Publié le Mercredi 10 septembre 2014 à 17h13.

Contre l'impérialisme russe et le oligarques ukrainiens

Notre rédaction (Solidarités.ch) s’est entretenue avec notre camarade Zbigniew Marcin Kowalewski, rédacteur en chef adjoint de l’édition polonaise du Monde diplomatique, spécialiste de l’Ukraine et auteur de plusieurs travaux sur l’histoire de la question nationale ukrainienne.

Dans ton dernier article paru en français (consultable ici : europe-solidaire.org/spip.php?article32386), tu as souligné le rôle de l’oligarque du Donbass, Rinat Akhmatov, dans le mouvement séparatiste prorusse. Tu as surtout insisté sur la faiblesse de la base sociale de la « République populaire du Donetsk ». Peux-tu rappeler quelques éléments de cette analyse ?

Le Donbass est la base centrale et le noyau dur du pouvoir oligarchique en Ukraine. La rébellion séparatiste dans le Donbass a dès le début été suscitée par deux forces alliées : les appareils du Parti des régions liés directement aux intérêts oligarchiques les plus puissants et les appareils étatiques de la Russie.

Pour la première force, la rébellion constituait une réaction paniquée à la chute du régime de Ianoukovytch et de son parti, renversés par le soulevement populaire du Maidan. Il s’agissait de sauver le pouvoir oligarchique dans sa base centrale en s’appuyant sur l’impérialisme russe.

Pour la deuxième force, l’impérialisme russe lui-même, il s’agissait de déstabiliser et désintegrer l’Ukraine qui, avec la victoire du soulèvement du Maidan et tournée vers l’Union européenne, risquait, cette fois définitivement, de rompre le rapport colonial séculaire l’attachant historiquement à la Russie.

C’est pour cette raison qu’on a créé les deux republiques fantoches et qu’on est passé rapidement de quelques actions « de masse » très minoritaires (des rassemblements d’environ deux mille personnes à chaque fois) à une action militaire. Le Parti des régions dispose dans le Donbass d’une base de masse, représentant environ 30 % de la population, mais c’est une masse très passive, ne se mobilisant, dans le meilleur des cas, que pour voter.

Ainsi, pour le vote du « référendum » séparatiste, seule la moitié de cette base s’est mobilisée : environ 15 % de la population. Un mouvement de masse séparatiste n’a jamais existé en Ukraine.

 

Les chefs du mouvement, comme le colonel Igor Strelkov et Aleksandr Borodaï, ont un passé d’activistes et une idéologie qui ne cadrent pas complètement avec une simple fonction de « marionnettes du Kremlin ». Tu as parlé à leur propos de « Gardes blancs russes ». Peux-tu préciser ?

Venus de la Russie, Strelkov et Borodaï représentaient un courant de l’extrême droite russe, ultranationaliste, monarchiste et fondamentaliste orthodoxe, visant la restauration de l’ancien empire tsariste dans ses frontières de 1913 et son expansion sur l’ensemble du monde slave et orthodoxe.

Ils n’ont jamais été les chefs de l’ensemble du mouvement séparatiste. Ils occupaient des postes formels très importants dans la « république » de Donetsk, et ils dirigeaient réellement des secteurs du mouvement séparatiste dans cette république et dans celle de Louhansk. Ils étaient obligés de partager leur pouvoir avec les « akhmetovistes », c’est-à-dire avec les hommes de confiance de Rinat Akhmetov, le plus important oligarque du Donbass, et d’autres oligarques ou grands barons du Parti des régions. Les « akhmetovistes » disposaient de leurs propres forces armées dont le bataillon « Vostok (Est) » qui, en fait, n’obéissaient pas à Strelkov, en dépit du fait qu’il était, formellement, « ministre de la défense » à Donetsk.

Strelkov et Borodaï n’étaient pas des « marionettes », mais des militants d’extrême droite poursuivant leur propre agenda politique. C’est pour cette raison qu’en dépit de toutes les démarches de Borodaï à la recherche d’un soutien de Poutine, ils ont perdu la lutte des fractions aux sommets de la direction de la rébellion.

Ils ont été éliminés au bénéfice des hommes de confiance de Poutine, expédiés sur place. La formation de cette nouvelle alliance des « poutinistes » avec les « akhmetovistes » a été cimentée par une forte recrudescence de l’aggression militaire russe.

 

Les événements actuels en Ukraine donnent-ils tort à la gauche internationaliste, qui a pris position pour un front antiguerre ?

Cette guerre c’est, d’un côté, la rébellion armée d’une partie de l’oligarchie ukrainienne combinée avec la guerre d’agression, de plus en plus directe et massive, de l’impérialisme russe. De l’autre côté, c’est une guerre de défense nationale, c’est-à-dire menée en défense de l’indépendance – conquise depuis 23 ans à peine – et de l’unité nationales, par un peuple à la recherche désesperée de la sortie d’une oppression nationale séculaire.

Il n’est pas possible de trouver cette sortie dans le cadre d’un régime bourgeois soumis à l’impérialisme occidental. L’Ukraine a un besoin urgent d’un programme socialiste de défense nationale. La gauche mondiale n’a rien fait pour contribuer à l’élaboration d’un tel programme. Tout le contraire : nous sommes témoins d’une dégénérescence néostalinienne et néocampiste d’une partie importante de cette gauche qui est passée du côté de l’impérialisme russe.

S’il s’agit d’un front contre la guerre impérialiste de Poutine, alors allons-y. Par contre, un front contre la guerre de défense nationale du peuple ukrainien serait un front de soutien a l’impérialisme russe et à la rébellion séparatiste oligarchique. 

 

Propos recueillis pour notre rédaction par Daniel Süri