Entretien. À l’occasion de la sortie de son dernier (et étonnant) ouvrage1, nous avons rencontré l’écrivain, réalisateur, militant... Gérard Mordillat.
Ton dernier livre est une présentation... d’un texte de Benito Mussolini ! Drôle de projet non ? Avec quels objectifs ?
Le plus drôle pour moi était de voir mon nom associé à celui de Mussolini sous la rubrique « auteurs », alors que je ne suis que le préfacier du texte ! Sinon, en me penchant sur les écrits – qu’ils soient ceux de la tradition monothéiste ou ceux constitutifs des doctrines politiques –, je réponds à l’injonction des rabbins « scrutez les lettres ! » à laquelle je souscris entièrement. À force d’être utilisés comme injures, les termes « fasciste » ou « fascisme » sont devenus banals, mais beaucoup ignorent en réalité ce qu’ils véhiculent comme idéologie, comme pensée politique, comme programme d’action.
Lire Mussolini aujourd’hui, c’est redonner une perspective historique au fascisme tel qu’il s’exprime désormais à mots couverts, à ambitions masquées dans la politique française. S’il n’y a pas encore de parti « fasciste » en France (désigné comme tel), il y a un fascisme rampant, pervers qui métastase tous les courants des partis soi-disant « de gouvernement ». Je pense qu’il est urgent d’appeler les choses par leur nom, de nommer un fasciste un fasciste. Les représentants de « la droite dure » (à la mode LR), de la gauche de droite (genre PS) ou de l’extrême droite (façon FN) sont en réalités soit des fascistes qui s’ignorent soit des fascistes rusés et patients, mais ce sont au regard des écrits de Mussolini des fascistes, sinon à la lettre, en tout cas dans l’esprit, avant de l’être en actes.
À ce sujet, un débat existe sur la « nature » du Front national, parti fasciste ou pas, ou plus... Qu’en penses-tu ?
Le Front national, dans son orientation voulue par Marine Le Pen et Florian Philippot, défend une position nationaliste (la France d’abord !) ; une position étatiste (l’État commande, contrairement à Jean-Marie Le Pen qui, à l’instar de Reagan, voyait l’État non comme la solution mais « comme LE problème ») ; il prétend être ni de droite ni de gauche et développe un programme social qui exclut les syndicats. Ces quatre points se retrouvent dans la doctrine de Mussolini, on peut donc dire que le FN (dans cette version) est un parti héritier de la pensée du Duce, un parti fasciste.
Sans doute faut-il nuancer cette affirmation notamment sur le plan économique où le FN est tout à la fois protectionniste et libéral, réclamant la fermeture des frontières et la rupture avec l’Europe, mais ne remettant en cause ni le libre échange, ni le droit de propriété, ni le capitalisme comme unique moteur du progrès. Disons que le FN oscille entre le cynisme et la démagogie et ne révélera sa vraie nature fasciste que si, par malheur, il parvient au pouvoir.
On le voit bien avec le débat de la primaire de la droite, l’air du temps est nauséabond, les idées réactionnaires ont l’air d’avoir la cote... Comment l’expliquer ?
Les porte-parole de la « mondialisation heureuse » l’ont chanté dans toutes les cours et sur tous les tons, elle allait apporter à tous et à toutes bonheur, richesse et prospérité. Certains y ont cru ou ont voulu y croire. Le réel a vite fait de faire voler en éclats ces illusions. La mondialisation a apporté bonheur, richesse et prospérité à une infirme minorité (ceux dont l’activité et les intérêts sont à l’international et dont les fortunes ont connu une courbe exponentielle). À l’inverse, l’immense majorité des populations en France, en Europe, voire aux États-Unis, ont vu s’abattre sur elles : précarité, déclassement, chômage…
Dès lors – pour ne considérer que la France – d’un côté la petite bourgeoisie et la bourgeoisie franco-française (la fameuse et introuvable « classe moyenne »), les cadres, les patrons de PME travaillant à l’hexagonal se sont sentis floués, trahis et cherchent refuge dans le nationalisme et l’étatisme ; de l’autre, les classes populaires, par désespoir ou par naïveté, suivent le même mouvement qui les entraînera dans l’abîme, comme si l’enfer qui les attend était plus protecteur que se risquer au combat pour défendre leurs droits, pour rendre à la démocratie son sens premier de « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », pour refonder la République dans une perspective démocratique.
Car, ne nous y trompons pas, les idées réactionnaires qui fleurissent à tout bout de médias témoignent combien nous sommes dans un régime post-démocratique – puisque la volonté des citoyens, leur vote, est considéré comme négligeable (remember 2005) – et post-républicain puisque l’idée centrale de la République, l’égalité, est ostracisée et disqualifiée dans tous les discours des responsables de tous les partis dits « de gouvernement ».
À l’opposé, il y a quelques mois, un mouvement exceptionnel et multiforme (dans la grève, dans la rue, sur les places...) avait lieu contre la loi travail. Quel bilan en tires-tu ?
Nuit debout avait d’enthousiasmant de voir naître une conscience politique chez nombre de jeunes filles et de jeunes gens qui, jusqu’alors, étaient restés en dehors des mouvements de protestation. Il y avait un croisement des générations très stimulant car ce qui s’exprimait ne s’exprimait pas à sens unique, chacun étant avide d’apprendre de l’autre, des autres, qu’ils soient jeunes ou qu’ils le soient moins. Cette prise de conscience est un trésor pour les combats à venir.
Des manifestations, je retiendrais – hélas – l’instrumentalisation de la colère populaire par les médias et la répression exercée par les forces de l’ordre transformées en milices patronales au service du Medef et de ses serviteurs, messieurs Hollande, Valls et consort… En fin de compte, cela me confirme que le vieux slogan « on a raison de se révolter » est toujours d’actualité et que nous ne sommes pas assez révoltés, que nous ne le serons jamais assez.
Dans ce tableau, quelles perspectives d’après toi pour notre camp social, pour la « vraie gauche », la « gauche radicale » (qu’importe les termes...) ?
Du FN au PS en passant par tout l’arc-en-ciel des droites, le cri thatcherien est unanime, « il n’y a pas d’alternative » : le capitalisme est la fin de l’histoire et la démocratie se confond avec le marché. Ma question est : jusqu’à quand allons-nous prendre ces mensonges pour une vérité révélée ? Jusqu’à quand les classes populaires doivent-elles endurer ce qu’elles endurent pour garantir l’opulence des sectateurs du dieu Profit ? Jusqu’à quand allons-nous accepter qu’il y ait en France plus de huit millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté (chiffres de l’Insee) dont plus de deux millions qui n’ont que quatre cents euros par mois de revenus ? Jusqu’à quand allons-nous accepter que tel ou telle gagne en une heure ce qu’un autre ne gagnera jamais en une vie de travail ?
Je ne crois pas à la voie électorale, pensée de telle sorte qu’en aucun cas les espoirs que nous portons puissent être victorieux. À mes yeux, il n’y a que l’émergence d’un grand mouvement populaire qui pourra balayer le sort qui nous est promis. Un tel mouvement ne se décrète pas. Pour le déclencher, peut-être est-il urgent de faire sonner haut et fort l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Propos recueillis par Manu Bichindaritz
- 1. Le fascisme de Benito Mussolini, présenté par Gérard Mordillat, Démopolis, 2016, 12 euros. Sur un autre registre, mais sur le même thème, on lira de Gérard Mordillat, Moi, présidente (sotie), une farce publié chez Autrement, 2016, 10 euros.