Publié le Jeudi 11 avril 2019 à 14h41.

Allemagne : « Qui sont les vrais Européens ? »

Parmi les partis de la « grande coalition » qui constituent le gouvernement (CDU/CSU et SPD) les divergences politiques concernant l’UE sont minimes. Les Chrétiens-démocrates (CDU/CSU) refusent toute concession aux demandes de Macron, qui voudrait voir instaurer un ministre des Finances européen et un certain budget européen qui égaliserait au moins un peu les données économiques des différents pays de l’UE.

La social-démocratie (SPD), qui se veut plus « européenne » que tous les autres partis en Allemagne soutient (un peu !) l’idée générale de Macron, mais cela reste très platonique, surtout parce qu’on défend la « position allemande » : « On ne doit pas payer pour les autres ». C’est malhonnête, puisque tous les partis savent très bien que – contrairement à la majorité des pays de l’UE – c’est surtout l’Allemagne qui profite de cette union et avant tout de l’euro. Ainsi, depuis la création de la monnaie unique, les pays de l’Europe du sud et du sud-est n’ont plus la possibilité de dévaluer leur monnaie pour se protéger contre le rouleau compresseur de l’industrie allemande. Et les taux d’intérêt pour les emprunts de l’État allemand sont entre zéro et négatifs. L’État allemand et les banques en Allemagne gagnent considérablement en prêtant aux pays comme la Grèce.

L’effet en est remarquable : l’Allemagne est un des rares pays qui réussissent à faire baisser leur endettement. En 2010, il s’élevait à 81,8 % du PIB à 64,1 % en 2017 et à 60,9 % en 2018. Évidemment, cela ne peut continuer comme ça, puisque la conjoncture est en baisse. Mais tous les partis (et la vaste majorité de la population) savent bien que l’UE est bien avantageuse pour l’économie allemande. Ainsi, défendre les « richesses de l’Allemagne » contre les fainéants, c’est cela qui compte pour tous ces partis.

Les Verts critiquent telle ou telle mesure prise par le Conseil des ministres et demandent plus de compétences pour le Parlement européen mais ils ne prononcent aucune critique de l’UE ­impérialiste, militariste, etc.

Le parti d’extrême droite, l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) a atténué sa propagande pour le Dexit (sortie de l’Allemagne de l’UE) et se concentre sur le modèle d’une « Europe des patries », sans trop préciser ce que cela veut dire.

Les points de concordance

Tous les partis bourgeois (le SPD inclus) sont unanimes qu’il ne faut surtout pas instaurer une « union d’endettement », ce qui veut dire : L’Allemagne doit être sauvée du danger de… devoir payer pour les « dettes des autres ». Mais il y a encore d’autres points qui font l’unanimité de tous ces partis :

– Pour eux, il est absolument prioritaire de refouler les réfugiéEs. Donc tous ces partis sont pour le renforcement de Frontex et pour entraver le travail des équipes civiles de sauvetage. L’AfD demande non seulement la fermeture absolue des frontières pour tous le réfugiéEs, mais aussi de baisser « le taux des étrangers dans la population » ce qui ne se réaliserait que par l’émigration forcée de beaucoup d’étrangers.

– Le traité de Lisbonne exclut une politique militaire commune, mais la réalité est bien différente et tous les partis bourgeois (sauf dans une certaine mesure les Verts) soutiennent l’armement de l’UE. Sous l’égide de la « politique étrangère et de sécurité commune » l’UE construit une armée européenne pour défendre les intérêts géostratégiques du capital européen. La PESCO a déjà planifié et coordonné 34 interventions qui visent à contrôler les régions voisines de l’UE à travers des projets « civils-­militaires ». Surtout le projet d’établir un budget militaire au niveau de l’UE montre le caractère grandissant militariste de l’UE.

– Le comble : la création de l’Euro­gendfor (Force de gendarmerie européenne) vient d’établir une gendarmerie internationale qui est censée intervenir dans les pays où les émeutes (ou les insurrections) dépassent les capacités de répression par les gendarmeries nationales….

« Qui sont les vrais Européens ? »

Alors les débats entre tous les partis bourgeois (hormis l’AfD) tournent autour de la question : qui est plus « européen » que les autres ? Tous les programmes pour les élections déclarent que le nationalisme va nuire à « l’Europe » (sous-entendu : qui nous sert si extraordinairement). C’est ça leur lutte contre l’AfD ! Mais cela ne les empêche pas d’assimiler une bonne partie du programme sécuritaire et raciste de l’extrême droite.

Le discours sur les vrais (ou les meilleurs) « EuropéenEs » a un autre effet assez important : identifier l’UE et l’Europe renoue avec le sentiment spontané d’une grande partie de la population de vouloir être ouvert (et non pas borné), partir en vacances à l’étranger, etc. Donc : si tu ne veux pas être rétrograde, tu dois être « Européen » et cela se traduit par être pour l’UE. 

L’identification de l’Europe avec l’UE dans le discours public a ses effets aussi sur le parti Die Linke. Sa présidente Katja Kipping déclare : « Je suis pour l’UE parce que je suis une Européenne enflammée. » Malheureusement, cette attitude est devenue typique pour la majorité du parti qui – lors de sa récente conférence pour les Européennes – ne dit plus que l’UE est impérialiste et militariste – ce que le parti disait encore lors des dernières européennes. 

Deux tendances sociales et politiques opposées

À cause de la crise de la politique des partis traditionnellement majoritaires (CDU/CSU et SPD), ces partis perdent de la crédibilité, le SPD étant aujourd’hui plus faible que les Verts ou l’AfD. La croissance de l’AfD et le glissement de la politique gouvernementale vers la droite (pour ainsi rendre l’AfD superflu) est un tournant réactionnaire qui met en danger les droits démocratiques tout en renforçant l’AfD. Les Verts, quant à eux, sont au gouvernement dans 8 des 16 Bundes­länder, et ne représentent aucune alternative.  

Heureusement le mouvement des jeunes pour le climat (« Fridays for Future ») se situe vraiment aux antipodes de tout cela. Des dizaines de milliers de jeunes participent chaque vendredi à des manifestations demandant des mesures radicales pour sauver le climat : le 15 mars dernier, ils et elles étaient 300 000 ! Le Premier ministre de Bade-­Wurtemberg (Kretschmann, membre des Verts) voudrait interdire ces manifs durant les heures de cours, mais – au moins pour le moment – les jeunes ne se laissent pas intimider. 

Nous nous attendons à un prolongement de ce mouvement. C’est une chance pour la renaissance d’une opposition radicale à ce système meurtrier.

Jakob Schäfer, membre de l’ISO