Publié le Dimanche 5 juillet 2015 à 09h13.

Grèce : austérité perpétuelle ou rupture anticapitaliste

Le défaut sur le remboursement dû au FMI le 30 juin, le référendum du 5 juillet avec la possible (et en tout cas espérée !) victoire du Non ouvrent une nouvelle étape politique en Grèce. Comme peut-être, plus largement, en Europe. Il est cependant plus clair que jamais que sans processus de rupture anticapitaliste, il sera impossible de sortir de l’austérité et d’engager l’indispensable reconstruction du pays.

Il faut reconnaître à Alexis Tsipras le mérite d’avoir refusé « l’ultimatum » et « l’humiliation » auxquels « les institutions » (nouveau nom pudique de la Troïka) voulaient le contraindre – et la misère encore plus dévastatrice dans laquelle elles entendaient enfoncer le peuple grec. Il a ainsi fait un geste de résistance dont aucun autre gouvernement européen ne s’est montré capable.

Pour autant, il était minuit moins une et ce n’est que le caractère exorbitant des exigences des « créanciers » qui ont, enfin, poussé le gouvernement grec à une telle décision. On doit garder en mémoire que malgré quelques mesures positives (loi « humanitaire », réembauche de fonctionnaires licenciés, réouverture de la télévision publique ERT), ce gouvernement n’avait pas rompu avec l’austérité et négociait les conditions de sa poursuite. Avec pour conséquence un chômage et une pauvreté accrus, dans le cadre d’une situation économique de plus en plus difficile – entrée du pays dans une nouvelle phase récessive, retraits massifs de capitaux (ce sont au total 400 milliards d’euros qui se trouvent désormais déposés à l’étranger) sans que les autorités ne réagissent pendant de longs mois. 

Troïka : toujours plus…

Le cadre avait été donné par l’accord du 20 février, à travers lequel le nouveau gouvernement Syriza-Anel s’engageait à payer rubis sur l’ongle les échéances de la dette, à renoncer à toute mesure « unilatérale » qui aurait un impact budgétaire (donc, dans les faits, au programme de Thessalonique sur lequel Syriza s’était fait élire), ainsi qu’à poursuivre les privatisations.

Dimanche 21 juin, c’est même un programme d’austérité renforcée que Tsipras se déclarait prêt à appliquer, à travers la proposition de « compromis » qu’il avait personnellement transmise à la Troïka. Au menu : augmentation des impôts pour les revenus supérieurs à 30 000 euros annuels ; hausse de cotisations sociales ; TVA portée à 23 % sur des aliments et des services de base ; fin programmée des taux spéciaux de TVA dans les îles – qui soutiennent le tourisme ; diminution progressive des possibilités de départ anticipé à la retraite, ainsi que des compléments de retraite versés aux pensionnés les plus modestes…

La presse avait alors fait état d’un (éphémère) « vent d’optimisme », avant que « les institutions » ne le fasse très vite retomber en déclarant les propositions grecques incomplètes et en demandant encore plus. Ce qui a provoqué la rupture est l’exigence de l’élimination, dès 2017, des versements complémentaires dont bénéficient les titulaires de petites retraites. Une telle mesure aurait eu des conséquences catastrophiques pour une large partie des pensionnés – et pour leurs proches au chômage qui ne subsistent souvent que grâce à la solidarité familiale. Dans le même temps, la Troïka continuait de refuser catégoriquement le moindre engagement sur une éventuelle restructuration future de la dette.

Des décisions très politiques

L’ampleur des concessions déjà réalisées par le gouvernement grec et de celles qu’il se proposait d’y ajouter montre qu’il n’y a pas véritablement de logique économique, même  néolibérale, dans les décisions qui ont été pilotées par Lagarde et Schaüble. Pour la Troïka et les dirigeants européens, par-delà les nuances ou les différences de postures, l’objectif est de mettre à genoux le gouvernement de Tsipras afin de tuer dans l’œuf toute velléité, même inconséquente, de remise en cause de l’austérité. Il est symptomatique que l’un des plus virulents soit Rajoy, menacé en Espagne par la montée électorale de Podemos et dont le parti vient de perdre le contrôle de nombreuses municipalités et communautés autonomes suite aux accords électifs passés entre Podemos et le PSOE.

De l’autre côté, pour tous les courants qui entendent défendre une alternative à l’austérité et au néolibéralisme, ce qui vient de se passer est une grande leçon de choses. Ces événements montrent qu’aucune autre politique n’est envisageable dans le cadre des institutions de l’Union européenne et de l’euro, sans engager contre elles une bataille frontale.

Il n’est pourtant pas certain que cette leçon soit intégrée par tous les principaux acteurs. Comme le souligne un militant étatsunien bon connaisseur de la gauche grecque, « il existe des différences dans le parti [Syriza] quant aux buts de ce référendum. Alors que Tsipras affirme qu’il utilisera un vote pour le Non afin de renforcer sa position dans de futures négociations avec les créditeurs de la Grèce, la gauche [de Syriza] appelle à rejeter toutes les mesures d’austérité et à mettre en œuvre un programme qui annule leurs conséquences »1 indexés sur l’euro mais qui perdront rapidement de leur valeur, en attendant une réintroduction de la drachme.

Les conditions resteront très difficiles car au-delà de l’austérité, c’est tout un pays qui est à reconstruire. On donne souvent – et l’on a donné dans ces pages – l’exemple de l’Argentine comme celui  d’une nation qui, après un défaut sur sa dette, une rupture de son ancrage monétaire au dollar et une très forte dévaluation, a connu une période de crise pour ensuite se reconstruire, même si c’était de façon partielle et temporaire. Mais l’Argentine est un pays qui, quoique dépendant, dispose d’importantes ressources naturelles, d’une réelle structure industrielle, de services performants dans certains secteurs, d’une agriculture figurant parmi les premières du monde. Ce n’est pas la situation de la Grèce dont le capitalisme, déjà peu compétitif avant l’euro, s’est retrouvé quasiment mis en jachère après l’entrée dans la monnaie unique.2

Imaginer qu’elle pourrait, après une rupture avec l’euro et peut-être l’Union européenne, entrer dans une phase de développement capitaliste national, relève de l’illusion. C’est pourquoi les positions de responsables et de membres influents du Courant de gauche de Syriza, sans rien enlever au rôle très progressiste qu’ils jouent aujourd’hui, risquent de mener à une impasse.3 La Grèce ne sortira pas de l’ornière sans un plan de développement qui, pour être effectif, impliquera une centralisation et une distribution démocratiques des capitaux disponibles. Cela veut dire en particulier l’annulation de la dette (dont la majeure partie est « illégale, illégitime et odieuse » selon le rapport préliminaire du Comité pour la vérité sur la dette publique, mis en place par le parlement grec), une imposition forte des armateurs et de l’Eglise, la nationalisation et la remise en fonctionnement sous le contrôle de leurs travailleurs des banques et des principales entreprises du pays – avec, dans le même temps, l’indispensable satisfaction des besoins les plus urgents des salariés et des classes populaires. C’est-à-dire l’ouverture d’un processus de rupture anticapitaliste.

L’exigence de solidarité

La solidarité avec le peuple grec est aujourd’hui largement insuffisante. Il faut dire qu’elle a été compliquée à mettre en œuvre ces derniers mois, quand Tsipras négociait l’austérité et en l’absence de mobilisations de masse en Grèce même. Si le Non l’emporte le 5 juillet, elle sera plus nécessaire que jamais mais aussi, sans doute, plus réalisable.

Une tâche immédiate sera alors la constitution à l’échelle nationale, comme ailleurs en Europe, d’un large mouvement militant qui organise le soutien politique, ainsi que matériel et financier, au peuple grec qui se trouvera à nouveau en toute première ligne du combat, exposé donc à tous les coups de l’UE, du FMI et en général des puissances impérialistes.

Un mouvement qui portera aussi, nécessairement, un combat global d’opposition aux politiques néolibérales, à ses institutions et ses gouvernements, ici celui de Hollande et Valls.

Jean-Philippe Divès

 

  • 1. Lee Sustar, http://socialistworker.o…]. Peu après l’annonce du référendum, le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, déclarait même que la Grèce « continue de se battre pour qu’il y ait un accord au dernier moment d’ici mardi » et que si un tel accord était obtenu, « nous dirons au peuple grec de voter oui » dans le référendum… 

    La rupture nécessaire

    Les enjeux sont extraordinairement élevés. Si les pressions et la campagne de peur développées par la droite grecque et les gouvernements européens (et qui trouvent des relais y compris dans la direction de Syriza  et au gouvernement) débouchaient sur une victoire du Oui, ce serait une défaite sérieuse pour le peuple grec comme pour toutes les résistances en Europe. La démission du gouvernement et l’organisation de nouvelles élections seraient probables ; difficile en effet de concevoir que Tsipras puisse appliquer les termes de la Troïka (même s’il s’est engagé à respecter le choix majoritaire, quel qu’il soit), au risque de provoquer une scission de sa majorité parlementaire et de son parti.

    Si en revanche le Non s’impose, comme la perspective en paraît ouverte, on entrera dans un nouveau champ de possibles, où le combat contre l’austérité pourra alors réellement avancer.

    A ce moment, la Grèce se trouvera cependant confrontée à une série de problèmes aussi pressants qu’incontournables. Elle sera certainement poussée en dehors de l’euro, et peut-être de l’UE. A court de liquidités (la BCE a déjà engagé le processus d’asphyxie financière), il lui faudrait commencer à émettre une monnaie de substitution, des « IOUS »Reconnaissances de dette, sortes d’obligations d’Etat. Le terme vient de l’anglais « I owe you » (« Je te dois »).

  • 2. Voir les articles sur l’économie grecque d’Henri Wilno dans les numéros 64 (avril 2015) et 65 (mai 2015) de cette revue.
  • 3. Voir la discussion que Michael Roberts mène avec Costas Lapavitsas, partisan d’un tel développement national comme « première étape » capitaliste-keynésienne après une rupture avec l’euro, dans « Grèce : Marx ou Keynes ? », revue l’Anticapitaliste n° 64 d’avril 2015.