Publié le Mercredi 6 novembre 2024 à 18h09.

Carnet de voyage en Ukraine

Nous publions ce texte de nos camarades paru dans le numéro 34 d'octobre 2024 de "Soutien à l'Ukraine résistante" publiée aux Éditions Syllepse.

Impliqué·es dans la solidarité concrète avec l’Ukraine depuis les premières heures de l’invasion à grande échelle, nous nous sommes rendu·es cet été en Ukraine dans le but d’y nouer et d’y renforcer des liens de solidarité concrets.

Nous militons au NPA-L’Anticapitaliste et sommes membres de l’équipe qui est en charge de la création de contenus pour nos réseaux sociaux et de la réalisation de vidéos, notamment des reportages et des documentaires pour notre média, L’Anticapitaliste. C’est à partir de cette position-là que se noue notre réflexion. Comment renforcer la solidarité avec les Ukrainien·nes ? Comment donner à entendre les voix de nos camarades de la gauche révolutionnaire en Ukraine ? Comment comprendre et faire comprendre ? Comment contrer l’influence des arguments campistes imprégnés de fake news et de propagande poutinienne ?

Nous sommes donc parti·es avec l’idée de filmer nos rencontres, d’organiser des entretiens de fond filmés, de pouvoir documenter ce voyage par des témoignages directs et des images des lieux que nous avons traversés ou visités. Mais pour pouvoir rendre compte de manière détaillée et surtout utile d’un point de vue militant, nous avons compris qu’il allait falloir écrire… Ce premier texte rend compte de nos premières impressions sur la base des notes que nous avons prises pendant ces deux semaines et ouvre la voie à une série d’articles thématiques.

Renouer avec une tradition internationaliste de solidarité concrète

Katya Gritseva, militante du syndicat étudiant Priama Diia, nous interpellait récemment par ces mots, qui s’appliquent à notre voyage :

Ne pensez pas à nous, militant·es ukrainien·es, comme des victimes. Pensez à nous comme des camarades, impliqués dans la même lutte de classes. La meilleure chose que vous pouvez faire pour nous soutenir, c’est de nous parler de vos luttes, de comment vous les menez, mais également de nous écouter quand nous vous parlons de nos expériences, de nos luttes et de ce que nous vivons. Apprenez-en plus sur l’Ukraine et les gens qui y vivent. Parlez avec nous, venez nous rencontrer…

En allant sur place et en essayant de témoigner par différents biais de nos rencontres et de ce que nous allions y voir et y entendre, l’objectif était de pouvoir donner la parole aux premières personnes concernées, porter leur parole ici en France, notamment auprès des organisations et des militant·es de gauche. Donner la parole aux Ukrainiennes et aux Ukrainiens qui vivent l’invasion à grande échelle depuis deux ans, et la guerre depuis bien plus longtemps. Rencontrer les différentes composantes de la gauche ukrainienne, porter leur parole et parler de leur intervention réelle dans la lutte de classes, dans le contexte d’une guerre d’invasion.

Nous aurions dû être à Kyiv le jour du bombardement de l’hôpital Okhmatdyt pour enfants et de l’usine d’Artem début juillet, mais la dissolution inattendue de l’Assemblée nationale ici en France, nous a forcé·es à décaler notre voyage début août. Seulement trois jours après notre arrivée, l’armée ukrainienne lançait son offensive sur Koursk.

Nous avons passé l’essentiel de notre temps à Kyiv, car c’est là-bas que sont basées une grande partie des directions des organisations militantes. Mais nous avions également pris contact avec des organisations ou des militant·es dans la région de Kharkiv dans l’espoir de pouvoir nous y rendre, la région étant sous le feu des bombes et des tirs de manière intensive depuis plusieurs mois. Kyiv étant éloignée du front, il nous semblait important de pouvoir témoigner de la vie et du militantisme concret dans cette partie de l’Ukraine qui vit une réalité quotidienne bien différente de celle de la capitale. Nous avons donc réussi à nous rendre plusieurs jours à Kharkiv, puis à Izioum, une ville détruite par les combats et par une occupation russe de plus de six mois.

Rendez-vous avait été pris avec plusieurs organisations avec lesquelles nous avions déjà des liens : Sotsialnyi Rukh, Solidarity Collectives (un collectif d’antiautoritaires), East SOS (ONG d’assistance aux populations affectées par la guerre) et Priama Diia.

Sûr·es de nos convictions et probablement avec quelques idées préconçues et fantasmées de la situation et de la résistance populaire, nous avons voulu aborder avec nos interlocuteurs et interlocutrices la question de l’auto-organisation dans la résistance à la fois à l’invasion russe et à la politique néolibérale du gouvernement ukrainien et son cortège de réformes et de lois martiales.

Il s’agissait pour nous d’en savoir plus sur le fonctionnement concret de leurs organisations et de mieux comprendre leurs besoins pour tenter de mieux y répondre et être plus efficaces sur le terrain de la solidarité concrète avec elles et eux.

Nos rencontres et discussions se sont révélées absolument passionnantes, bien au-delà de ce que nous avions pu imaginer.

D’une part, l’expérience politique de ces camarades est riche d’enseignements et interroge énormément la question centrale pour tou·tes les marxistes de la théorie face à la pratique ; et ici de la pratique d’une situation très concrète et très réelle : celle de la guerre. D’autre part, tous nos échanges ont vite débordé le cadre politique pour glisser sur le terrain de l’intime. Cette guerre force à un engagement très concret, un militantisme hors du commun qui est aussi le fruit et le reflet de trajectoires personnelles. Aussi dans un pays en guerre, la question d’un futur collectif se confronte nécessairement à la question de son propre futur d’un point de vue individuel.

Les perceptions de la guerre

Nous avons rencontré toutes sortes de gens : universitaires, soldats, infirmières, étudiants, militant·es, bénévoles, techniciens, musiciens, comédiennes, institutrice, avocat·es, journaliste, salarié.es, cheminots, retraité·es, etc. Nous avons été confronté·es à autant de points de vue, de manières de percevoir la guerre et d’envisager l’avenir.

On ne perçoit pas la guerre de la même manière selon qu’on est un homme ou une femme, selon qu’on habite Kyiv ou Kharkiv, selon qu’on ait 90 ou 20 ans, selon qu’on ait une famille ou qu’on soit seul, selon qu’on ait tout perdu ou tout à perdre, selon qu’on soit LGBTI ou pas, selon qu’on est sur le front ou que l’on n’y soit pas.

Il existe un vrai rapport genré à la guerre, y compris dans nos propres perceptions et projections. Nos deux expériences individuelles de ce voyage se sont très rapidement confrontées, et complétées, sur cette question comme sur d’autres d’ailleurs.

Pour les hommes, la conscription forcée implique nécessairement une approche différente de celle qu’en ont les femmes. L’impossibilité administrative de quitter le pays pour les hommes de plus de 25 ans évidemment aussi.

Mais ce rapport à la situation de guerre s’exprime notamment à travers un rapport genré au travail y compris militant. Dans une telle situation de crise, le travail reproductif prend une place centrale et le travail bénévole dans beaucoup de situations pallie le manque ou l’absence de services publics. Et les femmes y sont surreprésentées. Ce sont elles qui gèrent les hôpitaux, l’éducation des enfants (y compris dans des conditions très périlleuses dans les zones proches du front où les écoles sont fermées depuis le début de l’invasion à grande échelle). Ce sont elles qui, au sein des ONG, organisent aussi la solidarité et prennent en charge une grande part du travail logistique et administratif. Ce sont souvent elles aussi qui ont pris le relais des militants syndicaux envoyés ou partis sur le front.

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans la caricature. Les femmes aussi rejoignent l’armée pour se battre et l’ensemble de la société ukrainienne participe à l’effort, se mobilise et combat l’invasion à différentes échelles. Tous les hommes ne sont pas sur le front et beaucoup d’entre eux s’impliquent dans la solidarité, militent pour les droits des travailleur·euses, livrent des colis sur le front, organisent des évacuations de civils, etc. Sur cette question du travail bénévole, nous conseillons la lecture de l’enquête de Daria Saburova, Travailleuses de la résistance : les classes populaires ukrainiennes face à la guerre.

Le rapport au front n’est évidemment pas le même pour tous·tes et nous avons pu observer un phénomène de « peur kilométrique ». En arrivant en Ukraine, les habitant·es de la zone frontalière avec la Pologne nous ont déconseillé de nous rendre à Kyiv, car c’était trop dangereux. À Kyiv, on nous a déconseillé de nous rendre à Kharkiv, car trop dangereux. À Kharkiv, on nous a déconseillé de nous rendre à Izioum car trop dangereux.

Plus les gens vivent près du front, moins ils en ont peur, car iels se sont habitué·es.

Kyiv a été à nouveau bombardée deux jours après notre arrivée. Alors que nous descendions dans un abri souterrain, la réceptionniste de notre hôtel nous a fait part de son angoisse et de sa fatigue. Nous sommes arrivé·es à ­Kharkiv alors que la ville était bombardée, mais malgré le bruit des sirènes et des explosions, les rues ne désemplissaient pas et la vie continuait presque comme si de rien n’était. Kharkiv est bombardée quasi quotidiennement et les sirènes retentissent en moyenne toutes les trente minutes. C’est étrange, mais on s’y fait très vite.
En revanche, il est clair que personne ne souhaite autant la paix que les populations de Kharkiv. La région est dévastée, les attaques et les destructions sont constantes. Les stigmates de la guerre sont partout, les checkpoints militaires sont sur toutes les routes.

L’armée russe est à 30 kilomètres

Évidemment, à Kyiv comme à Kharkiv, tout le monde souhaite la fin de la guerre mais personne n’imagine que la fin de la guerre signifierait céder des territoires occupés.
Un étudiant rencontré dans un bar de Kharkiv nous raconte le jour où les Russes sont arrivés :

Ils ont cru qu’on allait les accueillir avec des fleurs parce qu’on est russophones, ils ont été déçus, on les a accueillis avec des cocktails Molotov parce qu’on est Ukrainiens. Il n’y aura pas de capitulation.

Ce rapport de proximité au front induit aussi nécessairement une perception différente de l’avenir. Si tous les gens que nous avons rencontrés sont dans une incertitude faite d’un espoir prudent et d’un refus d’envisager la défaite, à Kyiv, les gens que nous avons interrogés formulent plus facilement des hypothèses sur l’après-guerre et la reconstruction de la société ukrainienne. À Kharkiv, les gens n’envisagent pas tellement le futur. Il n’y a que le présent qui compte. Dans un centre d’accueil pour réfugié·es dans la banlieue de Kharkiv, Oksana, la responsable bénévole de ce centre, nous présente les résident·es et nous confie : « Je suis leur futur, ils sont le mien. »

Parler de l’avenir avec des soldats mobilisés sur le front est en revanche bien différent. Nous avons pu en rencontrer deux. Tous deux sont des militants de la gauche antifasciste et révolutionnaire. Ils sont jeunes et pourtant penser au-delà de la guerre leur est très difficile. « Je ne veux pas trop y penser, c’est compliqué », nous explique Ilya, infirmier sur le champ de bataille. « Je ne sais même pas si je serai vivant la semaine prochaine », nous dit Youri, mobilisé dans l’artillerie. Ils sont comme aspirés par ce chaos. Les conversations avec eux sont étranges, intenses mais passionnantes.

Comprendre la guerre

Enfin, nous revenons de ce premier voyage en Ukraine avec la conviction qu’il est important pour nous, militant·es en France, de tenter de comprendre ce que veut dire vivre et supporter une guerre d’invasion, une guerre sur le temps long. De prendre la mesure de la crise politique et personnelle qu’implique l’urgence de la guerre. Comment la question de la survie et de gagner la guerre devient le préalable nécessaire à toute projection politique. De comprendre également cette séquence sur le temps long, en y intégrant la révolution du Maïdan, et l’invasion de la Crimée jusqu’à l’invasion à grande échelle du 14 février 2022 et deux ans après.

Même en étant éloigné du front, la guerre est présente partout. Les gens vivent avec les alertes quotidiennes et la présence de soldat.es et de check-points jusque dans les centres-villes. La propagande de recrutement s’affiche sur tous les murs, tous les panneaux.

Un sujet semble occuper particulièrement toutes les conversations : la conscription. Celle-ci venait de passer de 27 à 25 ans. Tous les hommes majeurs avaient déjà l’interdiction de quitter le territoire. Il était saisissant, lors de notre retour, d’observer à la gare routière tous ces hommes qui disaient au revoir à leurs femmes, leurs enfants ou leurs mères, qui, elles, montaient dans les bus à destination de la Pologne.

Il est important aussi de comprendre les dynamiques sociales et de classe qui traversent la guerre. En ce qui concerne la conscription, Kyiv a plutôt été épargnée jusque-là. La conscription a touché en priorité les zones rurales et les zones ouvrières, comme les régions minières. Les travailleurs intellectuels et étudiants sont encore en partie préservés de cette conscription. Aujourd’hui, la capitale commence à peine à ressentir cette pression, y compris malgré le risque concret d’être attrapé dans le métro par la police et emmené immédiatement au centre d’entraînement si vous avez été déclaré apte au service, comme en attestent les papiers militaires que vous devez avoir constamment sur vous.

Dans la société ukrainienne comme dans toutes les guerres, les conséquences concrètes de la guerre et de l’implication de chacune et chacun dans l’effort de guerre créent des différences et des ruptures. Comme, entre celles et ceux qui seront allé·es au front et celles et ceux qui n’y seront pas allé·es. Celles et ceux qui auront participé à l’effort de guerre, qui auront quitté le pays, évité la conscription, participé à une forme de bénévolat, ou pas, etc. « D’où parlez-vous ? Où étiez-vous pendant la guerre ? » sont d’ores et déjà des non-dits qui pèsent dans les discussions.

Ilya comme Youri ont tous les deux insisté sur le caractère brutal et aléatoire de la guerre. Quand on sert dans l’infanterie et qu’on vit dans une tranchée, il est impossible de prévoir quoi que ce soit. Entre les tirs, les bombardements et les drones, la mort peut frapper n’importe qui, n’importe quand.

Ilya nous dit qu’en tant que militant de gauche, la chose à faire aujourd’hui, c’est de rejoindre l’armée et que tout le monde dans l’armée devrait passer par l’infanterie.

Blessé par l’explosion d’une mine qui a pris la vie du camarade qui l’accompagnait en mission, Youri s’apprêtait à retourner sur le front dans deux semaines. Récemment promu sergent, il nous avoue qu’il n’a aucun problème à partir à l’assaut mais que, en revanche, y envoyer des hommes c’est une autre histoire. Bien plus dur qu’y partir soi-même.

Sur cette route toute droite qui nous mène de Kharkiv à Izioum, une image nous frappe particulièrement. Dans cette direction, il n’y a quasiment que des véhicules militaires transportant des soldats. De l’autre côté de la glissière de sécurité, des corbillards circulent dans l’autre sens.

Il y a un monde entre penser les choses depuis un pays loin de la guerre, depuis un impérialisme dominant qui ne connaît la guerre que comme agresseur, et le faire depuis l’Ukraine. Il y a un monde aussi entre entendre les alertes quasi quotidiennes mais ne pas avoir à supporter soi-même les bombardements, dans les villes de l’ouest du pays, et vivre dans une ville où les destructions et les bombardements continuent de frapper et tuer dans des quartiers résidentiels comme à Kharkiv. Enfin, il y a un monde, mais seulement à peine plus d’une centaine de kilomètres, entre Kharkiv et une ville comme Izioum détruite par l’occupation et les affrontements où il ne reste à peine que quelques civils.

S’organiser en temps de guerre

Après notre retour à Kyiv, nous avons pu également rencontrer grâce à Irene, militante et autrice féministe venue de France en même temps que nous, d’autres associations politiques comme Insight ou la Marche des femmes de Kyiv. Des associations qui existaient avant la guerre et militaient sur la question des droits des femmes, et sur les droits LGBTI. Comme beaucoup d’entre elles, celles-ci se sont reconverties en association de solidarité humanitaire concrète. Aujourd’hui, elles luttent sur la question de l’avancée des droits juridiques mais envoient surtout des paquets sur le front, dans les territoires occupés ou proches de la ligne de front avec des vêtements et équipements pour les femmes soldates, des livres d’éducation sexuelle et affective, du matériel hygiénique, etc. Mais aussi en aidant à l’accueil des réfugiées dans des espaces de non-mixité des mères avec enfants ou des personnes LGBTI.

À travers ces rencontres, comme celles des bénévoles et salariées de East SOS, nous avons pu mesurer comment la solidarité, le sentiment de responsabilité et des formes plus ou moins abouties d’auto-organisation viennent compenser une forme d’abandon et de manque de structures collectives, de services publics. Mais comment également une cristallisation de ces structures en ONG a aussi pu se faire au prix d’une bureaucratisation et d’une concurrence très forte entre ces structures pour obtenir des financements, majoritairement venus de l’étranger d’ailleurs.

Parmi nos questions : comment militer dans un état de guerre ? Sans rentrer dans les détails, il y a un paradoxe difficile à se représenter depuis la France : Dionysii, un étudiant de Priama Diia, nous expliquait ainsi les restrictions du droit de manifestation auxquels iels ont dû faire face, avec la nécessité de devoir à présent déclarer un rassemblement en préfecture, au risque de le voir interdit (ce qui arrive moins qu’en France, par exemple, pour une manifestation de soutien à la Palestine). Une situation que nous ne connaissons que trop… Et dont le caractère antidémocratique qu’il révèle, chez nous, en temps de paix, nous renvoie aussi à nos a priori sur la situation de la gauche ukrainienne.

Malgré la guerre et toutes ses conséquences matérielles, il est fondamental de comprendre que la politique ne suspend jamais son cours, y compris dans son caractère le plus quotidien. Comme nous le rappelait Olena Chevtchenko, cofondatrice de Insight : « En temps de guerre, ce sont toujours les personnes ou les groupes les plus marginalisés et les plus précaires qui sont le plus affectés. »

Les luttes féministes ne se sont pas arrêtées, même si en grande partie elles ont été bouleversées et reconfigurées par la guerre.

Les syndicalistes, comme les membres de Sotsialnyi Rukh, mouvement social et ouvrier au sens large, continuent  aussi de lutter pour l’application des droits et contre les réformes néolibérales du gouvernement Zelensky pour plus de justice sociale.

Pour des raisons essentiellement idéologiques et contrairement à la Russie de Poutine, le pays n’est jamais passé en économie de guerre, en refusant la nationalisation d’un certain nombre de secteurs clés de l’économie. C’est une des revendications que porte, par exemple, Sotsialnyi Rukh, autour de la socialisation de certains secteurs clés.

Les camarades de Sotsialnyi Rukh, comme ceux de Solidarity Collectives, nous ont expliqué que malgré tout, la guerre renforce un peu la gauche militante. Les idées socialistes imprègnent mieux les populations quand plus que jamais, elles ont besoin de services publics. Denys Pilash, politologue et lui aussi membre de Sotsialnyi Rukh, nous a rappelé que ce sont les cheminots qui ont évacué la majorité des gens au début de l’invasion et que cela démontre bien la nécessité et l’efficacité d’un service public de transports.

Pour les militant·es de la gauche révolutionnaire domine dans les discussions l’importance de soutenir la résistance d’une population qui lutte pour son autodétermination, tout en combattant son propre nationalisme.

Toutes ces pistes d’analyse, livrées par nos rencontres, tous ces éléments de compréhension d’une situation que nous avons à peine commencé à appréhender sur notre court séjour, nous essaierons de les livrer à travers des textes et des vidéos. Avec, comme fil rouge de nos discussions, la préoccupation de comprendre quelle place et quelle perspective cette situation laisse pour la gauche en Ukraine.
Si en France, nous mesurons bien à gauche l’urgence et la centralité de l’engagement ­antifasciste dans nos luttes d’émancipation, il est d’autant plus regrettable de voir la difficulté de certain.es camarades à définir le régime poutinien pour ce qu’il est : un régime néofasciste.

Pour nos camarades sur le front, cela ne fait pas de doute : cette guerre de libération nationale est une lutte antifasciste, une lutte d’émancipation.

Il y a le fascisme de Poutine et aussi la lutte contre l’extrême droite ukrainienne qui pourrait sortir particulièrement renforcée d’une défaite militaire.

Pour nous, il y a la nécessité et l’exigence de renforcer la gauche ukrainienne dans cette bataille qui est impliquée dans l’effort de guerre, dans la résistance ou encore dans l’accueil des réfugié·es, des traumatisé·es et des déplacé·es. La solidarité concrète et les cadres collectifs construits dans cette guerre rendent palpable pour les gens la nécessité d’une société solidaire, sociale, qui doit conquérir plus de droits pour toutes et tous. Ainsi que le résumait Ilya lors de notre entretien enregistré sur les hauteurs d’Izioum :

Le seul moyen de survivre à cette guerre en tant que société, c’est d’améliorer les instruments de protection sociale. Il faut contrôler et nationaliser certaines sphères de l’économie comme la métallurgie et l’agriculture. Et redistribuer les richesses.

Tout cela ne fait qu’ouvrir le champ de notre questionnement sur quelle solidarité concrète construire ici, en France, avec nos camarades ukrainien·nes. Olena nous l’a bien rappelé dans ses bureaux partagés de l’association Insight et de la Marche des femmes :

Le problème avec les organisations internationales, c’est que quand elles sont arrivées, elles ont prétendu nous expliquer ce qu’on devait faire. Ce n’est pas ce qu’on demande. Nous avons des revendications et nous vous demandons juste du soutien.

Nous ne nous battrons pas à la place des Ukrainien·nes, alors ne parlons pas à leur place.

Ce premier voyage, comme ce premier texte, n’est donc qu’un début.