La défaite de Vichy est d’abord et avant tout une défaite de la bourgeoisie, qui a massivement préféré Hitler au Front populaire. La Libération constitue de ce point de vue une revanche sociale pour les classes populaires, que la guerre, la désorganisation économique et l’occupation avaient réduites à la misère.
La mise en place d’un pouvoir ouvrier
Appuyé sur les milices populaires qui arrêtaient les collaborateurs, les accapareurs et tous ceux qui avaient profité de la guerre pour s’enrichir au détriment des classes populaires, un pouvoir ouvrier se met en place en France durant l’été 1944. Dans les villes et les départements, des comités de libération se constituent, le plus souvent animés par des militantEs communistes. Dans les usines, la classe ouvrière relève la tête, imposant des augmentations fortes de salaire, assorties aussi souvent d’un contrôle sur la production.
La révolution est à l’ordre du jour et le Parti communiste (PC) en détient les clefs. Certes, le PC reste sociologiquement minoritaire et doit compter avec les forces anglo-américaines, qui occupent la France afin d’empêcher les communistes de prendre le pouvoir. Sa force est toutefois considérable, avec ses 800000 adhérentEs et surtout les 6,5 millions de travailleurEs syndiqués à la CGT dont il contrôle la direction. Grâce aux FFI-FTP, il peut compter sur le soutien de plusieurs dizaines de milliers d’hommes en arme, placés plus ou moins directement sous son commandement. Il bénéficie surtout de l’immense prestige que l’Armée rouge et l’URSS ont acquis, ce qui lui permet d’obtenir 26 % des voix lors des élections législatives d’octobre 1945.
La politique contre-révolutionnaire de Thorez
Telle n’est toutefois pas la politique de Staline, que la direction du PCF va mettre en musique. Occupés à se partager le monde avec les Américains, les Soviétiques ont imposé au PCF une ligne de construction d’un « front national » avec De Gaulle et la bourgeoisie. Doigt sur la couture du pantalon, la direction du PC a appliqué cette stratégie, en entrant en 1943 dans le Conseil national de la Résistance, que De Gaulle a mis en place, moyennant quelques concessions sociales (nationalisations, Sécurité sociale, etc.). À la veille du Débarquement, le PC est même entré dans le gouvernement provisoire de la République française, que De Gaulle a mis en place.
La direction du PCF doit toutefois faire face à l’incompréhension de ses militantEs, qui veulent pousser leur avantage sur le terrain et pour certains sont prêts à prendre le pouvoir. Les FTP n’entendent pas rendre leurs armes et refusent souvent d’obéir aux fonctionnaires du gouvernement, tandis que la CGT multiplie les grèves et les occupations. Revenu en novembre 1944 de son exil en URSS, Thorez est scandalisé par cette situation et s’attache à reprendre le contrôle du PCF et du mouvement ouvrier.
Thorez impose aux milices communistes de rendre leurs armes et exige qu’elles se soumettent aux ordres des préfets nommés par le gouvernement provisoire. Il s’attache à recadrer les espoirs de la classe ouvrière, dénonçant les syndicalistes qui veulent faire grève, mais aussi les tire-au-flanc qui sabotent le redressement national en se mettant en maladie. Le PCF devient ainsi le parti du travail et non plus des travailleurs, en donnant pour modèle les ouvriers qui acceptent de travailler gratuitement au service de la reconstruction du pays. Il soutient aussi le rétablissement de l’autorité de la France dans ses colonies, ce qui amènera le PCF à dénoncer l’insurrection algérienne du 8 mai 1945 comme un soulèvement dirigé par des « agents hitlériens ».
Laurent Ripart