Il y a sept ans, une mobilisation citoyenne, des associations et des historiens avait permis de faire reculer le gouvernement qui voulait par la loi imposer, avec l’article 4 de la loi de février 2005, une reconnaissance dans les programmes scolaires du « rôle positif de la colonisation ». Il est important de ne pas relâcher la vigilance car de nombreux signes sont inquiétants : la volonté de Sarkozy de courtiser l’électorat FN, la création de la Droite populaire par les députés ultras UMP, les risques de recomposition entre droite et extrême droite après les élections présidentielles. Dernier épisode en date, en août 2011, le maire de Nice Estrosi laisse les nostalgiques de l’Algérie française honorer la mémoire de l’OAS et des généraux putschistes dans sa ville. En février 2012, il récidive et prétend interdire un colloque de la LDH dans sa ville sur la guerre d’Algérie. Il y a soixante ans, les massacres de Sétif et Guelma.
Le 8 mai 1945, à Sétif, dans le Constantinois, la population algérienne manifeste pour célébrer la victoire alliée. Le prestige de la France puissance coloniale a été affaibli avec la défaite de 1940, puis lors du débarquement allié de novembre 1942 où les états-Unis ont diffusé en masse la Charte de l’Atlantique qui condamne le colonialisme. Face aux déceptions engendrées par la métropole, qui refuse d’accorder l’égalité politique aux « Français musulmans d’Algérie », le nationalisme algérien s’est radicalisé depuis les années 1930, à l’image d’un leader modéré comme Ferhat Abbas, d’abord assimilationniste, puis partisan d’un Commonwealth à la française, enfin indépendantiste. Auteur en 1943 du Manifeste du peuple algérien, il a créé les Amis du manifeste et de la liberté (AML), mouvement qui revendique une large autonomie. L’étoile nord-africaine, mouvement plus radical formé par Messali Hadj, ouvrier algérien d’abord proche du Parti communiste, dissoute en 1937, s’est transformée en Parti du peuple algérien (PPA), et investit les AML. En avril 1945, il est préventivement déporté par les autorités à Brazzaville. Aussi, dès le 1er mai 1945, des manifestations éclatent dans plusieurs villes d’Algérie, durant lesquelles des slogans nationalistes sont criés et des drapeaux de l’étoile nord-africaine (l’actuel drapeau algérien) brandis : la police intervient, et tue plusieurs Algériens.
Le 8 mai à Sétif, les mots d’ordre nationalistes, anticolonialistes et favorables à la Charte de l’Atlantique sont donc associés à la victoire sur le nazisme. La police tue un jeune scout musulman qui portait le drapeau rouge, blanc et vert. La manifestation dégénère en émeute, les troubles s’étendent à toute la région, et des Européens isolés sont attaqués et massacrés par la population. Leurs cadavres sont souvent mutilés : des années de domination et d’humiliation trouvent un violent exutoire.
La riposte est terrible. L’armée conduit la répression à Sétif, procède à des exécutions sommaires ; l’aviation mitraille des villages. à Guelma, des milices d’Européens encouragées par le sous-préfet se chargent de la sale besogne. 2500 militants sont ainsi arrêtés puis jugés dans un simulacre de procès par des gendarmes, des policiers, des miliciens autoproclamés « Comité de salut public », avant d’être exécutés.
L’enfouissement rapide des cadavres a entraîné une difficulté à dénombrer précisément les victimes. Une chose est certaine, le déséquilibre entre la centaine de victimes côté européen (86 civils et 16 militaires) et les 5 à 20 000 morts algériens. Les événements de Sétif et Guelma restent inscrits dans la mémoire collective algérienne et creusent l’écart et la haine entre les communautés. Les Européens comprennent qu’ils sont vulnérables et se regroupent dans les villes, désertant les campagnes, contrôlées de fait par les « fellagha ». Pour l’historienne Sylvie Thénault, le 8 mai 1945 n’est pas le début de la guerre d’indépendance algérienne, qui commence bien le 1er novembre 1954, mais il marque une « étape dans la dégénérescence de l’Algérie française ».