Âgés respectivement de 96 et 90 ans, Henri et Clara Benoits sont parmi les témoins les plus précieux de la manifestation du 17 octobre 1961…
L’Anticapitaliste : À la date du 17 octobre quelles étaient vos liens avec avec les luttes des algériens chez Renault ?
Henri : Depuis mon arrivée chez Renault, j’entretenais des relations chaleureuses avec de nombreux militants algériens, notamment au sein de la CGT. Le fait que je sois connu de quelques-uns comme militant trotskiste facilitait les contacts. Les militants du MTLD savaient que le PCI les avait soutenu sans discontinuer depuis 1945.Nous étions en lien avec tous les courants algériens de l’usine qui allaient se retrouver dans FLN constitué sur l’usine de Renault Billancourt en avril 1956.
Clara : Entrée chez Renault en 1949, j’ai été déléguée du personnel du 1er collège qui regroupait ouvriers et employéEs mensuelEs, ce qui me permettait d’être en contact avec des délégués CGT ouvriers dont beaucoup d’algériens avec lesquels j’ai sympathisé. Certains étaient au PCF et nous participions ensemble aux grèves et manifestations. Les Algériens revendiquaient l’indépendance.
On a constitué dès 1955 un comité pour la Paix en Algérie, avec la reconnaissance de la demande d’indépendance, pour soutenir les Français qui aidaient les Algériens, position en marge de la CGT. Le Comité des mensuels pour l’Algérie ne regroupait pas seulement des militants CGT mais aussi CFTC.
Henri, tu étais militant à la CGT, mais aussi engagé politiquement…
J’ai été membre de la cellule trotskyste dans l’usine où je suis entré en 1950. Délégué CGT dans mon milieu de travail des dessinateurs, j’ai constamment entretenu des liens avec toute l’immigration présente à Billancourt.
C’est pourquoi la IVe Internationale m’a associé au travail clandestin de soutien pratique au FLN. La tâche essentielle se concentra au début sur l’édition de matériel en direction des travailleurs algériens. En complément, nous devions assurer l’hébergement, transitoire ou durable de militants FLN, et faciliter les transferts des cotisations du FLN.
Dans l’usine, certains militants du FLN connaissaient par les canaux de leur organisation mon engagement à l’extérieur mais, clandestinité oblige, ils ne m’en parlaient pas, sinon des sourires de connivence pour sceller notre complicité.
Je cessai cette activité clandestine après mon interpellation par la DST en 1959. Mon activité s’orienta alors vers les ouvriers algériens du FLN de Renault, et l’AGTA. Début 1961, avec Clara nous sommes à l’initiative d’un Comité d’aide aux emprisonnés algériens pour envoyer des mandats aux emprisonnés dans les prisons et les camps d’internement comme celui du Larzac.
Témoins le 17 octobre
C’est une véritable guerre qui prévaut en France contre les Algériens. Dans les commissariats de police règne un racisme qui aggrave le sort des Algériens ; vexations, discriminations de toutes sortes et répression. Et la répression était permanente.
La Fédération de France du FLN a organisé cette manifestation pour protester contre l’instauration du couvre-feu décidée par le Préfet Papon, interdisant aux Algériens, « Français musulmans » à l’époque, de sortir entre 20h30 et 5h30. Le FLN voulait ainsi faire la démonstration que les Algériens étaient derrière lui.
Nous avons été sollicités par un camarade de l’usine, en contact avec le FLN. Notre rôle : assister à la manifestation et témoigner fidèlement de son déroulement. Ne pas intervenir, quoiqu’il arrive : nous étions 5 de chez Renault. Notre témoignage a été remis dès le lendemain à Mohammedi Sadok, un des responsables de la Fédération de France du FLN. Tout est relaté dans le témoignage que nous avons fait pour Einaudi lors du procès que Papon lui a intenté en 1998. Plus de trente ans après les faits. Notre témoignage portait sur le parcours de la manifestation entre Opéra et le cinéma Le Rex au métro Bonne Nouvelle.
Quelques mois après, il y a la manifestation de Charonne qui pendant des années à contribué à l’effacement de la manifestation du 17 octobre…
Henri : Après l’indépendance de l’Algérie gagnée quelques mois plus tard, beaucoup de militants algériens sont repartis en Algérie. À partir des années 90, notamment avec le travail de Jean Luc Einaudi, la tendance s’inverse. Aujourd’hui le 17 octobre est plus visible que Charonne. Nous participons chaque année au rassemblement Quai Saint Michel où la Mairie de Paris a remplacé le tag « ici on noie les algériens » par une plaque peu visible.
Propos recueillis par Robert Pelletier et Fred Gambas