Publié le Mercredi 2 mars 2016 à 09h46.

Impérialisme et mondialisation

« Le péril jaune qui menace l’Europe peut donc se définir de la manière suivante : rupture violente de l’équilibre  international sur lequel le régime social des grandes nations industrielles de l’Europe est actuellement établi, rupture provoquée par la brusque concurrence, anormale et illimitée d’un immense pays nouveau ». L’économiste Edmond Théry exprimait ainsi son effroi dans son livre « Le Péril jaune »... en 1901.

Le monde a bien changé depuis, le fantasme demeure. Sauf qu’à l’époque, la Chine était la proie des impérialismes rivaux. Elle est maintenant « l’atelier du monde ». La « première mondialisation » capitaliste voyait le triomphe de l’Occident. Celle d’aujourd’hui verrait-elle son déclin ? Peut-on même encore parler d’impérialisme ? Une confusion extrême, politiquement délétère,  règne aujourd’hui dans les consciences.

La pire des méthodes est la myope, isolant tel ou tel fait d’une vision nette de l’ensemble. C’est une facilité qui permet aux uns de s’extasier sur la fin de l’impérialisme (et pourquoi pas un « impérialisme à l’envers » : la Chine n’inonde-t-elle pas l’Occident de produits industriels ?), aux autres d’affirmer la persistance, à l’identique, de l’impérialisme décrit par Lénine en 1916 (l’Occident ne cesse-t-il pas en permanence d’intervenir militairement aux quatre coins de la planète ?). Alors mieux vaut aller tout droit à l’essentiel : puisque l’impérialisme de la « Belle époque » était la forme que prenait alors la mondialisation capitaliste, quel est l’impérialisme de « notre mondialisation » ? 

D’une mondialisation à l’autre

L’économie capitaliste connut une première vague d’internationalisation à la fin du 19e siècle. Après la Première Guerre mondiale, les relations économiques internationales se disloquèrent durablement, et la reprise de  l’internationalisation fut assez lente après 1945. L’importance du commerce extérieur dans le PIB mondial ne rattrapa qu’en 1973 le niveau de 1913 ! Puis les choses s’amplifièrent à vive allure.

Mais ce que nous vivons depuis trente ans n’est pas un simple retour à la mondialisation de 1900, juste à un niveau plus élevé. Le processus est différent. Il y a un peu plus d’un siècle, l’Europe industrialisée se mit à exporter massivement des capitaux, d’un côté vers des « nouveaux pays européens » (Etats-Unis, Canada…), d’un autre vers des colonies ou semi-colonies. Dans les premiers l’Europe exportait aussi ses hommes (60 millions d’Européens quittèrent le « vieux continent » au 19e siècle) et, avec eux, les relations capitalistes les plus avancées. Mais dans les autres, agraires et pauvres, il s’agissait surtout de construire des infrastructures pour en piller les ressources naturelles, d’inonder leurs marchés des produits industriels occidentaux (ou japonais), ou de piéger leurs Etats dans des dettes infinies.

Les pays sous tutelle, étranglés financièrement, étaient invités à entrer dans le jeu « gagnant-gagnant » du libre-échange avec la métropole coloniale. L’Inde le paya cher. Son artisanat textile fut dévasté par la concurrence des manufactures anglaises, et le pays, loin de s’industrialiser, fut « incité » à se spécialiser dans ses « avantages comparatifs », par exemple à produire de l’opium à échanger contre le thé chinois, pour le plus grand malheur de ces deux peuples et le bénéfice de la City. L’écart de revenu moyen entre l’Inde et l’Angleterre, de 1 à 2 en 1820, serait passé de 1 à 4 à la fin du 19e siècle.

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On comprend pourquoi les pays qui conquirent (réellement) leur indépendance après 1945 se hâtèrent souvent de fermer leurs frontières pour y lancer leur propre processus d’industrialisation ! Mais ce fut largement un échec. En proie à une forme de stagnation, alors même que les grands pôles de l’économie capitaliste mondiale (Europe, Etats-Unis, Japon) mais aussi les « tigres asiatiques » connaissaient une forte croissance pendant plus de deux décennies,  les gouvernements des pays pauvres, de la mort de Mao jusqu’à la chute du mur de Berlin, retournèrent presque tous à la grande table du marché mondial. Le capitalisme mondial put se réapproprier rapidement des régions immenses du globe, alors même que ses capitalistes étaient de plus en plus anxieux de trouver des placements ailleurs que dans leurs économies qui perdaient le souffle des Trente Glorieuses, et cherchaient à internationaliser toujours plus leurs affaires. Ces gouvernements étaient sans doute aux abois. Ou très désireux de nouer de juteuses affaires avec les multinationales sur le dos de leurs peuples. Mais c’est aussi que le capitalisme et les gouvernements des pays riches avaient autre chose à offrir à certains que la spécialisation dans la banane et les meubles en bambou, ou la prédation financière pure et simple.

Une mondialisation « productive »

Une véritable offensive politique (« néolibérale ») de certains gouvernements (Reagan, Thatcher…) au tournant des années 1980 s’est combinée avec un faisceau de stratégies de différents acteurs du capitalisme, pour changer radicalement le monde en deux décennies. La globalisation financière a permis aux capitaux de circuler (presque) partout et a, de fait, mis en concurrence les travailleurs, les Etats et les systèmes sociaux de toute la planète.

Les multinationales, adossées à cette liberté retrouvée du capital financier, ont investi massivement dans quelques pays assez grands pour apparaître comme de futurs marchés alléchants et assez pauvres pour offrir une main d’œuvre pas chère (le Mexique, la Chine). Elles ont « segmenté » au niveau mondial leurs chaînes de production, pour profiter au mieux des avantages de chaque type de pays (bas salaires en Chine, composants intermédiaires à Taiwan, recherche aux Etats-Unis par exemple). Cette nouvelle division mondiale du travail ne fut possible que parce que les pays riches ont ouvert leurs frontières, incitant leurs multinationales à déplacer leurs capacités de production et le capital national de certains pays pauvres à s’orienter vers des industries d’exportation.1

L’industrie mondiale a massivement basculé des pays de l’OCDE vers les grands pays émergents, Chine en tête. Pendant des décennies, les « émergents » connurent des taux de croissance plus élevés que ceux des pays développés. Selon le FMI, la part dans le PIB mondial des « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine) est ainsi passée, en dollars, de 5 à 21 % entre 1992 et 2013 (Etats-Unis, de 27 à 23 %, Union européenne, de 33 à 23 %).

Au profit de qui ? La bourgeoisie-bureaucratie chinoise a fort bien tiré les marrons du feu, d’autres aussi. De Rio à Shanghai, nous sommes loin des bourgeoisies « compradores » du temps des colonies, ces pâles intermédiaires de l’exploitation de leurs compatriotes par les capitalistes occidentaux ou japonais, qui leur lâchaient au passage une commission.

Mais plus largement, des centaines de millions d’êtres humains se sont vus offrir des perspectives nouvelles grâce à cette industrialisation, la plus impétueuse de l’histoire. La pauvreté a reculé, et de beaucoup, dans un certain nombre de ces pays émergents. Avec, dans la balance, toutes les horreurs du capitalisme, l’exploitation forcenée des travailleurs, des inégalités stupéfiantes, le saccage de l’environnement, puisque l’Occident et le Japon ont délocalisé en grande partie, avec leurs usines, leur pot d’échappement.

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La Chinamérique

Nous ne sommes donc plus à l’époque de l’impérialisme tel que le décrivaient Lénine ou Luxemburg. Les pays les plus développés ne  sont plus forcément exportateurs de marchandises ni même de capitaux, mais souvent importateurs nets. L’exemple le plus étonnant, qui plus est le cœur de l’économie mondiale, c’est la « Chinamérique » : les biens de consommation manufacturés en Chine qui se déversent sur le marché des Etats-Unis en creusent les déficits, que la banque centrale chinoise contribue largement à financer… en achetant des bons du trésor de l’Etat américain. 

Le graphique ci-dessus offre une trace de ce couple déroutant2.

Si on envisageait l’impérialisme comme étant forcément un mécanisme de prédation des pays agraires par des puissances capitalistes industrialisées, à travers l’exportation des marchandises puis des capitaux du « nord » vers le « sud » (critère central de l’impérialisme moderne pour Lénine !), on n’y comprendrait plus rien...

Le règne des multinationales…

Sauf que ce sont les multinationales des pays développés qui ont été les grandes ordonnatrices de cette nouvelle mondialisation. Elles ont organisé la production internationale pour maximiser leurs profits, trouver une main d’œuvre moins chère ici, payer moins d’impôts là, bénéficier des personnels les plus qualifiés et des technologies les plus avancées ailleurs… A cet égard il est intéressant de calculer les bénéfices du commerce international en termes de valeur ajoutée. Les Etats-Unis, qui importent tous leurs IPhones de Chine, affichaient en 2009 un déficit commercial de 1,9 milliard de dollars à l’égard de la Chine, mais de seulement 73 millions en valeur ajouté (contre 680 millions à l’égard du Japon et 300 à l’égard de l’Allemagne !). Les profits allant finalement, d’abord et surtout, à des actionnaires américains. Quant à la paire de Nike vendue 75 dollars aux Etats-Unis, ne rapporte-t-elle pas 3 dollars en moyenne aux ouvriers indonésiens qui la produisent ? Cette mondialisation est enfin un levier formidable pour faire pression, en les mettant en concurrence, sur les Etats et les systèmes sociaux dans les pays riches comme dans les pays pauvres.

Nous vivons plus que jamais à l’ère des grands oligopoles, même si par ailleurs ils se livrent une concurrence toujours renouvelée. Toutes les multinationales cherchent à prendre des positions dominantes, pour empêcher l’irruption de nouveaux concurrents. Par les économies d’échelle, la spécialisation des différentes étapes de la production, la conquête de rentes de situation : les rentes technologiques, les titres de propriété intellectuelle, les monopoles symboliques. Et symboles justement du principe monopolistique « the winner takes it all » (comme on dit au Poker), Google, Nike ou Barbie : cheveux synthétiques japonais, plastique philippin, assemblage indonésien... et triste symbole américain, la blonde plastique.

… et la politique des Etats

Or les Etats développés, eux aussi donc mis « sous pression », ont soutenu avec enthousiasme ce processus d’ouverture des frontières pour les marchandises et les capitaux. Il ne se serait jamais fait sans eux. Normal, l’un des traits majeurs de l’impérialisme depuis le début du 20e siècle, pour les marxistes, n’est-il pas l’union des « élites » politiques avec les trusts industriels et financiers ?

Mais il faut voir plus loin : les gouvernements occidentaux et japonais sont au service non des seules multinationales, mais aussi de la dynamique générale de « leur » capitalisme dans son ensemble, au service de tous les détenteurs de fortunes et de tous les patrons. Même ceux qui possèdent des salons de coiffure ou des garages. Or les importations massives de biens à bas prix, en rayonnage chez Wal-Mart, permettent de contenir le salaire des travailleurs américains, d’y faire baisser le « coût du travail », de relever le taux d’exploitation « sur son propre sol ». Les déficits de l’Etat américain s’y ajoutent pour dynamiser la consommation domestique et l’activité économique. Les Etats-Unis étant l’exemple le plus abouti de ce qui s’est passé dans tout le monde développé.

Si nous nous sommes éloignés de l’impérialisme de l’époque de Lénine, parce que l’impérialisme a changé de formes (et parfois les flux de sens), nous sommes bien plus loin encore d’un monde « plat », sans nations dominantes et dominées, sans exploitation des populations des pays pauvres par le capital des pays riches, sans grands oligopoles dominant l’économie mondiale.

Nous devons sans doute faire aussi nos adieux à un certain « tiers-mondisme », qui eut son heure de gloire quand il y avait encore un « tiers-monde », un ensemble de pays (la majorité de l’humanité) qui n’était ni le bloc soviétique industrialisé ni le bloc capitaliste développé. Ce courant d’idées eut le mérite, rejoignant en cela les divers courants du marxisme après 1945, de dénoncer le pillage et l’oppression des peuples des pays pauvres par le capital des pays riches.

Mais par « tiers-mondiste » on avait aussi pris l’habitude, dans les années 1960 et 1970, de désigner non seulement une solidarité, mais aussi l’opinion que des pays actuellement pauvres ne pourraient jamais se « développer » dans un cadre capitaliste, que seule la révolution socialiste pourrait les sortir de leur extrême pauvreté, et chambouler la hiérarchie des puissances. L’émergence (sans doute chaotique) de gigantesques pays, qui s’accompagne encore une fois de toutes les horreurs du capitalisme « en développement », l’avènement de la Chine (capitaliste) comme « grande puissance (politique et économique) pauvre », amène à relativiser ces pronostics… Quant à l’idée que les ouvriers du nord auraient été tellement bénéficiaires de l’exploitation des prolétaires du sud, qu’ils ne pouvaient  décidément plus être la « classe révolutionnaire » espérée, on voit bien aujourd’hui que même si les prolétaires occidentaux peuvent jouir d’un cacao et de textiles moins chers « grâce » à l’oppression du tiers-monde, les mécanismes de la mondialisation actuelle servent tout de même à faire baisser leurs salaires et à les exploiter encore davantage, eux aussi.

A l’inverse, saluons la solidarité des bourgeoisies de (presque) tous les pays. Cette entente est certes relative, mais plus pacifique qu’au temps des colonies. Ils se concurrencent et s’affrontent, mais ne se font plus la guerre pour les ressources et les marchés. Et toutes les grandes fortunes, même (surtout parfois) de pays économiquement marginalisés, partagent plus ou moins le grand pot commun de la finance globalisée.

Un monde instable et violent 

La coexistence (relativement) pacifique des puissances capitalistes n’empêche pourtant pas le monde capitaliste d’être instable. Car dans son libre jeu le capitalisme réduit à la misère des régions entières, engendre une crise écologique majeure, et il n’harmonise pas les économies et les conditions d’existence. Il les polarise. Le revenu moyen de nombreux Asiatiques a très partiellement rattrapé celui de l’Occident mais des milliards d’hommes vivent désormais dans des bidonvilles, les pays les plus pauvres sont encore plus pauvres, et partout les inégalités explosent. Le capitalisme reste une grande centrifugeuse.

D’autant plus que la mondialisation actuelle est profondément ambivalente. Elle a  mélangé du très nouveau (le basculement de l’industrie mondiale) et du très ancien, car la prédation impérialiste « ancien style » n’a absolument pas disparu. Le piège de la dette continue d’étrangler des peuples entiers. Nombre d’Etats (et leurs castes dirigeantes criminelles) ont accepté les plans d’ajustement structurel du FMI, vendu leurs entreprises nationales au rabais et livré leurs ressources naturelles à des multinationales étrangères. Ces différentes formes de spoliation ont ravagé des dizaines de pays (les années 1980 furent la « décennie perdue » en Amérique latine, une épidémie d’ « Etats faillis » et de guerres civiles continue de balayer l’Afrique) avant... de revenir frapper la « périphérie » de l’Europe elle-même.

Le libre-échange a réduit à la misère des centaines de millions de paysans des pays les plus pauvres de la planète. La « chance » du marché mondial s’est maintes fois transformée en tragédie. En 2008, il y eut une telle flambée des prix agricoles sur un marché devenu mondial que les populations des grandes villes africaines ne pouvaient plus acheter leur riz thaïlandais ou américain, alors que les producteurs de céréales locaux avaient depuis longtemps été exclus du marché des villes par la concurrence des grains des pays les plus concurrentiels (ou les plus subventionnés).

Concurrences exacerbées, inégalités monstrueuses, « trous d’air » géopolitiques, crises encore à venir… Comment gouverner ce grand désordre mondial ?

Besoin d’Etat, envie de droit

D’abord, les Etats comptent plus que jamais. Ils sont le bras armé des intérêts de leurs capitalistes, et, pour les plus riches et les plus forts, les garants de l’ordre financier indispensable au capitalisme. La crise de 2008 l’a encore rappelé. C’est vrai aussi des Etats des pays émergents. Ce ne sont pas les Etats faibles et livrés à tous les vents du libéralisme qui ont pu le mieux s’insérer dans la nouvelle structure du capitalisme mondial. C’est un Etat chinois héritier de la révolution maoïste, unifié, nationaliste et armé, qui, en échange de son marché potentiel et de sa main-d’œuvre, s’est montré capable de négocier (en mettant en concurrence partenaires et investisseurs) des ouvertures de marchés, des installations de capacités productives, des transferts de technologies.

Nous sommes bien loin de « l’Empire » de Hardt et Negri, qui prophétisait une « terre plate » livrée à la liberté totale d’un capital transnational indépendant des Etats, se dressant seul, sans médiations politiques, face à la « multitude ». L’impérialisme d’aujourd’hui, c’est bien plutôt un monde dominé par l’activité des multinationales et du capital financier, mais structuré par un système d’Etats se concurrençant et coopérant. Il y a une sorte d’ « impérialisme collectif », qui s’entend cahin-caha pour garantir la sécurité des échanges, des investissements, des flux de matières premières et d’énergie, parfois par la force la plus brutale.

Ce système est hiérarchisé. A son sommet : les Etats capitalistes les plus riches et les plus fiables (non seulement pour leur propre bourgeoisie, mais pour les fortunes du monde entier). Tout en haut, l’Etat américain. Son hégémonie ne se mesure pas à ses parts de marché dans le monde. Il est la clef de voûte de tout le système : sa puissance garantit la liberté des « flux » financiers et matériels, son marché financier « liquide et profond » est un refuge pour tous les capitaux inquiets, sa monnaie équilibre tous les paiements. Bien sûr, l’impérialisme américain se paie de ses efforts sur la bête, en exerçant son droit de seigneuriage par sa politique monétaire et financière, en abusant de sa force militaire pour des intérêts « égoïstes ». Mais ni le Japon ni l’Europe (qui n’existe pas) ne veulent le contester. Pékin et Moscou ne le peuvent que marginalement. Tous, bien sûr, n’hésitent pas s’il le faut à user des armements les plus terribles pour leur politique.

L’Etat, le capitaliste compte dessus mais s’en méfie. La démocratie peut être dangereuse pour le capital financier et les multinationales. La dictature aussi : des cliques incontrôlées peuvent vouloir faire tout tourner à leur propre profit, ou faire de la « démagogie ». Les bonnes constitutions sont faites pour dévitaliser la démocratie, contenir le peuple. L’Etat fort oui, mais pas pour entraver le business.

C’est tout aussi vrai pour les relations économiques internationales. Les capitalistes, hostiles aux réglementations (sociales, environnementales, sanitaires, etc.) qui entravent leur liberté de produire, investir et exploiter, en réclament pour sécuriser leurs investissements dans les pays étrangers, garantir l’ouverture des frontières et le droit de rapatrier ses profits, limiter les impôts, protéger la propriété intellectuelle. D’où l’espèce d’internationalisme juridique acharné des multinationales, qui se traduit par la mise en place d’organisations internationales comme l’OMC, et la négociation des traités de libre-échange. Comme le traité Tafta en cours de discussion entre la commission européenne et les autorités américaines, qui vise à niveler par le bas les normes communes aux deux rives de l’Atlantique, et à soumettre les Etats à des tribunaux arbitraux internationaux, saisissables par les multinationales. Les groupes pharmaceutiques avaient déjà atteint des sommets de cynisme en bataillant à la fin des années 1990, au sein de l’OMC, pour empêcher la production des médicaments génériques par les pays pauvres, ce qui voulait dire interdire les trithérapies à des dizaines de millions de malades du SIDA.

Ainsi, même sous couvert du « droit », la barbarie impérialiste ravage notre monde.

Yann Cézard

  • 1. On peut lire des analyses de ces processus par exemple dans « La Mondialisation du capital » de François Chesnais (dès 1994) ou encore dans « Une trajectoire du capital » de Isaac Johsua (2006).
  • 2. La balance courante est le solde de l’ensemble des flux monétaires d’un pays ou groupe de pays.