Le pouvoir algérien avait été surpris par l’éruption du hirak le 22 février 2019 et par sa radicalité dégagiste, il a ensuite semblé s’en accommoder. Puis le ton a changé et le scénario du « tout répressif » a pris le dessus.
En réalité, le pouvoir n’a jamais fait l’effort d’écouter le mouvement populaire qui imposait sa force et sa présence par les marches des vendredis et mardis. Il a d’abord tenté de le canaliser en s’appropriant ses premières revendications qui étaient de dégager le régime honni de Bouteflika et son 5e mandat. Gaïd Salah, le porte-voix des généraux, depuis décédé, a opéré son virage putschiste à partir d’avril 2019 en mettant fin au clan présidentiel, en reconfigurant la composante du pouvoir politique et en engageant un agenda électoral présidentiel pour normaliser le hirak, stabiliser l’emprise de son clan sur le pouvoir politique et engager des réformes constitutionnelles pour « démocratiser » le pays. Il a même cherché à préfabriquer des représentants du mouvement populaire pour donner caution à son agenda politique.
Répression du hirak
Ce scénario de cohabitation avec la pression du hirak n’a pas été de tout repos pour le pouvoir, car la crise politique au sein des clans de généraux prenait la forme de règlement de comptes et la prison civile d’El Harrach ou la prison militaire de Blida regorgeaient de nouveaux locataires du système. En pleine confrontation avec les clans, chef d’état-major de l’armée a été emporté par une crise cardiaque, et un nouveau rééquilibrage s’est opéré par un réajustement politico-militaire libéré des ambitions du général omnipotent. Le hirak n’a pas été épargné et Gaïd Salah lui-même avait entamé le cycle répressif en lançant l’opération anti-étendard amazigh puis en polarisant l’attention sur « la main étrangère » où se mélangent les « intérêts francais », les vidéos de Zitout et Amir-DZ (les animateurs du réseau pro-islamiste Rachad) et les élucubrations de Ferhat Mehenni, dirigeant du MAK.
Le Covid-19 a donné du répit au pouvoir avec la suspension des marches. Il en a profité pour réprimer des activistes, mettre en détention plus d’une soixantaine de personnes, ciblé des personnalités comme Bouregaa, Tabou ou Boumala arbitrairement emprisonnés comme tous les détenus d’opinion, et a tenté de récupérer quelques hirakistes et ex-détenus pour affaiblir le hirak. Les réseaux sociaux qui ont pris le relai des marches suspendues ont maintenu cette pression dégagiste et entretenu la flamme du hirak malgré la manipulation de l’outil numérique par le pouvoir autoritaire. Le pouvoir, y compris avec sa nouvelle configuration toujours aussi illégitime, a fait ses élections présidentielles et imposé sa nouvelle Constitution malgré un abstentionnisme impressionnant, reconnu même par le pouvoir omnipotent.
Face au retour du hirak, la dérive autoritaire
Le hirak résiste dans ces moments de reflux, imposés par le covid et par la répression. Les luttes sociales prennent le relai et une lutte exemplaire impressionne par le courage des travailleurs et syndicalistes impliqués, celle de Numilog à Bougie. Des grèves réapparaissent dans le secteur public et privé où les travailleurEs expriment leur colère face à la précarisation aggravée de leurs conditions sociales où le covid est prétexte aux liquidations d’entreprises, aux licenciements, au chômage déguisé, aux salaires impayés et à l’exclusion des syndicalistes. La colère sociale prend le relai de la colère politique brimée et les conditions de convergence de cette double colère deviennent une nécessité absolue.
Au moment où les gouvernants par effraction pensent avoir normalisé le hirak et l’avoir réduit à quelques activistes zélés, le mouvement populaire revient à la surface et le lundi 22 février puis le vendredi 26 février, des marches impressionnantes reprennent à la capitale et dans les grandes villes. Un retour grandiose du hirak qui surprend, inquiète et amène le pouvoir à glisser très vite dans la « dérive autoritaire ». Sa feuille de route devient une priorité et le scénario du « tout répressif » se traduit par une accélération du rythme des arrestations, une violence inouïe contre les activistes, des dispositifs de sécurité correspondant à un véritable état de siège principalement dans la capitale prioritairement ciblée.
Acharnement contre le PST
Au 3 juin 2021, plus de 3 000 arrestations, 214 détenus et des dizaines d’activistes sous contrôle judiciaire et une interdiction clairement affichée des manifestations et marches qui fait que l’Algérie devient « bleue » tous les vendredis. Ce n’est pas le signe du beau temps mais celui d’un « sale temps » imposé par la force de la répression. Les « décideurs » ont aussi engagé une procédure « constitutionnelle » déclarant Rachad et le MAK comme organisations terroristes, créent deux pôles judicaires spécialisés à Alger et Oran criminalisant les actes de résistance des hirakistes. Ils complètent leurs scénarios par des procédures judiciaires contre des partis et associations pleinement impliqués dans le Hirak.
C’est le cas du PST qui reçoit des injonctions du ministère de l’Intérieur « pour être en conformité avec la loi ». Un congrès est organisé rapidement dont l’ouverture a été publiquement visualisée, congrès qui a élu sa nouvelle direction. Malgré cela, une procédure de suspension ou de dissolution du PST est engagée par les pouvoirs publics, traduisant cet acharnement délibéré contre une organisation et un courant politique présent depuis plus d’un demi-siècle dans ce pays dont la vision programmatique entrevoit le hirak et les luttes sociales en cours comme le premier cycle d’un processus de révolution permanente. La menace concerne aussi l’UCP de Zoubida Assoul, le RCD dont les dirigeants sont malmenés, le MDS et l’association RAJ particulièrement ciblée.
Des solidarités à renforcer
Cette répression massive et tous azimuts contre le hirak et ses acteurs a accéléré la prise de conscience sur la nécessité de réagir vite et d’organiser la résistance. D’où l’initiative lancée par la CNUAC, la CNLD et le CACTCCI pour créer un front populaire anti-répression, une initiative qui a suscité un engouement sur les réseaux sociaux et auprès d’activistes qui ont vite voulu être partie prenante. Une déclaration a été faite dans ce sens qui s’est transformée de fait en pétition et l’adhésion de collectifs locaux, nationaux, partis, syndicats et diaspora prend forme et a permis d’enclencher la mise en place formelle de ce front dont la feuille de route organisationnelle et d’actions est en débat. Le rôle de la diaspora est évidemment important car quand la parole est cadenassée en Algérie, la diaspora doit prendre le relai pour faire beaucoup de bruit, alerter et organiser une solidarité agissante auprès de nos compatriotes algériens en France et au Canada où la communauté algérienne est fortement présente, mais aussi auprès du mouvement ouvrier et syndical, des forces démocratiques, et des amis de l’Algérie, soutiens de l’Algérie anticoloniale. La solidarité agissante auprès du mouvement populaire et ses détenus arrêtés, ses activistes harcelés et son expression politique brimée est urgemment à l’ordre du jour.
Lexique
CACTCCI : Comité algérien contre la torture et les conditions carcérales inhumaines
CNLD : Comité national pour la libération des détenus
CNUAC : Coordination nationale des universitaires pour le changement
MAK : Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie
MDS : Mouvement démocratique et social
PST : Parti socialiste des travailleurs
RCD : Rassemblement pour la culture
et la démocratie
RAJ : Rassemblement, actions, jeunesse.
UCP : Union pour le changement et le progrès