Publié le Samedi 6 octobre 2012 à 11h18.

Grèce : « Le mouvement syndical a subi une défaite et essaie de se reconstituer »

Entretien avec Stathis Traxanatzis

Notre correspondant en Grèce s’est entretenu avec Stathis Traxanatzis, vice-président de la Bourse du Travail d’Athènes (qui regroupe 547 sections syndicales du premier degré – voir encadré page 26 –, représentant 140 000 adhérents), membre de Synaspismos (la principale composante de Syriza) et d’Aftonomi Paremvasi (« Intervention autonome », la tendance syndicale proche de Synaspismos).

Que penses-tu du résultat des élections du 17 juin ?

Les élections ont reflété la situation en Grèce depuis deux ans. Les politiques mises en place par la troïka et le gouvernement grec représentent un recul de cinquante ans et ont été mises en œuvre d’une manière violente. Il y a un problème de démocratie en Grèce car toutes ces lois ont été appliquées sans concertation, on dirait que les syndicats n’existent pas. Les Grecs ont exprimé, au travers des élections, leur colère face à ce qui leur arrive depuis deux ans.

Cette colère aurait pu être encore plus grande, renforçant davantage la gauche. Car on a observé la montée de l’extrême droite qui a su profiter de la manière antidémocratique dont les mesures ont été appliquées, pas seulement du sujet de l’immigration qui est très aigu en Grèce avec des milliers d’immigrés qui affluent sans cesse. Cette colère aurait pu être plus grande en raison de l’intervention quotidienne des forces de l’Union européenne (Allemagne, France, etc.) qui voulaient dicter leur vote aux Grecs et qui cultivaient des peurs irrationnelles : il fallait ne pas se tromper de vote pour ne pas se retrouver sans électricité, sans essence, sans travail, etc. Il y a eu un terrorisme intellectuel incroyable, qui, je pense, a refroidi une partie de la colère. Le résultat des élections est dû à la colère des gens et à leur volonté de changer de vie.

Lors de la vague des suicides chez France Télécom, on pensait que cela n’arriverait jamais en Grèce : aujourd’hui, on a le record des suicides en Europe. C’est une situation critique, résultat de changements violents dans le droit du travail. Les mesures appliquées, dictées par le SEB (le Medef grec, plusieurs syndicalistes ont prouvé que le mémorandum a été écrit par des gens proches du SEB), ont été appliquées violemment et dans un laps de temps très court, dans un pays qui n’a pas les structures et les aides pour les chômeurs qui peuvent exister dans d’autres pays, comme la France ou l’Allemagne.

 

Comment expliques-tu le score électoral de Syriza ?

Ce score est un fait très positif car Syriza était partie prenante des résistances des gens et un allié clair aux yeux de tous. Syriza a été la cible privilégiée des médias et des forces dominantes bourgeoises, en raison de son action tournée vers l’extérieur. La coalition était la cible d’improbables accusations, d’avoir, par exemple, des relations avec le terrorisme. Syriza entretenait un contact quotidien avec tous les mouvements des citoyens et avec tous les syndicats et je pense que cela, ainsi qu’une très bonne campagne électorale, explique le très bon score électoral.

 

Quelle est la situation actuelle sur le front des mobilisations ?

La réforme des retraites des gouvernements PASOK (PS)/ND (droite) a rajouté plusieurs années de cotisation aux  travailleurs (plus de dix ans pour les femmes !) Les mesures sont passées malgré une multitude de grèves, lancées souvent par des sections d’entreprise, dans les mairies, les raffineries, les transports, des grèves souvent locales mais très dynamiques. Si ces grèves n’ont pas toujours été victorieuses c’est parce que les grandes organisations syndicales manquent de crédibilité aux yeux des travailleurs en raison d’une bureaucratie et d’une politique qui ne les représentent pas depuis bien avant la crise. 

Aujourd’hui, il est clair que le mouvement syndical a subi une défaite stratégique et essaye de se reconstituer. Il est défait car les directions des centrales syndicales, là où Aftonomi Paremvasi est minoritaire, n’ont pas écouté les gens, n’ont pas voulu affronter la politique appliquée, n’ont pas eu l’initiative des actions avec, par conséquent, des réactions défensives sans un véritable résultat.

Nous ne sommes pas satisfaits mais croyons que le rapport de forces au sein des syndicats changera grâce à la montée de la gauche, notamment de Syriza, et le désengagement des travailleurs et des syndicalistes de l’influence du monde politique bourgeois car la situation est extrêmement difficile (pauvreté, chômage…). Ce qui s’avérera décisif sera la capacité des syndicats à exprimer, homogénéiser et coordonner les mobilisations dispersées et, aussi, à regagner l’initiative des mouvements afin d’arrêter cette descente aux enfers et d’initier une période de nouvelles revendications. Car quand la crise sera derrière nous, quand l’argent aura changé de mains au sein du bloc capitaliste, les gens seront affamés et abattus. 

 

Comment le score de 27 % obtenu par Syriza peut-il se traduire sur le terrain des mobilisations ?

Syriza fait un effort dans cette direction car, jusqu’à maintenant, il n’avait pas un poids important dans les syndicats. Syriza a crée des liens avec les nouveaux mouvements sociaux et il est fort, pour la première fois, dans les quartiers populaires (de 35 à 40 % contre 4 % il y peu). Il doit donc construire de fortes organisations sociales qui seront ses appuis, aussi bien maintenant qu’il est dans l’opposition que quand il aura, probablement, formé un gouvernement. Il ne pourra pas imposer de grands changements sans le soutien des citoyens et des mouvements contre la réaction de la ploutocratie, des multinationales et des appuis économiques du monde politique bourgeois.

 

Ce score électoral modifie-il l’intervention syndicale de Syriza ?

Aftonomi Paremvasi (AP) bénéficie de la dynamique actuelle car elle est perçue, malgré son indépendance, comme le représentant de Syriza au niveau syndical. On essaie actuellement de regrouper et d’unifier les actions dispersées afin d’exercer une pression sur les directions des centrales syndicales pour qu’elles aillent de l’avant. Un autre objectif est de contribuer activement à l’expression d’une solidarité sociale et à l’organisation d’un tel réseau, dont des composantes fleurissent déjà en Grèce. L’AP va créer des structures de soutien aux personnes sans logement, qui ont du mal à se nourrir ou à consulter un médecin ou à acheter des médicaments. À la Bourse du Travail, on envisage l’ouverture d’un cabinet médical pour les chômeurs et les travailleurs précaires.

 

Quels rapports entretenez-vous avec Antarsya ?

Nous avons travaillé ensemble car nous avons mis en place la Coordination des syndicats du premier degré : on voulait avoir un outil pour mobiliser par en-bas les travailleurs quand les centrales syndicales ne prennent pas d’initiatives, et aussi pour exercer une pression sur les directions de ces centrales (auxquelles nous participons mais où nous sommes minoritaires). Nous travaillons donc depuis deux ans avec les forces d’Antarsya, non sans problèmes mais cela est normal lorsqu’il y a des avis différents. Nous voulons développer cette coopération et, actuellement, nous œuvrons à la mise en place d’une coordination au niveau des fédérations pour des actions revendicatives communes et pour accroître la pression sur les centrales syndicales.

 

Quel devrait être le rôle d’Aftonomi Paremvasi face à un éventuel gouvernement de gauche ?

Les syndicats sont toujours dans l’opposition face au patronat et face au gouvernement, peu importe de quel gouvernement il s’agit. Je pense que, dans un tel cas, le rôle des syndicats serait d’exercer une pression sur le gouvernement afin qu’il applique son programme, de soutenir les grands changements radicaux dans l’économie et d’appuyer ce gouvernement dans ses rapports avec le privé, en tout cas si le gouvernement veut réellement mettre en œuvre (soyons de bonne foi, c’est écrit ainsi dans le programme de Syriza) les ruptures qu’il annonce. Mais les syndicats doivent toujours affronter le patronat, leur lutte est donc permanente. Il est clair que le capital attaque les travailleurs pour permettre la survie du système et la sortie de la crise. La défense, en Grèce et en Europe, du monde politique bourgeois se fait d’une manière très violente.

 

Toutefois, malgré les 27 % de Syriza, c’est la droite qui a remporté les élections…

Nous sommes très inquiets de la montée de l’extrême droite et, d’une manière générale, du bloc des forces politiques qui se forme en Grèce. On dit que Syriza devrait coopérer avec d’autres forces pour former un gouvernement. Mais le PC grec ne veut pas avoir de relations avec Syriza, alors qu’il accepte de rencontrer le bloc PASOK /ND. Le PC avait clairement rejeté toute participation à la formation d’un gouvernement de gauche. 

Nous observons, d’autre part, la montée de la droite et de l’extrême droite, en Grèce et en Europe, ainsi que la division de l’extrême droite en des formations plus « light », qui participent à des gouvernements, et d’autres formations plus extrémistes et nazies. C’est le cas en Grèce de l’Aube Dorée qui a fait, pour la première fois, son entrée à l’Assemblée nationale avec un score très élevé, exploitant de vrais problèmes qui existent dans certains quartiers populaires avec les immigrés, car la Grèce est devenue, en raison de l’accord de Dublin, un « entrepôt d’âmes », des personnes pauvres et maltraitées qui quittent leur pays pour avoir un avenir meilleur et se retrouvent piégées dans notre pays, ce qui a contribué à la montée de l’extrême droite.

 

Malgré les multiples journées de « grève générale », il y a depuis quelque temps une accalmie. Penses-tu que les mobilisations peuvent reprendre avec la même intensité ?

J’ai dit que le mouvement syndical a subi une défaite stratégique qui n’est pas facile à dépasser. L’AP essaye de créer des poches de résistance qui pourraient exercer une pression sur les directions des centrales syndicales. Ce n’est pas facile mais nous croyons que les syndicats, hormis leur rôle revendicatif classique, doivent également organiser la solidarité sociale et montrer qu’ils prennent l’initiative de soutenir les travailleurs qui font face à de réels problèmes de survie. On essaye d’organiser toutes les forces qui veulent se battre pour changer les choses et le mouvement syndical, car le nouveau gouvernement amplifiera les attaques. o L’organisation des syndicats grecs

La législation grecque prévoit 3 niveaux (ou degrés) d’organisation des syndicats.

 À la base, on trouve les syndicats de premier niveau qui sont dotés d’une autonomie juridique. Beaucoup sont regroupés par entreprise ou sont des antennes d’organisations régionales ou nationales plus importantes.

Viennent ensuite les organisations de deuxième niveau (ou degré) : les fédérations sectorielles et les organisations régionales, appelées centres de travail (que l’on peut traduire par « Bourses du travail »). Chaque syndicat de premier niveau s’affilie à la structure de deuxième niveau de son choix.

Enfin, les structures de troisième niveau sont les confédérations, comme la GSEE, composées d’organisations de deuxième niveau. La GSEE se compose de 150 organisations de deuxième niveau (69 fédérations sectorielles et 82 centres de travail).

Les deux grandes confédérations syndicales (ou « centrales syndicales ») sont la GSEE (Confédération générale du travail de Grèce), qui regroupe les travailleurs du secteur privé, et l’ADEDY (Confédération des syndicats des fonctionnaires), qui représente uniquement les fonctionnaires.

Les principaux partis politiques sont représentés directement dans les organisations syndicales par le biais de fractions (ou tendances) organisées. Ces tendances sont représentées dans les directions syndicales. Ainsi le président  de la GSEE est issu de la fraction liée au PASOK et son secrétaire de la fraction proche du parti de la Nouvelle démocratie.

Aftonomi Paremvasi (tendance liée à Synaspismos) avait obtenu 10 % des voix au congrès de 2010 de la GSEE.