En 1943, Churchill déclare : « Nous sommes en présence d’un crime sans nom ». La notion de génocide est souvent associée à la destruction des Juifs d’Europe par les nazis, perçue comme en étant à la fois le prototype et le paradigme, si bien que tous les processus dénoncés comme des génocides y sont comparés (pour asseoir ou pour contester cette qualification).
Meurtres en masse et barbarie
C’est en effet en 1943 que le juriste juif polonais Raphaël Lemkin a forgé le terme. Mais ses préoccupations en la matière commencent bien avant. Lemkin était marqué par le massacre de masse des ArménienNEs au début du 20e siècle. On parlait alors parfois de « meurtres en masse ». Mais, dès les années 1930, Lemkin cherchait à définir juridiquement un crime international spécifique, qu’il appelait alors « barbarie ».
Dans les années 1940, Lemkin cherche un moyen de bousculer ce qu’il appellera « une colossale conspiration du silence » : « Un double meurtre était perpétré. L’un par les nazis, l’autre par les Alliés qui refusaient de faire savoir que l’extermination de nations et de races avait déjà commencé ». Lemkin voulait inclure aussi bien la politique nazie envers les Juifs et les Tziganes qu’envers les nations en voie de germanisation, en particulier la Pologne. Considérant que le terme « barbarie » est trop vague, confiant dans le pouvoir du langage et du droit, il forme alors le néologisme « génocide », en combinant les mots grecs « genos » (race, peuple, tribu) et « cide » (tuer).
L’intention d’anéantir un groupe
En 1944, Lemkin définit le génocide comme « un crime commis avec l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Le terme cherche à qualifier des actes d’une intention particulière : l’anéantissement d’un groupe humain en tant que tel, et pas seulement le massacre d’un grand nombre d’individus civils. Un autre enjeu est qu’il s’agisse d’un crime relevant du droit international plus large que le droit de la guerre : la qualification doit pouvoir s’appliquer lorsqu’il n’y a pas de guerre et lorsque les victimes font partie des ressortissants de l’État des responsables.
Pour Lemkin, la réalisation du génocide peut passer par des moyens extrêmement variés : « En règle générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf lorsqu’il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d’une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes » 1.
La Convention de 1948
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été adoptée par les Nations unies en 1948. Elle est plus restrictive que ce que Lemkin avait en tête. Elle définit le génocide comme « tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Elle énumère cinq actes constitutifs : meurtre, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, conditions d’existence destinées à entraîner la destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances et transfert forcé d’enfants. Les États ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour punir et empêcher les génocides.
Lemkin avait une grande confiance dans la puissance préventive de l’inscription du crime de génocide dans le droit international. L’histoire apportera malheureusement un démenti cinglant à ce fétichisme du droit.
- 1. Raphaël Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe : laws of occupation, analysis of government, proposals for redress, 1944.