Catherine Méry, militante depuis 1980 à la LCR puis au NPA, et militante syndicale, fait paraître aux éditions Syllepse en coédition avec La Brèche « Leur usine, nos vies, nos morts », qui raconte la vie à l’usine Bosch de Beauvais.
Qu’est-ce qui t’a conduit à écrire ce livre ?
Je suis en retraite de l’Éducation nationale depuis deux ans et je milite depuis 1980, d’abord à la LCR puis au NPA, sans une seule coupure. J’ai été secrétaire départementale du SNUIPP et de la FSU de l’Oise dans les années 1990, 2000. C’est une section tendance École émancipée avec rotation des mandats. J’ai fait mes deux mandats, deux au SNU, un à la FSU et puis après je suis retournée au travail.
Mon compagnon, Gaby Hauet, était militant de la LCR quand je l’ai rencontré dans les années 1980, dans l’usine qui à l’époque s’appelait DBA. On a vécu 34 ans ensemble jusqu’en 2019 quand il est décédé d’un cancer. Lui c’était plutôt un militant de boîte ; moi j’étais militante à la FSU, j’étais plus dans les collectifs antiracistes, migrants, Palestine, etc. À l’époque il était à la CFDT, qui n’a rien à voir avec la CFDT d’aujourd’hui. En rangeant des documents, je me suis rendu compte que les tracts des comités Taupe rouge des années 1970, que je n’avais jamais vus, étaient chez moi ! C’était la Taupe rouge « Sans freins » de l’usine Lookheed — qui est devenue DBA (Dussolier-Bendix-Air équipement), puis Bendix France, puis Allied Signal et enfin Bosch en 1996. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de tout ça. J’ai voulu retracer toute l’histoire de l’entreprise.
Est-ce que tu peux nous raconter ce que tu as découvert au cours de tes recherches ?
Dans les archives municipales, j’ai regardé tous les comptes rendus de conseils municipaux qui concernaient l’usine entre 1958, date de l’ouverture, et 2020. J’ai découvert que le terrain a été quasiment donné en 1958. Un militant communiste était intervenu en conseil municipal : « Ce n’est pas normal de vendre à ce prix-là ! » Le terrain a été bradé. Un peu comme pour Massey-Fergusson qui vient de se faire offrir un joli pont d’or par la commune, donc par nos impôts locaux, et qui commencent des licenciements (103 annoncés). Je compare parce que c’est la même démarche : l’utilisation de l’argent public sans vergogne, et puis on s’en va.
Le terrain il avait été offert en 1958 et il n’est toujours pas dépollué, il risque de valoir très cher, parce que si en 2010, au moment de la fermeture de l’usine, il était question de réindustrialisation de la zone, on parle maintenant d’en faire un écoquartier !
J’ai eu accès à une autre source : en 2014, quand la boîte a été rasée, les camarades ont déposé les archives de la CFDT Métallurgie aux archives départementales.
Cela t’a permis de retracer l’activité militante de l’usine…
Oui, et notamment, ce qui m’a intéressée, ce sont les années 1970 que je n’ai pas connues. Dans cette usine, il n’y avait pas d’expérience au départ. Beauvais, c’est Dassault, Dassault, Dassault, Dassault et Dassault comme députés de la circonscription. Sauf aux dernières élections, c’est le RN qui est passé. On sait ce que c’est la droite ! On avait Hersant aussi pendant très longtemps sur la 2e circonscription de Beauvais. À l’usine, il n’y avait pas d’expérience. Dans les années 1960, il y avait un syndicat maison lancée par le patron. La CFDT a été créée à ce moment-là. En 1968, il n’y a pas eu des choses extraordinaires. C’est vraiment après dans cette dynamique que la CFDT s’est développée. Les camarades faisaient bien évidemment du boulot tous les jours. C’est d’ailleurs une des usines où il y avait les plus hauts salaires et où les 40 heures ont été acquises en premier. Il y avait des bagarres sans arrêt, secteur par secteur.
En 1975, il y avait déjà un projet de déménager une partie de l’usine à Angers. Ils ont mené la bagarre et ils ont gagné, alors qu’ils partaient de rien. Les camarades de la Taupe rouge, ils ont pris la majorité dans la CFDT !
En parallèle, il y avait aussi une conception syndicale, avec des camarades comme Michel — qui vend toujours l’Anticapitaliste avec moi le samedi matin — qui pendant trois ans est allé tous les mois à Besançon chercher des montres Lip. Trois ans, ce n’est pas rien ! On dépense une énergie militante énorme pour organiser cette solidarité militante ! Un camarade est parti en Pologne en solidarité avec Solidarnosc en 1980. Ils avaient un syndicalisme qui était vraiment très ouvert sur plein de choses.
Il y eut 9 licenciements par mois au cours du lent déclin des années 1980-2000. Ils sont passés de 2 400 à la fermeture. Quand je suis arrivée en 1982, c’était une grosse usine, il y avait une dizaine de bus qui arrivaient de partout dans le département pour aller chercher les ouvriers. On distribuait les tracts à la sortie des bus…
Après la fermeture de l’usine, la bagarre a continué sur l’amiante…
Le procès sur l’amiante pour faire reconnaître le préjudice d’anxiété a duré huit ans, de 2012 et 20201. Et donc les camarades à l’époque se sont réunis tous les jeudis. Ils se voyaient, ils mangeaient ensemble, faisaient la permanence au syndicat… pendant huit ans et ils ont gagné.
Entre 1966 et 1985, dans les freins que les salariéEs fabriquaient, il y avait de l’amiante. Les textes qui datent déjà du milieu des années 1970 préconisaient de faire des prélèvements réguliers pour protéger les salariéEs. Au cours de cette période, personne ne prononce jamais le mot « amiante ». Ni le patron ni même les camarades. Dans aucun compte rendu de CE, de CHSCT, on ne trouve le mot « amiante ». Après l’interdiction de l’amiante en 1998, l’usine Bosch de Beauvais a fait partie de la liste des entreprises considérées comme ayant de l’amiante.
Cela ouvrait droit à des pré-retraites (trois ans d’amiante = une année de préretraite). Le patron l’a utilisé tout de suite. Il restait encore presque 800 ouvriers. Il en a fait partir 400 en pré-retraite. Les patrons avaient créé en 1980 le CPA (Comité permanent de l’amiante) qui faisait du lobbying, qui conseillait les politiques publiques en matière de santé en France concernant l’amiante. C’est Juppé (sic !) qui l’a dissous en 1995. Et après, il y a eu l’interdiction de l’amiante en 1996. Le préjudice d’anxiété a été reconnu en 2010. D’abord, les salariéEs ont gagné aux prud’hommes, puis ils ont perdu un appel, parce que Bosch a prétendu qu’au moment de l’achat il n’y avait plus d’amiante. Ce qui n’avait pas empêché le patron d’utiliser la possibilité des pré-retraites pour se débarrasser de la moitié des salariéEs pour fermer l’usine. Et puis après, au Conseil d’État, les travailleurEs ont gagné, et finalement, c’est repassé en appel pour l’estimation de la somme en 2020. Donc, c’est une grande histoire !
Ils ont eu droit à des indemnités ?
8 000 euros. Pendant les huit ans, sur les 400 dossiers, ils ont eu 27 morts. Le seul cancer de l’amiante reconnu, c’est le cancer de la plèvre. Les 27 sont tous morts d’un cancer. Mais pas tous reconnus.
Cela a demandé une énergie énorme…
La bagarre n’est pas vraiment partie des syndicats, mais d’associations. Sur le Beauvaisis, c’était les « Dé-Boschés ». L’avocate me disait que dans d’autres procès amiante, à BASF et un certain nombre d’autres endroits, ça passait par des associations. D’une part, parce que les gens, en général, ils étaient à la retraite. Le dernier combat de l’amiante, il a été mené par les « Dé-Boschés ».
Propos recueillis par Fabienne Dolet
Dates des présentations
Jeudi 12 décembre, 18 h, à la Maison des syndicats de Beauvais, présentation.
Vendredi 20 décembre, 18 h 30, Voisinlieu pour tous à Beauvais, lecture.