé soumis au Code du Travail, aux conventions collectives et aux accords d’entreprise. Mais les salariés du public étaient aussi nombreux le 31 mars dans les cortèges sachant que la politique antisociale du gouvernement frappe indistinctement tous les secteurs, même si les cortèges du syndicat enseignant de la FSU étaient moins fournis que dans d’autres mobilisations.

De plus, chacun comprend que ce mouvement prend une autre dimension que d’autres grandes mobilisations précédentes. Ces caractéristiques pèsent positivement et négativement.

D’abord ce mouvement se produit dans une situation politique étrange. Jusqu’au 9 mars elle était marquée par les attentats de novembre, la politique sécuritaire effrénée du gouvernement et la perpétuation de l’ Etat d’urgence. Elle était marquée aussi par la polarisation politique exercée par le Front national, vainqueur incontesté des élections régionales de décembre 2015.

Hollande et Valls espéraient tirer profit des attentats pour asphyxier la droite (Les Républicains dont Sarkozy est le président) et se couler tous les deux dans des habits d’hommes d’Etat solides, comme G.W. Bush avait réussi à le faire après le 11 septembre 2001, s’assurant ainsi de sa réélection.

Ce plan a réussi sur un point : la crise de la droite est plus profonde que jamais. Les Républicains sont éclatés, Sarkozy a totalement raté son coming-back, Alain Juppé est largement plus populaire que lui et les candidatures à la candidature pour 2017 se multiplient dans son parti.

Les centristes de l’UDI viennent d’annoncer qu’ils ne participeront pas à des primaires communes avec  Les Républicains. La droite traditionnelle est donc un champ de ruine.

Mais de l’autre côté, le crédit de chefs de guerre et d’hommes d’Etat de Hollande et de Valls a aussi fondu comme neige au soleil.

La loi El Khomri n’est que la deuxième épine qui blesse profondément l’exécutif. La première est le boomerang politique que vient de se prendre en pleine tête l’exécutif avec la réforme constitutionnelle. Hollande et Valla espéraient piéger la droite en la forçant à voter la pérennisation de l’Etat d’urgence et la déchéance de nationalité pour acte de terrorisme, pouvant créer des apatrides, foulant au pied les prescriptions internationales.

Le discrédit de l’exécutif au sein même du Parti socialiste, tant sur les questions sécuritaires que sur les questions sociales a retourné le piège, le gouvernement devenant otage de la Droite dans le dossier constitutionnel. Au final, les Républicains au Sénat ont refusé de construire un accord avec les PS, obligeant Hollande et Valls a une retraite en rase campagne à la veille du 31 mars.

Hollande est plus discrédité que ne l’a jamais été un Président de la Vème République avec 15% d’opinions favorables . Valls suit le même chemin. Discrédit  à gauche en dehors du PS, évidemment, tant la politique réactionnaire du gouvernement heurte une grande partie du « peuple de gauche ». A la politique sécuritaire de l’Etat d’urgence s’ajoute évidemment la casse sociale des lois Macron et Rebsamen, mais aussi la politique ignoble menée contre les migrants et l’entêtement dans les « projets inutiles », l’aéroport de Notre Dame des landes en étant le dernier exemple. Les remous touchent aussi le PS, renforçant les « frondeurs » rejoints par l’ancienne Ministre de l’Emploi, Martine Aubry.

Même Benjamin Lucas, président des Jeunesses du Parti socialiste, demande  le retrait de la loi El Khomri et la Direction de l’UNEF, syndicat étudiant  proche du PS, maintient sa place dans la mobilisation étudiante.

La répression contre les militants syndicaux est aussi un élément marquant de la situation, à l’image de ceux de Good Year, poursuivis et condamnés pour avoir retenu la direction pour agir contre la fermeture de leur entreprise.

Enfin, la mise en place de l’Etat d’urgence et le déferlement d’une campagne de racisme d’Etat islamophobe a eu comme conséquences ces derniers mois des milliers de perquisitions dans les quartiers populaires. Et beaucoup de jeunes de ces quartiers sont présents dans la mobilisation pour réagir aussi à ces attaques.

L’ensemble de ce contexte social brouille les repères, car pour l’instant aucune force syndicale, sociale ou politique n’est capable de redonner un sens une cohérence aux exaspérations, aux exigences de justice sociale et de démocratie.

Dans cette situation, d’ailleurs, les directions confédérales syndicales apparaissent encore plus inefficaces que d’habitude. La réaction contre le projet El Khomri a été rendu possible par la mobilisation des jeunes, par l’activité de réseaux sociaux rassemblant en une vingtaine de jours plus de 1 million signature et impulsant la date du 9 mars. A ces réseaux s’est jointe, évidemment, l’action déterminée d’équipes syndicales, de syndicat donnant toute leur dynamique sociale à la mobilisation. Evidemment, encore plus qu’en 2010, les directions syndicales craignent un mouvement social qui poserait directement la question politique d’une alternative à l’austérité. Cela d’autant plus, que pour la première fois cette exigence serait mise en avant face à un gouvernement de gauche. Dès lors ces bureaucraties brandissent la menace du Front national en embuscade pour ne pas pousser à un affrontement global contre la politique du gouvernement.

Dans ce contexte, on assiste cependant à une réelle ébullition sociale de réseaux posant toute les questions essentielles de solidarité, de justice sociale, de justice climatique, de contrôle démocratique sur les décisions et les choix de société.  Cette ébullition fait de la vie politique et sociale actuelle en France une émulsion stimulante.

Ainsi, la veille même du 31 mars, 400 travailleurs sans papiers ont obtenu une victoire étonnante. Après avoir occupé la Direction Générale du Travail avec le soutien de l’intersyndicale du Ministère et de l’Association Droits Devant, ils ont imposé l’ouverture d’un cadre de négociation permettant de changer les règles et d’obtenir leur régularisation.

Dans de nombreuses villes, des comités se construisent autour des syndicalistes de Good Year condamnés par la justice.

Le soir du 31 mars, plusieurs milliers de jeunes se sont retrouvés à Paris place de la République autour de réseaux #leurfairepeur, #nuitdebout, #nuitrouge pour lancer des dynamiques d’occupation des places. L’association Droit au Logement ( DAL) s’est associé à cette initiative de la nuit du 31.

Tous ces phénomènes éclatés prouvent une effervescence et la recherche d’une dynamique sociale, comme l’appel lancé par plusieurs centaines de syndicalistes CGT, Solidaires, FSU pour construire une mobilisation d’ensemble.

Les semaines qui viennent diront si toutes les dynamiques potentielles arrivent à se rejoindre, s’unir, s’amplifier et construire un rapport de force assez puissant pour faire reculer Hollande et Valls.