Publié le Samedi 13 novembre 2021 à 16h12.

À propos de la publication du texte de Trotsky « Les leçons de la Commune »

Le choix du texte de Trotsky pour notre numéro spécial dédié à la Commune de janvier 2021 fait débat, autour de la question du rôle du parti et du facteur subjectif dans la révolution.

Le texte commence ainsi : « Chaque fois que nous étudions l’histoire de la Commune, nous la voyons sous un nouvel aspect grâce à l’expérience acquise par les luttes révolutionnaires ultérieures, et surtout par les dernières révolutions, non seulement par la révolution russe, mais par les révolutions allemande et hongroise. »

Or le texte de Trotsky a été écrit en février 1921 et il se situe dans la foulée du IIe congrès de l’Internationale Communiste (juillet 1920) et des fameuses 21 conditions d’adhésion destinées à faire barrage aux opportunistes type Marcel Cachin. Il fait aussi suite aux congrès de scission des partis socialistes, en décembre 1920 en France et en janvier 1921 en Italie. L’heure est donc à la construction de véritables partis révolutionnaires, en rupture avec les courants réformistes de la social-démocratie. Ce texte est donc très daté.

Un texte construit autour du seul axe de l’absence de véritable parti révolutionnaire

Citations : « Et précisément le prolétariat français n’avait pas de parti d’action.» « Nous pouvons ainsi feuilleter page par page toute l’histoire de la Commune, et nous y trouverons une seule leçon : il faut une forte direction du parti. » « Ces lutteurs de 71 ne manquaient pas d’héroïsme. Ce qui leur manquait, c’était la clarté dans la méthode et une organisation dirigeante centralisée. » Et l’extrait à mes yeux le plus significatif : « Si en septembre 1870 à la tête du prolétariat de France s’était trouvé le parti centralisé de l’action révolutionnaire, toute l’histoire de la France, et avec elle toute l’histoire de l’Humanité, aurait pris une autre direction. »

Eh oui, avec des « si » on peut réécrire l’Histoire : si en Mai 68 il y avait eu un parti révolutionnaire, si en 1973 au Chili, si en Iran en 1979… et j’en passe. Certes, l’utilisation des « si » peut avoir des vertus pédagogiques pour montrer comment aurait agi une véritable direction révolutionnaire, mais de là à dire, ou à laisser entendre, que cela aurait été possible me semble très abusif. Car une direction révolutionnaire ne surgit pas de l’esprit mais des expériences de lutte de la classe ouvrière, et en 1871 les conditions n’étaient pas réunies pour cela (voir plus loin).

Un mépris pour les révolutionnaires

Dans l’affaire, le plus négatif de l’article de Trotsky ne réside pas dans ces considérations sur le rôle d’un parti révolutionnaire, que nous pouvons partager pour l’essentiel, notamment en ce qui concerne la Révolution russe, mais dans le fait qu’il en vient à dénigrer les dirigeants de la Commune avec des termes inacceptables :

« Au lieu de cette politique d’offensive et d’agression qui pouvait seule sauver la situation, les dirigeants de Paris essayèrent de s’enfermer dans leur autonomie communale : ils n’attaqueront pas les autres, si les autres ne les attaquent pas ; chaque ville a son droit sacré de self-government. Ce bavardage idéaliste – du genre de l’anarchisme mondain – couvrait en réalité la lâcheté devant l’action révolutionnaire qui devait être menée sans arrêt jusqu’à son terme, car autrement, il ne fallait pas commencer… »

On peut critiquer certains débats sans fin et sur des sujets qui ne semblaient pas de la plus grande urgence au sein de la Commune, ces débats qui ont parfois exaspéré Eugène Varlin, mais dire que ces débats couvraient « la lâcheté devant l’action révolutionnaire » est tout simplement insultant pour les membres de la Commune, dont la quasi-totalité se sont sacrifiéEs au combat ou ont été fusillés.

Les visions plus nuancées de Marx et Lénine

Quant au fait de s’enfermer dans l’autonomie communale, la question est un peu plus complexe. Marx n’a pas balayé d’un revers de main cette question qui reste au centre de débats encore actuels. Pour lui « Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l’ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d’organisation nationale que la Commune n’eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l’armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient tour à tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris. » (La guerre civile en France).

Le texte de Trosky figure dans une brochure de la Ligue Communiste publiée en mars 1971 à l’occasion du centenaire de la Commune. Outre la présentation générale, on y trouve un texte d’Engels pour le 20e anniversaire, et deux textes de Lénine de 1908 et 1911 pour le 40e anniversaire. Dans le second texte, Lénine écrit :

« Pour qu’une révolution sociale puisse triompher, deux conditions au moins sont nécessaires : des forces productives hautement développées et un prolétariat bien préparé. Mais en 1871 ces deux conditions faisaient défaut. Le capitalisme français était encore peu développé et la France était surtout un pays de petite bourgeoisie (artisans, paysans, boutiquiers, etc.). Par ailleurs, il n’existait pas de parti ouvrier ; la classe ouvrière n’avait ni préparation ni long entraînement et dans sa masse elle n’avait même pas une idée très claire de ses tâches et des moyens de les réaliser. Il n’y avait ni sérieuse organisation politique du prolétariat, ni syndicats et associations coopératives de masse.

Mais ce qui manqua surtout à la Commune, c’est le temps, la possibilité de s’orienter et d’aborder la réalisation de son programme. Elle n’avait pas encore eu le temps de se mettre à l’œuvre que le gouvernement de Versailles, soutenu par toute la bourgeoisie, attaquait Paris. La Commune dut, avant tout, songer à se défendre. Et jusqu’à la fin, entre le 21 et le 28 mai, elle n’eut pas le temps de penser sérieusement à autre chose. »

On peut discuter dans cet extrait de la nécessité de forces productives développées, mais le plus intéressant est la façon dont Lénine traite de la direction révolutionnaire. Il est clair que pour lui, les capacités révolutionnaires de la classe ouvrière ne se limitent pas à la question du parti, aussi importante soit-elle, mais englobent plus largement l’ensemble de ses formes d’organisation et de lutte. Question très actuelle, et pas seulement pour les débats internes du NPA…

Et puis il y a le facteur temps, ce qui permet à Lénine d’enchaîner sur l’œuvre considérable de la Commune réalisée en un temps si court et dans des conditions politiques très défavorables.

Ce texte aurait largement mérité de figurer dans la revue, ce qui n’enlève rien par ailleurs à la très grande qualité d’ensemble de ce numéro spécial.