Quatre ans et demi après l’irruption du mouvement des Indignés (« 15-M » en espagnol), et moins de deux mois avant les élections générales du 20 décembre, les luttes et mobilisations sociales traversent une phase de reflux mais la crise dans l’Etat espagnol ne donne aucun signe d’atténuation.
En témoigne, et spectaculairement, le projet de (quasi) déclaration d’indépendance adopté par Junts pel Sí (Ensemble pour le Oui, centre-droit et centre-gauche catalanistes) et l’organisation anticapitaliste CUP (Candidature d’unitaire populaire), à eux deux majoritaires au sein du nouveau parlement catalan. Ce texte, qui devrait être soumis au vote d’ici au 9 novembre, proclame « solennellement l’ouverture d’un processus de création de l’Etat catalan sous la forme d’une république », en précisant que « ce parlement et le processus de déconnexion démocratique ne se soumettront pas aux décisions des institutions de l’Etat espagnol, en particulier à celle du Tribunal constitutionnel, qui est considéré comme délégitimé ».
On entre ainsi dans une situation où la question nationale (qui pourrait bien rebondir ailleurs) menace désormais de façon directe l’Etat et sa structure monarchique laissée en héritage par le franquisme ; et où une confrontation directe entre les Catalans et le pouvoir de Madrid devient possible si ce n’est probable.
Dans le même temps, les sondages en vue du 20 décembre réalisés au niveau de l’Etat placent le Parti populaire (droite au pouvoir) en tête, quoique toujours en fort recul par rapport à 2011, avec parfois en deuxième position Ciudadanos (Citoyens, le « Podemos de droite »), qui pourrait ainsi devancer un PSOE toujours embourbé.
De son côté, Podemos a perdu la moitié de ses intentions de vote depuis le début de l’année, quand les enquêtes le plaçaient en tête. Pour partie, cette chute est un résultat de sérieux problèmes d’orientation, ainsi que de méthode de la part du groupe dirigeant « iglésiste », dont certaines pratiques apparaissent fort éloignées des aspirations démocratiques du mouvement indigné, voire peu différentes de celles des vieilles bureaucraties politiques et syndicales.
Bien sûr, un rebond ne peut être exclu. Impacté par les sondages, le groupe dirigeant tente en tout cas de réagir, notamment en insistant à nouveau sur sa filiation avec les mobilisations et revendications du 15-M. En Catalogne, au rebours de ses positions antérieures, il vient d’accepter un accord électoral avec le mouvement « En Comú » de la maire de Barcelone, Ada Colau, en laissant à celui-ci la part du lion.
Un facteur qui joue nécessairement est la faiblesse des mobilisations populaires depuis la fin des « Marches de la dignité » en mars 2014, à l’exception de l’organisation à la base du puissant mouvement indépendantiste catalan. Il y a certes eu des luttes radicales, notamment contre des licenciements et fermetures de sites (Panrico, Coca-Cola, Vodafone…), mais qui sont restées localisées et pour l’essentiel isolées. Le mouvement plus important et ayant eu une dimension « étatique », celui des travailleurs précaires de Telefónica-Movistar (voir note ci-dessous), n’a pas non plus inversé la tendance même s’il a engrangé une série de gains.
Ce dossier, construit grâce à des contributions de camarades d’Anticapitalistas (Revolta Global en Catalogne) et du NPA, vise à donner des éléments de compréhension d’une situation qui reste aussi complexe que mouvante. Il s’ouvre avec un texte, envoyé depuis Madrid par Manuel Garí, offrant une vision générale des processus à l’œuvre depuis la « Transition » post-franquiste.
Deux articles consistants d’Antoine Rabadan présentent et analysent ensuite, d’une part, les mouvements et mobilisations issus du 15-M, d’autre part, « l’objet politique » Podemos. Un mot sur la densité des notes figurant à la fin du second article : elles ne sont pas indispensables à sa lecture, mais seront utiles pour qui souhaitera approfondir.
Le dossier se poursuit avec le texte de bilan des dernières élections catalanes publié sur son blog par Esther Vivas (et repris ensuite par de nombreux sites et blogs de langue castillane). Il se termine par une analyse d’Emmanuel Barot, portant sur les conceptions théoriques qui inspirent les politiques de Pablo Iglesias et de son groupe à la direction de Podemos (même remarque à propos des notes finales).
Jean-Philippe Divès
Parmi nos articles précédents :
• « Qu’y a-t-il derrière la résurgence des mouvements nationaux en Europe de l’Ouest ? », dossier du numéro 60 de décembre 2014. Dans ce cadre, l’article d’Andreu Coll, « Conflits nationaux et lutte politique dans l’Etat espagnol d’hier et d’aujourd’hui ».
• Merce Amado et Francesc Queralt, « Les esclaves de Telefónica-Movistar se rebellent », n° 68 de septembre 2015.