Publié le Samedi 6 octobre 2012 à 11h17.

Grèce : Un séisme électoral… Et après ?

Que traduisent et que modifient les élections des 6 mai et 17 juin 2012, quelles sont les évolutions possibles, quelles tâches face à la nouvelle situation politique qui ressort de ces scrutins ? On trouvera ci-après l’analyse de deux militants de l’OKDE-Spartakos (section grecque de la IVe Internationale), une des composantes de la coalition de la gauche anticapitaliste Antarsya.

 Depuis le début du printemps, le recul des luttes a été l’élément marquant. Celles-ci n'ont pas été vaincues — on se rappelle que malgré l’accumulation progressive des mesures anti-sociales catastrophiques pour les travailleurs et leurs familles, la participation aux journées de grève générale s’est toujours maintenue à un niveau remarquable. Mais l’attente d’une solution politique a produit son effet : l’idée de voter contre les responsables du mémorandum et de la politique anti-ouvrière et de pouvoir de cette manière obtenir ce que les mobilisations n’ont pu arracher. En même temps, des luttes importantes ont continué ou continuent, comme dans les hôpitaux, la sidérurgie et dans la presse.

Les travailleurs/euses du quotidien Elefthe­rotypia ressortent, chaque samedi depuis 3 semaines, une édition réalisée par les grévistes. Même si des divisions, exploitées par la direction, sont apparues chez les grévistes, c’est une lutte symbolique pour le milieu de la presse et des médias, dominé par des requins liés aux armateurs ou à la construction, piliers des différents régimes. En dehors des licenciements qui ont lieu chaque jour, des milliers de travailleurs/euses y travaillent sans être payés, parfois depuis des mois ! L’autre lutte, c’est celle des travailleurs de Halivourgia, entreprise de sidérurgie qui employait 379 personnes au début de la grève, menée contre la décision patronale de licencier 120 personnes. La lutte dure désormais depuis huit mois, et même si elle rencontre différentes difficultés et a été déclarée illégale le 28 mai, une assemblée générale a rassemblé 250 grévistes le 6 juin, dont 204 ont voté la poursuite de leur mobilisation, qui jouit d’un vaste soutien populaire et… du silence de la plupart des médias.

Les élections des 6 mai et 17 juin

Cette situation de relative mise en veilleuse des luttes (de même, la relance du mouvement d’occupation des places n’a pas trouvé un écho massif) explique en bonne partie le fait que « le débouché politique aux luttes ouvrières », en l’occurrence les élections, ont eu lieu dans un climat plutôt atone. Même si la possibilité de les tenir a donné lieu à un combat, tant il était clair que la bourgeoisie grecque mais plus encore européenne s’en serait bien passée. Rien à voir avec les énormes rassemblements des élections antérieures, sans même revenir aux « grandes messes » du PASOK dans les années 1980 ou 1990. Le résultat premier, c’est celui d’une abstention croissante, comme le montrent le tableau plus bas. Phénomène étonnant, puisqu'une solution semblait pouvoir venir de là, mais phénomène explicable en raison de « l’offre politique » qui semblait proposer peu de nouveauté en termes de résultats crédibles.

Or, les deux élections du 6 mai et du 17 juin ont offert bien des surprises, en positif et en très négatif. Même si le système institutionnel sort à peu près préservé de ces deux scrutins, des bouleversements d’ampleur s’y sont produits et changent la donne pour la nouvelle période.

Le tableau ci-dessous permet de voir les évolutions très fortes qui se sont produites entre 2009 et 2012. Afin de bien les comprendre, quelques précisions :

• Le PASOK (le parti socialiste grec) fondé par Andreas Papandreou a remporté, en 1981, les premières élections grecques débouchant enfin sur la victoire d’un parti de gauche. Après le « règne » d’Andreas et la période du « réformateur » Simitis (sorte de rocardien) est venu le successeur, Giorgos Papandreou. Premier ministre en 2009, il a été le déclencheur officiel du processus de la crise, dont les facteurs lui sont évidemment antérieurs (Kostas Karamanlis, le neveu de l’ancien président de la République, a pesé de tout son poids de chef de la droite pour cacher les chiffres réels du déficit et faire continuer les combines). Avec Giorgos, c’est une nouvelle génération de dirigeants qui a pris les rênes du PASOK. Cette équipe ne s’embarrasse pas de précautions sociales-démocrates, n’hésite plus à insulter les travailleurs ni à favoriser le racisme en déblatérant sur le danger que représenteraient les immigrés. Les néo-nazis doivent une bonne part de leur actuel succès à des gens comme Loverdos ou Chryssochoïdis…

• La Nouvelle Démocratie (ND) est le vieux parti de la droite partagée entre libéraux et réactionnaires classiques (nationalisme, ouverture à la droite extrême…). Son nouveau chef, Antonis Samaras, est un ancien ministre des Affaires étrangères. Il avait alors failli provoquer une guerre avec la République de Macédoine. Son discours actuel est bien sûr aussi centré sur le danger de l’immigration. A noter l’intégration ces derniers mois dans la ND de cadres provenant du parti LAOS (« Alerte populaire orthodoxe », extrême droite), dont certains ont été membres de groupuscules fascistes.

• Le KKE (Parti communiste grec), dirigé depuis une vingtaine d’années par Aleka Papariga, est resté très stalinien. Sa campagne était basée sur le fait que la seule chose à faire, la seule perspective pour les électeurs, était de renforcer le KKE.

• Le LAOS est un groupe d’extrême droite, regroupé autour de son chef, Giorgos Karatzaferis. Ces deux dernières années, il ne s’est pas opposé au mémorandum et, en automne dernier, il a intégré le gouvernement « d’union nationale » du PASOK et de la ND, se grillant ainsi quasi complètement et ouvrant par là même la porte à un groupe cette fois ouvertement nazi, Chryssi Avgi (« Aube dorée »).

• Les Grecs indépendants sont un mouvement de droite nationaliste issu récemment de la ND et se prononçant contre le mémorandum… et contre les immigrés.

• Dimar (« Gauche démocratique ») est, pour l’essentiel, une rupture récente de Syriza sur sa droite, qui tente d’occuper la place qui était celle du PASOK avant son effondrement électoral.

Quant aux écolos, leur dirigeante a mené une campagne active, se prononçant notamment pour l’interdiction de Chryssi Avgi et se plaçant dans une perspective de gauche.

 

Les résultats électoraux…

Le mode du scrutin : le vote est à un tour, sur des listes de partis comprenant les noms des candidats qu’on choisit avec un système de croix, ce qui entraîne d’ailleurs une campagne individuelle (coûteuse !) au sein de la campagne, la gauche étant fort réservée sur cet aspect. Si à l’issue du scrutin il n’y a pas de majorité en sièges (151) pour un parti, le président de la République consulte pour voir si des alliances parlementaires sont possibles. C’est ce qui s’est passé le 6 mai, et comme les différents dirigeants des partis arrivés en tête n’ont pas pu proposer une alliance dotée d’une majorité parlementaire, un nouveau scrutin a été organisé le 17 juin. Pour disposer de députés, un parti doit obtenir au moins 3 % des voix, ce qui exclut toujours de la représentation parlementaire une partie plus ou moins large des électeurs/trices. Le parti arrivé en tête bénéficie automatiquement, en plus de sa représentation proportionnelle, d’une « prime » de 50 députés. Il faut préciser que tous les partis à la gauche du PASOK demandent le scrutin proportionnel intégral.

Le tableau ci-dessus donne les scores des principaux partis qui se présentaient, mais il faut savoir que, par exemple pour l’élection du 6 mai, il y avait nationalement 32 formations qui se présentaient, parmi lesquels les infinies variantes de la gauche révolutionnaire (maoïstes ML : 0,25 % ; trotskystes ex-healistes : 0,1 % ou ayant rompu avec la IVe Internationale : 0,03 %…) !

 

… et leur signification

Le vote du 6 mai a constitué un véritable séisme électoral. Mais avant d’en voir le détail, il faut préciser qu’en tenant compte de toutes les formations qui se présentaient et du nombre de voix obtenues par chacune, ce sont au total 19 % des votes exprimés qui n’avaientt pas été représentés au Parlement. Le 17 juin, ce ne sont plus que 6 % qui ne sont plus représentés : c’est dire toute la pression du vote utile intervenue entre les deux scrutins, comme on le voit avec les votes en baisse pour Antarsya ou pour les écolos.

Le résultat du 6 mai est une condamnation qui aurait dû être sans appel des partis du mémorandum : les trois partis du gouvernement « d’union nationale » formé en automne y perdent, par rapport à 2009, des pourcentages de voix comme on le voit rarement à une telle échelle pour un total d’environ 6,5 millions de votants (inscrits : environ 10 millions). La ND passe de 2,29 millions de voix à 1,19. Le LAOS de 386 200 à 183 400 et à 97 000 en juin.

Mais c’est le PASOK qui est le grand perdant, ouvrant une perspective fondamentale pour les mois ou années à venir : il passe de 3,01 millions de voix à 833 500 en mai et 755 800 en juin ! Phénomène impressionnant que ce délaissement du parti dominant des trente dernières années par ses électeurs/trices, qui jusqu’ici avaient menacé d’une telle attitude dans les intentions de vote (Syriza s’était laissé prendre au piège de l’euphorie sondagière en sa faveur il y a quelques années) mais n’étaient jamais passés à l’acte. C’est dire la profondeur de la crise telle qu’elle est vécue par la très grande majorité de la population.

Évidemment, ce bouleversement amène toutes sortes de questions :

Un redressement, même partiel, du PASOK est-il encore envisageable ? Si sa direction autour du très droitier et bavard Venizelos a choisi la prudence, en participant au nouveau gouvernement de Samaras sans y envoyer de représentant direct, il semble que tant la consistance politique de l’actuelle direction, défenseuse farouche des intérêts bourgeois (Venizelos, Loverdos, Chryssoïdis, Diamantopoulou, etc.) que les distances prises par un certain nombre de dirigeants syndicaux empêcheront toute récupération du PASOK dans les mois qui viennent.

Les perspectives syndicales ? Les directions de la Confédération unique (GSEE) et de la Fédération du Public (ADEDY) sont à majorité PASOK. Alors qu’on a vu ces directions manier un langage gauche tout en empêchant une transformation des mobilisations en grève générale reconductible, il est possible que des prises de distance se multiplient. Déjà, on a vu des dirigeants, bureaucrates connus comme tels, de grosses fédérations (DEI - l’électricité ; OTOE - fédération des banques) délaisser l’actuel PASOK et se rapprocher de Syriza...

Ce phénomène n’est pas à négliger dans un contexte où la gauche radicale et anticapitaliste s’interroge sur la possibilité de passer des coordinations de syndicats de base à la création d’un syndicat de lutte. De même, l’un des prétextes employé par le courant syndical du KKE dans la GSEE — le PAME — pour apparaître de plus en plus comme un syndicat opposé (et manifestant loin des autres cortèges), est la main mise du PASOK dans GSEE et ADEDY et la ligne qu’il y impose : d’éventuelles évolutions favoriseraient peut-être des cadres syndicaux unitaires… à condition que ces derniers n'apparaissent pas comme étant contrôlés par des bureaucrates, même relookés !

Comment se structureront politiquement les ex-électeurs/trices du PASOK ? Cette question intéresse évidemment toute la gauche, mais deux partis ont pris les devants : Syriza (voir ci-dessous) et Dimar, une scission droitière de Syriza, emmenée par l’ancien cadre dirigeant Kouvelis. Ce qui est intéressant dans le cas de Dimar, c’est son relatif échec, preuve de la radicalisation qui s’est opérée avec les luttes contre le mémorandum et la troïka.

Son pari était qu’un espace s’ouvrait pour « récupérer » les voix du PASOK et qu’une adaptation « social-démocrate » était nécessaire pour ne pas effrayer et parvenir à attirer ses électeurs déçus. Pari largement perdu, car la colère populaire est telle que justement, des millions de travailleurs/euses et de jeunes veulent des solutions radicales pour rompre avec la troïka et le mémorandum. Le résultat est qu’il n’y a guère de place pour Dimar, malgré la sympathie dont bénéficiait Kouvelis. D’ores et déjà, Dimar a un problème de survie politique que, dans un premier temps, il a cru résoudre en participant lui aussi, à la manière du PASOK, au gouvernement de Samaras, et cela alors que Dimar se dit contre le mémorandum…

 

La percée du vote néo-nazi

L’évolution la plus inquiétante du scrutin du 6 mai, confirmée par celui du 17 juin, est l’apparition d’un vote assez fort pour un groupe ouvertement nazi, Chryssi Avgi (Aube dorée). Il est composé de petites frappes issues des flics, des agents de sécurité de boîtes mafieuses et d’un noyau de malades ne jurant que par Hitler. Tout ce ramassis forme tout simplement un groupe de tueurs, qui multiplient les agressions contre les immigrés et commencent à s’en prendre aux militant-e-s des partis ouvriers.

Ce qui est impressionnant, c’est sa relative stabilité entre les deux élections. Son score du 6 mai pouvait s’expliquer par un effet surprise : les médias ne s’intéressaient pas à lui - plus grave, les organisations ouvrières non plus - et la tactique de ce groupuscule était double : multiplier des opérations contre les immigrés, en les expulsant de leurs appartements (avec le soutien, à peine tacite, de certains policiers), et organiser des opérations « mains propres » de remise publicitaire de l’appartement à son propriétaire qui parlait ainsi autour de lui de ces « braves jeunes gens » qui « savent comment empêcher les immigrés de faire leur loi »… Propagande du bouche à oreille et sur fond de rumeur, mais s’appuyant sur deux réalités :

• Un racisme d’État promu par des ministres du PASOK, mettant en cause les immigrés comme important des maladies, créant des problèmes de sécurité…

• L’impunité dont bénéficient les racistes et les nazis en Grèce : nier l’holocauste ne pose aucun problème, publier des journaux glorifiant Hitler et pratiquer le salut nazi non plus, et on a vu depuis des années les MAT (CRS) et les petites frappes nazies charger ensemble les manifestants, sans que les policiers ne soient sanctionnés.

Résultat : 441 000 voix le 6 mai, et le soir même, une espèce de bouffon (élu député…) ordonnant aux journalistes de se lever pour honorer le führer local, condamné dans les années 1970 pour terrorisme ! Quelques jours plus tard, un autre dirigeant du groupe frappait une députée du KKE lors d'une émission télévisée en direct : les images ont fait le tour de la Grèce et même du monde, et on aurait dû s’attendre, pour des raisons au moins de façade démocratique, à une chute des votes pour ces nazis.

Mais en fait, ils ont recueilli le 17 juin 426 000 voix, donc quasiment le même score. Pire, ils ont réalisé ce score en perdant 25 % de leurs électeurs du 6 mai (qui cette fois-ci ont voté à 17 % pour ND et à 8 % pour Syriza). En exposant leur vrai visage à tout le monde, ils ont donc gagné pas loin de 100 000 nouveaux électeurs/trices ! On comprendra que la situation est inquiétante, quand on voit qu’ils réussissent des scores importants dans certaines banlieues populaires : 9,3 % au Pirée zone 2, 9,06 % dans la région électorale de l’Attique, 16 % dans la banlieue ouvrière d’Aspropyrgos, 10 % dans celle d’Elefsina. En province, ils réussissent aussi quelques scores : 10,9 % dans la très réactionnaire Laconie (Sparte) et 10 % en Corinthie.

Pour le moment, ce groupe reste un groupuscule : ses coups de mains sont souvent une manipulation de jeunes encadrés par un adulte, membre du groupe. Mais le vote du 17 juin, les possibilités d’organisation que vont lui donner ses élus, ainsi que la législation qui leur accorde l’impunité, en font une menace à contrer au plus vite, d’autant qu’on voit avec ce vote populaire dans des quartiers laminés par le chômage que la structuration « classique » d’un mouvement nazi, favorisé par une partie de la bourgeoisie qui y trouverait son intérêt, fait partie des possibilités de la période.

On peut même penser qu’un véritable choix a déjà été opéré par une fraction de la bourgeoisie et de l’appareil d’État. A côté des complicités évidentes entre flics et nazis, on ne peut qu’être révolté par l’impunité dont bénéficient ces criminels : report de procès accordé au voyou qui a frappé la députée KKE et qui est accusé pour une agression à main armée antérieure, libération de sept des cogneurs de Verria (ville du nord, dont la population juive avait été envoyée dans les camps de la mort par les nazis) qui ont été formellement identifiés comme ayant effectué une descente armée dans un café de la ville tenu par un militant de gauche… qui, lui, a été inculpé !

Dans la banlieue ouvrière de Nikaia, les nervis ont été véritablement embauchés par des petits propriétaires grecs pour aller intimider les commerçants égyptiens établis là depuis plus de 20 ans… A la campagne, l’étude des évolutions montrant que dans pas mal d’endroits les anciens votes LAOS se sont reportés en masse sur Chryssi Avgi, laisse supposer des pressions « amicales » des centres de police. Tous ces exemples posent la question de l’existence possible d’une concertation entre différents secteurs de la bourgeoisie en vue de disposer d’une véritable milice fasciste dans cette période de radicalisation.

 

L’immense succès de Syriza

Très grand succès de Syriza : c’est là la bonne nouvelle, même si c’est en même temps une grande surprise, y compris en son sein. Syriza est composé, rappelons-le, du parti réformiste Synaspismos, de plusieurs groupes révolutionnaires, et de personnalités, regroupées ou pas dans de petites associations, tel l’infatigable militant antinazi Manolis Glezos, qui décrocha le drapeau nazi de l’Acropole en 1941.

La surprise vient de la situation interne de Syriza, traversé par un certain nombre de crises dont la plus marquante avait été la prise de distance du prédécesseur d’Alexis Tsipras à la tête du Synaspismos, Alekos Alavanos, pouvant faire douter de sa crédibilité comme alternative à gauche.

De plus, passer en trois ans de 4,6 % à 16,8 % n’est pas un phénomène courant. Une grande part des électeurs/trices du PASOK a choisi de voter Syriza. Cela supposait deux conditions :

• D’abord, une colère qui pouvait se reconnaître dans une organisation identifiée aux luttes syndicales, mais aussi aux rassemblements des indignés et autres formes de protestation populaires. Syriza, même si bien sûr il n’est pas le seul mouvement à lutter sur tous ces terrains-là, est identifié à ces luttes, avec le bénéfice d’une image connue, avec son groupe parlementaire, petit mais permettant par exemple d’être régulièrement cité et interrogé dans les médias (à la différence, par exemple, d’Antarsya, le regroupement anticapitaliste qui dispose peut-être du même nombre de militant-e-s sur le terrain, mais reste nationalement assez peu connu).

• Ensuite, c’est le message politique qu’a fait passer Syriza, pour répondre au problème du débouché politique dont nous parlions au début : proposer la formation d’un gouvernement de gauche pour rompre avec le mémorandum. Dans un contexte de division à gauche, avec des réponses sectaires du KKE ne parlant que de lui ou du désastre, et une réponse inadaptée d’Antarsya appelant seulement aux luttes, le fait que 1,06 millions de travailleurs/euses aient voté pour Syriza montre la force qui s’est mobilisée pour avancer dans cette voie et s’en donner les moyens. Plus fort encore, le vote du 17 juin en est une confirmation éclatante : dans un contexte de folie sur la « peur du rouge », scandée sur tous les tons à chaque instant en provenance des médias grecs, des commissaires européens, de Hollande ou d’Obama, avec à gauche un KKE qui cette fois collait des affiches contre Syriza, la coalition réformiste-radicale a obtenu 1,6 million soit 600 000 voix de plus que le 6 mai. L’enjeu était clair : la possibilité que parvienne au gouvernement d’un pays européen une force porteuse de revendications radicales, avec toute la dynamique possible.

Dans ce contexte, la victoire de la droite donne un répit à la bourgeoisie et représente une défaite par rapport à une occasion qui se présente rarement : la victoire d’une gauche radicale dans un contexte de mobilisation se serait traduite le 18 juin par une vague de mobilisations croissantes pour une politique au service des travailleurs.

En même temps, le vote du 17 juin n’est pas ressenti uniquement comme une défaite, il ouvre une période où les discussions unitaires, les perspectives politiques sont d’autant plus importantes que, malgré la victoire du réactionnaire Samaras, le gouvernement n’est pas en position de force, et cela pas seulement parce que le PASOK et Dimar ne vont rien faire pour trop l’aider. Populiste indécrottable, Samaras a usé de démagogie en promettant qu’il ne permettrait pas de nouvelles baisses des rémunérations. Bien sûr, l’UE se charge de le rappeler, celles-ci sont promises à de nouvelles coupes, et on attend le passage de la troïka début juillet… D’où l’urgence non seulement de préparer des cadres de front unique, mais aussi d’ouvrir des perspectives de solutions politiques victorieuses.

 

Forces et faiblesses

L’examen des résultats de Syriza montre d’importants changements, dont la suite dira s’ils sont profonds ou provisoires, et cela aussi bien par rapport au PASOK que par rapport au KKE. Syriza devient le premier parti dans des fiefs du PASOK tels que la Crète (dans toutes ses régions), l’Achaïe (Patras, fief des Papandreou), Samos (dominé par le KKE). Surtout, dans la première région en nombre d’habitants comme de travailleurs/euses, l’Attique, Syriza arrive en tête (31 % dans Athènes zone 2, 36,3 % au Pirée zone 2, 30,2 % dans le reste de l’Attique), où on vérifie aussi à quel point le vote de classe est ancré (plus de 58 % pour la gauche au Pirée zone B). Dans bon nombre de banlieues ouvrières, Syriza dépasse, parfois de loin, les 30 %. C’est donc encourageant.

Pour autant, et même si on peut dire que globalement il n’y a pas eu d’erreur majeure de Syriza, les faiblesses sont bien là. Les principales sont certainement celles qui sont apparues dans la campagne pour le scrutin du 17 juin : le mémorandum n’était plus systématiquement à abroger mais pouvait être rediscuté ; pour la dette, on demandait un délai, et non plus son annulation. Le jour du meeting central à Athènes, retransmis par les télévisions, Alexis Tsipras n’a pas dit un mot sur le gouvernement de gauche, thème porteur du 6 mai, c’est-à-dire n’a pas lancé de bataille concrète et crédible sur la possibilité d’engager une mobilisation en direction du KKE et d’autres forces pour former un gouvernement d’urgence sociale dès le 18 juin. Et pas un mot non plus pour appeler à la mobilisation antifasciste.

Ces reculs « réalistes » ont pu faire douter de la volonté de la direction de Syriza d’aller à l’épreuve de force. Ils renvoient à un problème de fond : plus de huit ans après sa fondation, la ligne politique de ce regroupement reste déterminée par sa composante ultra-majoritaire, Sysnaspismos, les groupes révolutionnaires ne parvenant pas à y imposer une dynamique anticapitaliste. Les déclarations de Tsipras sur « l’opposition honnête » qu’il compte mener face à un gouvernement aux ordres de « l’Internationale malhonnête » renforcent cette tendance réformiste et institutionnelle caractéristique du Synaspismos.

 

La campagne et les résultats d’Antarsya

Le regroupement anticapitaliste Antarsya, composé de plusieurs organisations révolutionnaires dont ses deux principaux partis en Grèce, le NAR et le SEK, avait décidé de candidatures pour le 6 mai. Sa campagne a été battante, même si l’absence de mobilisation nationale a pesé. Les résultats ont cependant représenté le triple de ceux de 2009 : 75 400 voix, avec des scores supérieurs à la moyenne à Lefkada (3,08 %), à Chania en Crète (1,64 %) ou à Preveza (1,63 %), à Iannina (1,77 %) et Athènes (1,50 %).

Mais ces scores ont fondu lors du scrutin du 17 juin, polarisé entre Syriza et la ND. Bien des sympathisant-e-s ont expliqué soutenir plus que jamais Antarsya, mais voter utile en choisissant Syriza. Au-delà de ces chiffres, ce qui est important, c’est que la campagne a bien été conçue, sans sectarisme, avec une conscience claire qu’il ne fallait pas attendre de bons résultats mais s’appuyer sur les possibilités d’une campagne nationale pour appeler à la poursuite des mobilisations.

En même temps, c’est là le point faible, Antarsya s’est peu préoccupée des réponses politiques centrales dans la période, et en particulier des réponses en termes de gouvernement, et de l’attitude qu’il faudrait avoir par rapport à un gouvernement de type Syriza. Le caractère de la période fait qu’il faut sûrement se préoccuper concrètement de ces questions et engager des campagnes sur ce terrain, en appelant par exemple à l’unité d’action Syriza-KKE-Antarsya.

 

Définir des priorités

Bien sûr, la lutte antinazie est désormais centrale, et il convient de ne plus attendre. Déjà des mobilisations locales ont eu lieu ou vont se dérouler : à Perama, banlieue où les nervis ont attaqué chez eux des Égyptiens installés en Grèce depuis très longtemps, mille manifestants ont riposté. A Kallithea, plusieurs manifestations avec à chaque fois au minimum plusieurs centaines de personnes ont été les premières réponses aux agressions auxquelles se livrent quelques nazis impunis. Le problème se pose surtout en ce moment à l’échelle nationale : quel mouvement engager ? Quelles revendications (débat sur l’inter­diction, rendue plus difficile avec des tueurs comme Kasidiaris élus députés) ? Et il y a des hésitations entre les associations. Ce qui est sûr, c’est que dans un pays qui s’est délivré tout seul des nazis auteurs de nombreux massacres dans les villes et les villages, une mobilisation nationale autour des villages martyrs pourrait renforcer la dynamique à l’œuvre.

Mais sur ce terrain comme sur bien d’autres, ce qui sera déterminant, ce sont les luttes ouvrières, seules à même d’isoler les fascistes et de les couper d’une éventuelle influence populaire. On retrouve ici les mêmes problèmes que ceux rencontrés ces dernières années, mais ce qui est nouveau, c’est que la percée de Syriza, les reculs du KKE et la résistance sur le terrain des forces d’Antarsya peuvent permettre d’avancer sur le thème de l’auto-organisation et de la coordination des luttes

Enfin, la démarche pour former des cadres de front unique doit s’accompagner d’une volonté de discuter avec les forces anticapitalistes non regroupées dans Antarsya, comme le groupe DEA ou Kokkino (membres de Syriza). Renforcer la gauche anticapitaliste, dont les forces sont importantes en Grèce, est indispensable pour avancer sur les deux priorités précédentes. 

Par Tassos Anastassiadis et Andreas Sartzekis