Publié le Lundi 28 septembre 2015 à 09h37.

Face à la ségrégation et à la terreur raciste, le mouvement des droits civiques

« Si vous êtes blanc, c’est parfait

Si vous êtes brun, restez là,

Mais si vous êtes noir,

Reculez, reculez, RECULEZ ».

Refrain d’une chanson populaire du Sud des Etats-Unis1.

C’est le Bureau américain – fédéral – de recensement et chaque Etat qui définissaient à quelle race un individu appartenait. Ainsi en Géorgie, toute personne ayant parmi ses ascendants, à quelque génération que ce soit, une personne recensée de couleur, était définie comme personne de couleur. Or, la vie de chaque individu changeait du tout au tout selon qu’il était reconnu blanc ou non blanc, en particulier dans les 29 Etats où existait la ségrégation. 

Les Noirs ne pouvaient se loger où ils le souhaitaient. Des arrêtés municipaux, qui avaient force de loi pour les tribunaux, leur interdisaient l’accès à certains quartiers et ils étaient l’objet d’intimidations, de menaces, d’un harcèlement terroriste si jamais ils osaient s’installer dans un quartier blanc. Au travail, le Noir était le dernier engagé et le premier renvoyé. Le plus souvent, il subissait le chômage, était enrôlé dans des camps de travail forcé, ou alors était domestique – 45 % des domestiques étaient noirs. Même pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les trusts de l’armement avaient un besoin crucial de main-d’œuvre, les Noirs embauchés dans l’industrie de guerre n’y représentaient que 3 % des effectifs.

Dans 14 Etats, les Noirs se voyaient interdire l’accès aux mêmes wagons que les Blancs, aux mêmes salles d’attente, hôtels et restaurants. Seulement 18 Etats sur 48 interdisaient la ségrégation dans les lieux publics et encore la loi n’y était-elle que rarement appliquée. Enfin, dans 29 des 48 Etats, il était illégal que des personnes de races différentes se marient et aient des enfants. On vit des mariages être déclarés nuls parce que l’un des époux blancs s’était vu accuser d’avoir un seizième de sang noir…

Les Noirs étaient sous la surveillance constante non seulement des autorités mais également des racistes blancs. La puissance du Ku Klux Klan donne une idée de la pénétration de la gangrène raciste dans la population. En 1925, période de son apogée, il comptait six millions de membres et en faisait défiler 40 000 à Washington, devant le Capitole. Affaibli dans les années 1930, il se renforça après-guerre, encouragé par le maccarthysme. Au début des années soixante, il pouvait défiler impunément dans les rues de certaines villes du Sud et se réclamer publiquement des assassinats qu’il avait perpétrés sur des militants du mouvement des droits civiques.2

 

La campagne contre la ségrégation 

Rosa Parks a reçu des funérailles nationales lors de sa mort en 2005. Mais lorsque, à l’âge de 43 ans, le 1er décembre 1955, elle refusa de céder sa place à un Blanc dans un bus de Montgomery, en Alabama, elle fut condamnée à de la prison. Ce fut le début du mouvement des droits civiques.

Des militants noirs organisèrent, en signe de protestation, un boycott des bus largement suivi qui fit baisser le chiffre d’affaires de la compagnie de 60 %. La lutte dura plusieurs mois et dut faire face aux attentats terroristes du Klan. Finalement, le 4 juin 1956, le tribunal fédéral de district décréta illégales les lois de ségrégation dans les transports publics de l’Alabama. A la fin de 1956, des boycotts semblables avaient obtenu la fin de la ségrégation dans les transports de 21 autres villes du Sud. Jeune pasteur noir en exercice à Montgomery, Martin Luther King devint une des figures de ce mouvement. Il fut parmi les fondateurs, en janvier 1957,  de la Southern Christian Leadership Conference.

Une importante campagne de « sit-in » fut menée par de jeunes étudiants – qui créèrent en 1961 le SNCC, Comité de coordination des étudiants non-violents – pour occuper des endroits, bars, restaurants, commerces, interdits aux Noirs. D’autres actions, consistant à refuser la ségrégation qui s’appliquait dans les bus longue distance dès qu’ils quittaient le Nord, furent organisées par le CORE (Congrès pour l’égalité raciale) et menées par de jeunes militant-e-s noirs et blancs venant du Nord qui s’appelaient les « Freedom riders ». Elles eurent un fort retentissement lorsque le New York Times publia à sa une en 1961 une photo d’un de ces bus après son explosion causée par les racistes.

La ségrégation sévissait aussi dans les établissements scolaires et universitaires, malgré l’arrêt « Brown » pris par la Cour suprême en 1954 qui l’y interdisait. En 1957, à Little Rock, en Arkansas, le gouverneur raciste, Orval Faubus, ordonna à la Garde nationale qu’il commandait d’empêcher l’entrée de neuf étudiants noirs dans l’université. Ils furent bousculés, insultés par les gardes et la population blanche mais ne cédèrent pas. Lorsque l’administration fédérale intervint pour permettre aux étudiants, dès lors escortés par des militaires, d’intégrer leur université, des étudiants blancs en sortirent ; plus tard, les autorités locales préférèrent faire fermer l’université. En juin 1963, c’est le gouverneur d’Alabama lui-même, George Wallace, qui se posta devant l’entrée de l’Université d’Alabama afin d’en interdire l’entrée à deux étudiants noirs. 

Là où, comme dans les bus ou les restaurants et bars, il y avait des intérêts commerciaux, les campagnes de ségrégation parvinrent à leur but. Il fut beaucoup plus difficile d’imposer l’intégration dans les écoles. La lutte pour le droit de vote effectif le fut encore davantage mais elle était déterminante. Elle se produisit après que la « loi sur les droits civiques » signée le 2 juillet 1964 eut interdit dans tous les Etats-Unis la ségrégation dans les lieux publics, sur les places publiques et dans les écoles. Cette loi, qui interdisait aussi les discriminations à l’emploi, ne traitait pas du droit de vote.

La campagne pour le droit de vote, la marche de Selma3

Celui-ci pouvait être accordé, limité ou refusé par les autorités locales. Il était souvent conditionné par le paiement d’un impôt, mais ce n’était  pas le plus gros obstacle, car pour le Klan, dans le Sud, le vote était une « affaire de Blancs » et les Noirs qui voulaient voter subissaient toutes les exactions possibles, jusqu’à la mort.

C’était là où les Noirs étaient majoritaires que les obstacles à leur inscription sur les listes électorales étaient les plus forts. La ville de Selma, en Alabama, comptait plus de 50 % de Noirs, 15 000 au total. Seuls 383 d’entre eux étaient enregistrés sur des listes électorales. Dans l’Etat du Mississippi, 6,4 % des Noirs pouvaient voter.

Dans cet Etat, lors de la campagne du SNCC pour l’inscription des Noirs sur les listes électorales, au cours de l’été 1964, 35 églises furent incendiées, 30 bâtiments détruits par des explosions, 80 personnes furent battues et l’on compta au moins six morts.

A Selma, suite à la mort, le 18 février 1965, d’un jeune militant sous les coups de matraque des flics, le SCLC décida d’appeler à une marche jusqu’à Montgomery, la capitale de l’Alabama, afin d’y interpeller  le gouverneur, George Wallace. Martin Luther King soutint la marche mais ne participa pas à la première qui eut lieu le 7 mars 1965. Ce jour-là, 600 marcheurs s’engagèrent sur le pont Edmund Pettus, du nom d’un général confédéré qui fut Grand Dragon du Ku Klux Klan d’Alabama. 150 hommes armés, des gendarmes et les hommes du shérif,  étaient déployés de l’autre côté du pont, certains à cheval. Ils portaient des masques à gaz et avaient des matraques, des bâtons, des fouets et des bâtons électriques destinées à diriger le bétail. De nombreux Blancs de la ville étaient là aussi pour regarder.

Après à peine une sommation, les flics chargèrent, puis les hommes à cheval avec lancers de gaz lacrymogène. Au final, 90 marcheurs furent blessés. Mais la presse et les caméras de télévision étaient là. Le soir même la chaîne ABC diffusa le reportage, un quart d’heure de cris et de coups de matraques, sans commentaires.

Luther King retourna à Selma et jura que la marche continuerait. Des appels furent diffusés nationalement. Près d’un millier de personnes se préparaient à traverser à nouveau le Pont Pettus mais un juge fédéral de district, habituellement plutôt favorable au mouvement, décréta que la marche devait être différée jusqu’à nouvel ordre. Elle eut lieu finalement le 9 mars. King conduisait les manifestant-e-s le long du pont. Les gendarmes sommèrent à nouveau les marcheurs de se disperser. Mais subitement, ils s’écartèrent, invitant King à défier l’ordre du juge. King fit faire demi-tour aux manifestant-e-s et ils rentrèrent à Selma, suscitant la colère des militants de la SNCC. 

Cette nuit-là, trois hommes d’Eglise blancs furent attaqués après avoir quitté un restaurant à Selma. L’un d’entre eux reçut un coup de matraque à la tête. Il mourut deux jours plus tard. 

Le 15 mars, devant l’émotion causée par la diffusion de ces événements,  le juge fédéral se ravisa et autorisa la marche sur Montgomery. Le même soir, le président Johnson prit la parole devant le Congrès et, à la télévision nationale, se prononça pour une loi sur les droits électoraux. Le 21 mars, 3600 marcheurs, protégés par la Garde nationale d’Alabama, se mirent en route à Selma en direction de Montgomery. Quatre jours plus tard, Martin Luther King s’adressait à 25 000 personnes depuis les marches du Capitole de Montgomery. Johnson envoya ce même jour une loi sur les droits de vote au Congrès.

Cette même nuit, sur la route 80 près de Montgomery, des membres du Klan tuèrent Viola Liuzzo, une femme de 39 ans de Detroit, mère de cinq enfants, qui conduisait à leurs domiciles des marcheurs. Le Voting Rights Act fut adopté à une très forte majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. La loi fut signée par Johnson le 6 août 1965.

Entre 1965 et 1968, 740 000 nouveaux électeurs afro-américains s’enregistrèrent dans le Sud profond. Le pilier central de Jim Crow était détruit et, avec lui, le régime de ségrégation légale qui avait prévalu pendant 70 ans.

Galia Trépère

  • 1. Cité par Stetson Kennedy dans son « Introduction à l’Amérique raciste », Editions Julliard, 1955. Aux Etats-Unis, ce livre, « Jim Crow Guide to the USA », n’a été publié qu’en 1990. Jim Crow est un nom donné aux Afro-américains dans une chanson. Les lois Jim Crow sont les dispositifs ségrégationnistes adoptés par les Etats et localités du Sud entre 1876 et 1965.
  • 2. Voir le reportage de Maurice Werther sur le Ku Klux Klan, « Les Tueurs de la Nuit, diffusé dans l’émission Panorama (archives de l’INA, http://www.ina.fr/video/…). On y voit les assassins de Viola Liuzzo.
  • 3. Voir l’article « The Color of the Law. Droit de vote et ‘’Southern way of life’’ », de Louis Menand, traduit et publié par le site Alencontre le 16 juillet 2013.