Nombre d’analyses de gauche du référendum britannique et de ses résultats mettent en avant la mainmise de la droite conservatrice et raciste sur la campagne en faveur de l’« exit » et la dynamique politique xénophobe qui en résulte. Des faits incontestables, mais qui relèvent pour partie d’une prophétie autoréalisatrice.
Car ce qui saute aux yeux également, c’est la démission de la majeure partie de la gauche britannique du combat concret contre l’Europe capitaliste : aussi bien la gauche du Labour que les principaux dirigeants syndicaux, Left Unity et même nos camarades anticapitalistes de Socialist Resistance, ont défendu le « Remain ». Dans ces conditions, prédire – voire commenter après coup – que la campagne pour une sortie de gauche resterait peu audible était facile. Mais force est de constater que le front « Another Europe is possible », qui disposait de beaucoup plus de soutiens, n’a pas non plus réussi à enrayer les dynamiques à l’œuvre et à trouver l’oreille de la majorité des travailleurs. Peut-être faut-il se demander pourquoi.
Quand la gauche démissionne, les travailleurs trouvent une autre direction
Depuis maintenant 10 ans, chaque fois que l’Union européenne est en cause dans un référendum (notamment en France en 2005, en Irlande en 2008, ou en Grèce en 2015), elle subit un camouflet, les classes populaires votant majoritairement contre elle ou ses appendices. Traité après traité, plan d’austérité après plan d’austérité, les salariés des pays membres ont compris ce qu’est l’UE, son rôle dans la destruction de leurs droits, son caractère viscéralement anti-démocratique voire sa responsabilité dans la mort de milliers de migrants chaque année à ses frontières.
Lorsque la gauche et les anticapitalistes se placent à la tête de sa dénonciation, les courants chauvins peuvent être relégués au second plan (cf. le débat sur l’adhésion de la Turquie déclenchée par l’extrême droite en 2005). Mais lorsqu’ils se déclarent agnostiques, ou a fortiori se présentent en défenseurs de l’UE – même au nom d’une autre Europe –, l’extrême droite rafle la mise.
Les rapports de forces nous sont plus défavorables aujourd’hui qu’en 2005. Raison de plus pour s’y mettre. La gauche anticapitaliste doit assumer la rupture avec l’UE comme élément de son programme et de sa stratégie, condition nécessaire bien que non suffisante pour en finir avec l’austérité et ouvrir la voie à un véritable projet internationaliste. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra prendre appui sur la conscience certes confuse, partielle, mais fondamentalement juste, qu’a notre camp social de la nature de l’UE, et tirer le fil vers la critique des institutions et des gouvernements nationaux qui soutiennent les mêmes politiques, vers l’hypocrisie de l’extrême droite.
La corde est raide, mais nous devons l’emprunter
La corde est raide car, comme le montre les récentes sortie de Jean-Luc Mélenchon à propos des travailleurs détachés, une partie de la gauche est tentée par le réformisme version bleu-blanc-rouge pour disputer à l’extrême droite ses électeurs. Mais a contrario, les projets qui misent sur une novation sans rupture des institutions de l’UE ou sur un compromis avec ses dirigeants sont tout autant une impasse pour notre camp social, le drame du peuple grec est là pour nous le rappeler.
La corde est raide mais nous devons pourtant l’emprunter, car les jours meilleurs où les antagonismes de classes se présenteront à nus n’arriveront peut-être pas. En France, le mouvement contre la loi El Khomri a relégué pour un temps le FN au second plan, mais n’a pas entamé son influence et son audience.
Le débat sur la sortie de l’UE rebondira nécessairement au moment des élections présidentielles. Les classes dominantes ont choisi leur camp : celui de l’UE comme cadre d’alliance sur le plan international et de levier pour leur offensive antisociale sur le plan national. La seule façon de contribuer à l’homogénéisation du nôtre, à la reconstruction d’une conscience de classe et d’une expression politique indépendante du mouvement ouvrier, est d’y prendre parti.
Simon Picou