Créé en septembre 2022 à l’initiative de quelques militantes féministes, le Collectif lillois de luttes féministes (le C2LF) vise à construire un féminisme combatif à Lille. Il a été à l’initiative de réunions publiques et d’événements culturels en soutien à la grève féministe. À l’approche du 8 mars et dans un contexte marqué par de nouvelles attaques sur les droits des femmes, l’Anticapitaliste a rencontré Morgane, l’une de ses militantes.
Peux-tu nous présenter le collectif, la façon dont il est organisé ainsi que ses principales actions et revendications ?
Le Collectif lillois de luttes féministes s’est créé en septembre 2022 à Lille, après que des femmes se sont retrouvées en juin dans des rassemblements réduits à peau de chagrin pour défendre le droit à l’IVG. Le moteur : l’envie de faire du féminisme de lutte et de mener des actions collectives à l’échelle de la ville. Cela fait quelques années que l’on voit des avancées sur les questions féministes, qu’on parle beaucoup plus de violences sexistes et sexuelles et pourtant en même temps on n’arrête pas de subir des reculs : les menaces sur le droit à l’IVG, la montée des discours « anti-woke » et antiféministes ou la hausse des inégalités salariales. Face à ces attaques, on manque de stratégie collective et on déplore l’absence de liens entre les mouvements des femmes et le reste du mouvement social. Le collectif a donc été créé pour répondre à ces problématiques. On fonctionne en autogestion et en non-mixité. Le collectif constitue aussi un cadre de discussion, de formation et d’élaboration stratégique. Nous avons commencé à nous mobiliser pour la journée du 28 septembre pour le droit à l’IVG, puis nous avons souhaité populariser l’idée de la grève féministe du 8 mars. Actuellement, nous participons aux mobilisations contre la réforme des retraites.
À Lille quels sont les mouvements féministes organisés ? Avez-vous des relations avec d’autres mouvements féministes nationaux comme Nous Toutes par exemple ?
À Lille, il y a pas mal d’associations et de collectifs qui font du travail institutionnel comme le Planning familial ou mettent en œuvre un travail d’écoute et d’accompagnement, des ateliers plus culturels. Il y a aussi Nous Toutes bien sûr qui cherche à donner une visibilité à des témoignages de violences et organise notamment des marches autour du 25 novembre. Tout cela est très important. Nous travaillons avec tout le monde mais nous pensons qu’il faut aujourd’hui dépasser l’étape des discours et des témoignages, car tout le monde est désormais au courant sans que cela implique un changement concret ! On doit donc s’organiser et lutter, et cela peut passer notamment par la grève féministe. Notre collectif s’est créé parce qu’on avait envie de porter d’autres actions militantes un peu plus larges et un féminisme lutte des classes.
Le mouvement #MeToo a rendu visible l’ampleur et la dimension systémique des violences faites aux femmes. Le #MeToo politique percute les organisations de gauche qui se revendiquent du féminisme. Quels sont votre positionnement et votre contribution sur ces questions ?
Les organisations politiques, que ce soient les partis ou les syndicats, sont traversées par des problèmes de violences sexistes et sexuelles. Elles protègent souvent les agresseurs en raison d’enjeux de pouvoir et d’appareil, et c’est au détriment des militantes. À Lille, par exemple, il y a des conflits autour de la présence d’Adrien Quatennens dans les manifestations. Ce n’est pas forcément pire ou mieux qu’ailleurs, ce sont malheureusement des violences qu’on retrouve partout, souvent dans le cadre privé, mais qui entrent en contradiction avec les discours portés. Cela fait des années que le mouvement ouvrier et le mouvement féministe se sont développés de manière parallèle et en conséquence beaucoup de féministes sont méfiantes vis-à-vis des organisations de gauche ou d’extrême gauche. Nous avions justement envie de casser cette dynamique. Puisque initialement le mouvement féministe est issu des combats révolutionnaires, on veut à la fois une lutte des classes qui soit féministe et un féminisme révolutionnaire et de classe.
Le soulèvement des femmes en Iran revêt un caractère exceptionnel de par son intensité, sa capacité à s’affronter au régime et à mobiliser de vastes secteurs de la jeunesses et du prolétariat. Quels sont les enseignements que vous tirez de cette révolte ?
Que ce sont souvent les femmes qui sont en première ligne des mouvements révolutionnaires ! En Iran, la mobilisation a commencé autour de revendications féministes et elle s’est élargie à l’ensemble de la société, y compris avec des grèves générales, pour demander la fin du régime. Le gros mouvement social au Chili, débuté en 2019, était aussi beaucoup porté par les féministes, avec les grèves générales du 8 mars. Le 8 mars 1917, ce sont des ouvrières de Petrograd qui mirent le feu aux poudres de la révolution russe.
Dans les répertoires des luttes contemporains, la grève féministe pourrait occuper une place de premier plan. Comment préparer une grève féministe ? Quelle est votre stratégie autour de la date historique du 8 mars ?
On participe à construire la grève du 8 mars, que ce soit en en discutant sur nos lieux d’étude et de travail ou en poussant les syndicats à s’en emparer. On est aussi membres de la coordination féministe qui réunit plus de 70 collectifs, associations, organisations et féministes partout en France pour pousser à la construction d’une véritable grève le 8 mars. Le 21 janvier, nous avons organisé un gros concert avec des groupes de meufs au CCL (Centre culturel libertaire) de Lille pour récolter de l’argent destiné à alimenter une caisse de grève pour le 8 mars — près de 1 800 euros récoltés. On en a assez des manifs le samedi chaque année.
Pour nous, appeler à faire grève le 8 mars, c’est aussi revendiquer l’héritage révolutionnaire de cette date choisie par la militante féministe russe Clara Zetkin, et l’occasion de dire qu’on sort des actions symboliques et, qu’en faisant grève, on va toucher directement au portefeuille et à l’économie pour défendre nos droits.
Comment voyez-vous le rôle du mouvement des femmes dans la mobilisation contre la réforme des retraites ?
En effet, les femmes sont particulièrement perdantes dans cette réforme à cause de l’inégalité salariale qui se répercute sur les pensions, du décompte des annuités qui pénalise encore plus les carrières plus courtes — une femme sur deux s’arrête pour élever les enfants contre un homme sur neuf — mais aussi parce que la pénibilité dans les métiers féminisés, comme ceux de la santé, n’est pas reconnue. L’écart entre les pensions des femmes et celles des hommes est de 40 %, et cela va encore s’aggraver avec la réforme, d’autant que les inégalités salariales remontent depuis 2020. À cela s’ajoutent les discours natalistes du Rassemblement national ou du Medef qu’ils déploient comme solution pour équilibrer le régime de retraites et qui sont en lien direct avec les attaques contre l’IVG. Alors, évidemment, on prend part aux grèves contre la réforme des retraites car pour nous ce sont aussi des grèves féministes à part entière. À Lille, on a animé des cortèges féministes et invité toutes les féministes à prendre part aux grèves, à s’organiser en assemblée générale partout où elles se trouvent. Cette année, nous avons un contexte bien particulier avec le 8 mars qui tombe au lendemain de la grève générale du 7 et qui peut être le début d’une potentielle grève reconductible ! Les femmes ont un rôle central à jouer. Contrairement à certains discours qui disent que cela « invisibiliserait » le 8 mars, on pense que c’est au contraire l’occasion de souligner le caractère particulièrement sexiste de cette réforme, d’intensifier la contestation et faire converger l’appel à la grève féministe du 8 mars avec celui à la grève reconductible. À Lille, on appelle à constituer un gros cortège féministe de lutte dans la manifestation. En tant que féministes, on soutient l’idée d’une grève reconductible, que ce soit le 7, le 8 mars, et même au-delà !
Propos recueillis par Hélène Marra