Les prochaines semaines seront décisives en Grèce et en Europe. Si se confirme une défaite d’ampleur des partis de droite et une victoire de Syriza, lors des prochaines élections législatives, la lutte contre les politiques d’austérité pourrait basculer du côté des peuples.1
Bien sûr, une victoire électorale de la gauche grecque ne suffira pas, mais cela montrera qu’on peut commencer à bloquer les politiques d’austérité et à inverser le cours des choses. C’est un des maillons faibles de la chaîne des politiques d’austérité qui peut craquer.
La Grèce a été un des pays où les attaques capitalistes néolibérales se sont appliquées avec le plus de brutalité : le revenu moyen disponible a chuté de 35 % entre 2009 et 2013, le chômage dépasse les 28 % –plus de 50% parmi les jeunes de 15 à 24 ans –, les services publics sont détruits, les salariés mais aussi des secteurs de la petite bourgeoisie ont été terriblement appauvris. Le pays a été saigné.
C’est le rejet, par la société grecque, de cette politique barbare qui a débouché sur la crise politique actuelle Mais la spécificité de la crise grecque, c’est le rôle central qu’occupe Syriza.
En fait, on ne peut comprendre la « dynamique » Syriza sans prendre en compte la profondeur destructrice de la crise économique, accompagnée de l’effondrement d’un des piliers du système politique grec traditionnel (le Pasok, mouvement socialiste grec), la crise historique de la droite, le recul du KKE (PC) qui est passé de 13,1 % des voix en 1989 à 4,5 % en juin 2012. Un KKE ultra-sectaire.
Cette mutation de l’échiquier politique est surtout la résultante de la résistance sociale aux attaques des classes dominantes et de l’Union européenne. Près de 30 journées de grève nationale, sans compter les luttes partielles dans un grand nombre de secteurs, ont scandé les rythmes de la situation sociale et politique du pays. Les différentes composantes de Syriza, leurs membres dans les syndicats – en relation, souvent, avec des militants de la coalition Antarsya –, le mouvement étudiant, le mouvement anti-fasciste, etc., sont les vecteurs de ces mobilisations.
La gauche radicale grecque est le produit de l’accumulation de toute cette expérience sociale et politique. Sa victoire est possible, mais rien n’est joué.
D’abord, parce que la droite n’a pas dit son dernier mot. La droite grecque reste forte, avec une base sociale et politique. Nouvelle Démocratie est une formation ultra-réactionnaire. Elle intègre en son sein des éléments semi-fascistes provenant de Laos, force d’extrême droite. Elle a des liens coupables avec les néonazis d’Aube dorée et des secteurs de l’appareil d’Etat militaire et policier. Même si ce n’est pas une menace immédiate, le spectre du coup d’Etat militaire continue à hanter les arrière-cours de la vie politique grecque. Il faut aussi compter avec une presse qui se déchaîne contre la gauche, les travailleurs, les immigrés. Enfin, n’oublions pas que cette droite peut bénéficier de l’appui total de l’essentiel du patronat grec, des bourgeoisies européennes et de la troïka. Son choix, c’est la confrontation directe contre Syriza et la gauche grecque.
Une dimension européenne
La crise grecque peut avoir des conséquences économiques sur la situation de l’Europe dans la tourmente financière, monétaire et bancaire, mais le « risque » le plus important, c’est la contagion sociale et politique. La Grèce a une place stratégique dans tout le dispositif militaire de l’OTAN, et une crise ouverte en Grèce aura des conséquences sur le plan des rapports de forces internationaux. Une défaite des politiques d’austérité peut redonner confiance aux millions de travailleurs qui ont été durement éprouvés ces dernières années. Il est donc décisif pour les dirigeants européens de tout faire pour que l’expérience échoue.
Cette détermination populaire conduit certaines fractions bourgeoises et des élites européennes à indiquer la possibilité de négociation avec un nouveau gouvernement grec. C’est dans ce cadre que les dirigeants de l’UE pourront utiliser ce qui reste de la gauche traditionnelle libérale ou sociale-libérale : les restes du Pasok, le mouvement des socialistes de Papandréou, ou les restes de Dimar (Gauche démocratique), en particulier si la direction de Syriza s’engage dans la formation d’un gouvernement de coalition qui recherche un accord avec les dirigeants de l’UE. Les puissants d’Europe combineront confrontations et manœuvres, affrontements et pressions pour imposer une politique, en continuité avec le gouvernement actuel, en espérant faire capituler la direction de Syriza et donc conduire à la catastrophe. Ce que certains appellent déjà « la parenthèse de Syriza » !
Beaucoup de choses se jouent aujourd’hui au sein d’une Syriza à la croisée des chemins. Le « bureau présidentiel » et Alexis Tsipras – la direction de Syriza – multiplient les déclarations contradictoires : rejeter les « mémorandums » de la troïka, arrêter de payer les intérêts de la dette et supprimer une grande partie de cette dette, mais en même temps rechercher un accord avec les dirigeants de l’Union européenne qui, pour continuer leurs prêts, exigent l’application des politiques budgétaires, la baisse du niveau de vie du peuple grec et la destruction des services publics.
À cette étape, ce qui domine la campagne de Syriza, ce sont les engagements du programme de Thessalonique : ramener les salaires et les retraites à leur niveau d’avant la crise ; retour aux conventions collectives d’avant-crise ; retour à un seuil minimum de revenu imposable à 12 000 euros ; suppression des taxes sur le fioul de chauffage. Ces mesures, si elles sont appliquées, auront une signification pour le peuple grec et au-delà en Europe : l’austérité peut être bloquée.
C’est pourquoi ce double discours va vite se heurter à la politique des classes dominantes, en Grèce et en Europe : soit on accepte les diktats de l’UE, et l’expérience sera défaite, soit on reste fidèle au cap de la lutte contre l’austérité, en appelant à la mobilisation, et il y a la possibilité d’un rebond social. Il sera difficile d’échapper à cette alternative. « Pas un seul pas en arrière », c’est le mot d’ordre des camarades de la « plateforme de gauche » de Syriza.
Pas un pas en arrière…
Pour obtenir que le mot d’ordre « Pas un pas en arrière » se concrétise avec plus de force, il doit prendre appui sur une politique unitaire, de l’ensemble de la gauche grecque, de Syriza mais aussi du KKE et d’Antarsya. Au sein même du KKE, les doutes se multiplient sur l’orientation ultra-sectaire de la direction. Quant à Antarsya, elle est divisée sur l’opportunité d’une alliance avec un courant « national-communiste » – le plan B d’Alavanos. La gauche grecque, Syriza et Antarsya ont une responsabilité particulière dans la construction d’un projet unitaire, qui dépasse ces organisations, mais peut rassembler des syndicalistes, des associatifs, des écologistes.
L’enjeu est clair, décisif : il faut battre la droite et l’extrême droite grecques et tout faire pour que la gauche, dont Syriza est la principale composante, gagne ces élections. Nous ne sommes pas neutres. Nous sommes contre la droite et pour Syriza, afin de créer une dynamique sociale et politique pour un gouvernement de gauche, qui doit s’efforcer de réunir toutes les forces prêtes à rompre avec la politique d’austérité et lutter contre les pièges du nationalisme chauvin.
Ce gouvernement doit être un gouvernement des gauches et non un gouvernement d’union nationale qui prépare la conciliation avec les classes dominantes et l’UE. Le rejet des mémorandums, des diktats budgétaires de l’UE, le non-remboursement de la plus grande partie de la dette, premières mesures d’un gouvernement anti-austérité, sont les questions où va se jouer la confrontation avec l’UE, mais elles ne pourront se consolider sans une politique qui dès le départ casse toutes les attaques antisociales imposées au peuple grec depuis quatre ans dans le domaine des salaires, de la santé, du droit au travail et au logement, qui commence à prendre des mesures anticapitalistes, d’incursion dans la propriété capitaliste, nationalisation des banques, et de certains secteurs clés de l’économie, réorganisation de l’économie pour satisfaire les besoins sociaux élémentaires.
Pour imposer ces solutions, la mobilisation sociale, le contrôle des travailleurs sur leurs propres affaires, l’auto-organisation et l’autogestion sociale sont indispensables. Enfin la conquête du gouvernement, dans un cadre parlementaire, dans des circonstances exceptionnelles peut être un premier pas dans la voie d’une rupture anticapitaliste mais, là aussi, celle-ci ne peut se confirmer que si un gouvernement anti-austérité crée les conditions pour un nouveau pouvoir s’appuyant sur des assemblées populaires, dans les entreprises, les quartiers et les villes, car la conquête du gouvernement, ce n’est pas la conquête du pouvoir.
Syriza peut soit devenir une force anti-néolibérale et anticapitaliste – en construisant un front de gauche, de bas et en haut –, soit, face aux terribles pressions qu’elle va subir, ouvrir la voie à un gouvernement de gestion social-libérale. Le role des révolutionnaires n’est pas de dénoncer par anticipation les trahisons de demain, il est de tout faire pour que l’expérience Syriza aille le plus loin possible, dans la satisfaction des revendications populaires.
Une bataille décisive s’engage en Grèce, mais tous les peuples d’Europe sont concernés. Le peuple grec ne doit pas rester isolé. Il faut empêcher les gouvernements de l’Union européenne de continuer à imposer leurs diktats, refuser toute ingérence, tout chantage. C’est au peuple de décider de ses propres affaires. Il faut, avec les associations, le mouvement syndical et toutes les organisations, dresser, dans tous les pays européens, un mur de solidarité avec le peuple grec, contre les politiques de la droite et de la troïka. C’est aussi la tâche des révolutionnaires de renforcer leurs liens avec la gauche révolutionnaire grecque pour favoriser les convergences et les avancées unitaires.
Par François Sabado
Notes
1 Cet article a été écrit dans la semaine précédant le scrutin du 25 janvier.