Publié le Dimanche 31 juillet 2011 à 22h09.

Bloc de gauche : après les élections législatives du 5 juin dernier

 

Le Portugal est aujourd’hui à l’image de ces pays d’Europe où la social-démocratie a mené au gouvernement une politique entièrement favorable aux intérêts de la classe dominante. Sur le terrain électoral, cela s’est traduit par une progression très forte de l’abstention (plus de 40 %) et un basculement de l’électorat vers la droite, y compris la droite la plus dure et la plus nationaliste incarnée par le Parti populaire qui a réalisé une percée autour de 11,7 %.

Une exception pourtant : le Parti communiste. En 2009 il avait obtenu 7,86 % des voix, il obtient cette fois 7,94 % des voix et seize députés. Le Bloc de Gauche enregistre par contre un sérieux recul avec un score plus modeste (c’est évidemment très relatif) : 5,19 % des voix et huit députés en 2011 au lieu de 9,81 % des voix et seize députés en 2009.

La crise n’explique pas tout

Les explications sont sans doute multiples, mais l’entretien accordé par l’un des dirigeants de ce parti à notre hebdomadaire1 insiste essentiellement sur un aspect : le poids de la crise et le fait que « le mensonge a fonctionné […] La peur a habité la campagne […] L’espace pour des propositions alternatives s’est réduit ».

C’est possible. Il faut pourtant constater que cela n’a pas fonctionné de la même manière pour le Parti communiste. Et constater également qu’après la grève générale du 24 novembre, la plus importante depuis la chute de la dictature, puis les manifestations gigantesques qui ont eu lieu le 12 mars, ce n’est pas exactement une impression de démoralisation qui semblait transparaître, y compris au sein du Bloc de Gauche, du moins jusqu’à la douche froide électorale.

Il y a bien des explications sans doute et, pour ne prendre qu’un exemple, l’allusion dans le même entretien à un « électorat captif » du PCP renvoie probablement à une différence bien réelle entre les deux formations en termes d’implantation dans les milieux populaires, de liens avec le mouvement ouvrier organisé et, surtout, de capacité à jouer un rôle dirigeant dans la lutte de classe au-delà du seul succès électoral.

Mais il y a manifestement un oubli : aucune allusion et donc aucun bilan sur la campagne présidentielle menée en janvier 2011 en soutien au « candidat indépendant » mais néanmoins toujours membre du Parti socialiste, Manuel Alegre. Or ce n’est évidemment pas un détail, avec d’un côté Manuel Alegre soutenu par le Bloc de Gauche mais également par le Parti socialiste qui a fini par se rallier à cette candidature, et de l’autre, le candidat soutenu par le PCP qui ne pouvait apparaître dans ces conditions que comme la seule force d’opposition clairement indépendante du PS.

Face au Parti socialiste

Le choix de soutenir la candidature de Manuel Alegre répond probablement à de nombreuses considérations que nous ne connaissons pas toutes. Mais au-delà de la tentation de profiter du succès déjà obtenu par ce candidat aux précédentes élections en 20062, il y a un choix beaucoup plus fondamental, celui de s’adresser en priorité à « l’électorat critique » du PS afin de contester l’hégémonie de ce dernier sur la gauche.

C’est un choix dont nous n’avons pas ici les moyens de discuter la pertinence mais qui trouve semble-t-il son sens véritable si on le met en lien avec le choix d’investir une énergie considérable dans les batailles parlementaires. C’est en tout cas ce que souligne Francisco Louça, son porte-parole, dans un entretien accordé à la revue Inprecor3 : « Ce qui fondamentalement définit notre identité politique c’est le conflit public, la confrontation très forte avec le gouvernement au Parlement, qui est au Portugal le centre du débat politique […] notre politique d’alliance avec des secteurs socialistes critiques a conduit plusieurs fois le gouvernement au bord de la défaite au Parlement […] Au Portugal cela a représenté une rupture importante. C’est de là que viennent nos relations avec Manuel Alegre qui dirigeait ce processus d’insoumission politique et parlementaire ».

Insoumis peut-être… mais pas au point de ne pas être soutenu par le PS en 2011. Ce ralliement du Parti socialiste n’était sans doute pas prévu, mais ce qui est plus étonnant est la grande discrétion qui semble entourer le bilan que l’on peut en faire. Or aujourd’hui, il semblerait que le Bloc de Gauche veuille s’engager un peu plus loin dans la tentative de se présenter comme une force politique radicale certes mais crédible, en rupture avec le social-libéralisme mais capable en même temps d’apparaître comme un parti de gouvernement susceptible de changer concrètement la vie des gens dans le cadre des institutions.

C’est le sens de son appel à l’adresse du PCP et de l’aile gauche du PS pour former un gouvernement sur la base d’un programme antilibéral. Inprecor vient de publier4 l’intégralité de la résolution adoptée par le congrès qui a eu lieu en mai. Fait significatif, le Bloc de Gauche se prononce en faveur d’une « renégociation » des partenariats public-privé et surtout de la dette : « Cette dette n’est pas supportable et doit faire l’objet d’un audit et être restructurée pour en baisser les taux ». Sans remettre en cause les traités européens et après avoir voté l’année dernière en faveur du principe d’un prêt intra-européen sous prétexte que ne pas le faire aurait amené le Portugal à se jeter dans les bras du FMI, le Bloc de Gauche se prononce aujourd’hui pour une « politique de gauche » dont les principaux axes sont un plan d’urgence pour la création d’emplois (mais rien sur l’interdiction des licenciements), une réforme fiscale et le financement de l’investissement par la banque publique, avant de conclure : « Dans son activité, le Bloc de Gauche a cherché la convergence avec des secteurs politiques engagés sur des positions antilibérales. Notre soutien à la candidature de Manuel Alegre obéissait à cette politique unitaire qui rompt avec des traditions sectaires. Nous avons encore besoin de la même culture unitaire […] contre les politiques récessives ».

L’antilibéralisme comme projet stratégique

Dans un entretien déjà cité3, Francisco Louça explique : « Nous n’acceptons pas la distinction entre le capitalisme et le libéralisme : le libéralisme c’est la forme effective du capitalisme […] C’est à partir de là que se pose la question des relations avec les autres secteurs, si l’on aspire à jouer un rôle hégémonique dans un gouvernement alternatif à la politique conduite actuellement ».

C’est évidemment une différence fondamentale avec l’analyse que nous pouvons faire de la crise du capitalisme et des solutions qu’il faut y apporter, notamment lorsque nous discutons de ce que pourrait être un « gouvernement des travailleurs » défendant un programme de rupture avec le capitalisme et ses institutions.

S’il y a une différence réelle entre le projet du NPA et celui du Bloc de gauche, celle-ci doit être correctement identifiée. Il n’y a pas de divergence sur la possibilité de construire un nouveau parti avec d’autres forces, comme ça a été le cas du Bloc de Gauche à partir de différentes traditions de la gauche dite « radicale » et révolutionnaire. Les vraies questions sont sur quelles bases et avec quel projet stratégique. C’est cette discussion que nous devons poursuivre aujourd’hui au sein du NPA. 1. « Portugal : après le peuple, la gauche paye la crise ». Tout est à nous ! N° 107, du 16 juin 2011.

Jean-François Cabral

2. En janvier 2006, Manuel Alegre obtient 20,74 % des voix face au candidat officiel du PS (14,31 %), et face au candidat du PCP (8,64 %) et à celui du Bloc de Gauche (5,32 %). En janvier 2011 il réalise 19,67 % des suffrages avec le soutien cette fois du PS et du Bloc de Gauche qui ne présentaient pas d’autres candidats.

3. Inprecor, novembre-décembre 2010.

4. Inprecor, mai-juin 2011.