«Basta ya, estamos hartas y hartos y no aguantamos más! » (ça suffit, nous en avons marre et ne supportons plus !)
A Madrid ce samedi 22 mars, des centaines de milliers de manifestants ont dénoncé les politiques d’austérité menées par le gouvernement de Mariano Rajoy (parti populaire, droite). Parmi les slogans, on pouvait entendre : « moins de corruption, plus d’éducation », « sauvons les personnes, pas les banques », « non au paiement de la dette », « non aux privatisations ». Non seulement le nombre mais la composition des cortèges marquaient un pas en avant par rapport à des mobilisations antérieures, avec une présence importante et organisée de travailleurs du privé et du public, de jeunes mais aussi de collectifs de femmes et d’immigrants.
La mobilisation marque l’aboutissement des six « marches de la dignité » parties, depuis près d’un mois pour certaines, de Catalogne, d’Andalousie, d’Estrémadure et d’ailleurs. Les « marées », ces plateformes de mobilisation thématiques contre la politique d’austérité, mêlant associations de quartier, relais syndicaux (base des grandes organisations ou syndicats minoritaires) et militants politiques, continuent de s’étendre. Et certaines gagnent des batailles, ainsi les professionnels de santé de la région de Madrid (la « marée blanche ») qui ont arraché le retrait d’un vaste projet de privatisation d’une partie des hôpitaux publics. Ces « marées » constituent à la fois une produit différé et de plus large ampleur sociale du mouvement des Indignés de 2011 et une forme de lutte alternative aux grandes journées syndicales sans lendemains et sans résultats.
Mais si la mobilisation s’étend par mille canaux, sans la participation des appareils confédéraux des syndicats, le pouvoir est aussi à l’offensive, malgré les affaires de corruption. La politique austéritaire continue avec les éloges de Bruxelles : la « sauvagerie sociale », pour reprendre l’expression d’un économiste français, a en effet des effets positifs sur les profits et le commerce extérieur. Pour souder sa clientèle réactionnaire, le PP s’attaque au droit à l’avortement. Enfin, un projet de« loi de sécurité citoyenne » vise à limiter le droit à manifester : il s’agit de se préparer à de futurs occupations de places comme les Indignés l’avaient fait à la Puerta del Sol (et comme ce fut le cas à Tahrir ou sur le Maidan).
Le Parti socialiste (PSOE) est le favori des sondages pour les européennes de mai. En fait, il se contente d’engranger les dividendes de l’impopularité du PP mais, question de l’avortement mise à part, il a mené fondamentalement la même politique quand il était au pouvoir (jusqu’en novembre 2011). Au stade actuel, il n’existe pas d’alternative politique à ce système bipartidaire, même si l’importance des mobilisations semble pousser à gauche la base de la Gauche unie (coalition structurée essentiellement par le PCE) et si a commencé à se construire l’initiative « Podemos ! » avec la participation de nos camarades d’Izquierda anticapitalista.
Après des années de recul, la puissance de la mobilisation du 22 mars semble montrer qu’une épreuve de force se prépare en Espagne. Il est cependant impossible d’en préjuger les modalités et l’échéance. D’autant que la situation est compliquée par les revendications indépendantistes catalanes et que, comme le souligne Javier Cordon, membre de l’Assemblée des travailleurs de la santé sur le site d’Izquierda anticapitalista, les élections se profilant, vont se multiplier les appels à résoudre les problèmes exclusivement par le vote.
Henri Wilno