Publié le Mardi 5 avril 2016 à 23h15.

La gauche après Syriza : Entretien avec Antonis Ntavallenos

Le dirigeant de DEA (Gauche ouvrière internationaliste) et d’Unité Populaire, Antonis Ntavallenos, a accordé  il y a quelques mois une longue interview à son homologue de l’ISO (Organisation socialiste internationaliste) étatsunienne, Ahmed Shawki, pour le numéro 99 (hiver 2015-2016) de l’International Socialist Review. Nous en publions ici de larges extraits, centrés sur les raisons de la capitulation de Tsipras ainsi que de sa seconde victoire électorale en septembre 2015, ainsi que sur la situation et les perspectives actuelles. Le texte (publication originale en anglais, http://isreview.org/issu… ) a été traduit pour l’Anticapitaliste par Jérôme Beuzelin.

Comment expliques-tu la capitulation de Tsipras face aux créanciers ? Lui a-t-elle été imposée, comme certains le prétendent ?

De nombreux camarades à travers le monde, qui ne connaissent pas tous les détails de la situation, pensent que Tsipras a fait de son mieux pour résister à la pression des dirigeants européens pour obtenir la signature d’un nouveau mémorandum austéritaire. Selon cette analyse, Tsipras a surtout accepté le troisième mémorandum du fait du chantage exercé par les dirigeants européens, le FMI et la troïka.

Or ce n’est pas vraiment le cas. Le plan adopté au premier congrès de Syriza était de mettre un terme à l’austérité et de revenir sur le mémorandum. C’était précisé dans le programme de Thessalonique. Ce dernier contenait des mesures concrètes dont nous nous avions promis la mise en œuvre immédiate et unilatérale dès la victoire électorale, sans attendre les discussions et les négociations avec l’Union européenne. Comme le disait Tsipras à l’époque, les seules discussions et négociations avec l’Europe devaient concerner la dette.

Ce plan avait bien des écueils, mais aussi des points forts. Il est cependant impossible d’en tirer le bilan parce que le bloc dirigeant autour de Tsipras ne l’a jamais mis en pratique. On aurait pu plaider que la direction Tsipras s’était heurtée à l’alliance de la classe dirigeante grecque et des institutions internationales si, dès les élections de janvier, elle avait augmenté les salaires et les minima sociaux, protégé les hôpitaux et écoles publics et mis un terme aux privatisations – toutes choses promises dans le programme. Si tel avait été le cas, nous sommes sûrs qu’une vaste alliance des classes laborieuses et populaires aurait pu être mise en place pour défendre le nouveau gouvernement contre le chantage des créanciers. Mais dès le début, l’approche de Tsipras se fondait sur l’espoir d’un compromis négocié entre le gouvernement, la classe dirigeante grecque et les institutions internationales.

Je voudrais commenter la question du chantage. Les banques en ont été les principaux instruments. Début juillet, la principale menace du ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble était : « si vous n’acceptez pas le troisième mémorandum, nous vous laisserons seuls, les banques vont s’effondrer, et votre peuple se retournera contre vous pour vous renverser. » Comment en est-on arrivé là ? Après les élections de janvier, en quête d’un compromis avec la classe dirigeante grecque, le dirigeant de l’aile droite de Syriza, Yannis Dragasakis, placé à la tête du système bancaire, a facilité une fuite massive de capitaux depuis les banques grecques vers les banques internationales et les programmes néolibéraux d’investissement outrageusement spéculatifs. Au bout de six mois, la plus grande part de l’argent encore placé dans les banques grecques venait de déposants individuels plutôt que d’entreprises. Presque 100 % du cash en réserve dans les banques grecques était constitué à ce moment-là de petits comptes avec moins de 10 000 euros. Les riches avaient déjà retiré leurs fonds. Pendant que cela se déroulait, Dragasakis et le gouvernement n’ont à aucun moment sonné l’alarme et rien n’a été fait pour stopper l’hémorragie des fonds, laissant le gouvernement financièrement à sec et en position de faiblesse face aux créanciers.

La seconde illusion, énorme celle-là, entretenue par la direction Tsipras était sa conviction qu’à travers la démocratie et la victoire électorale, en accédant au gouvernement dans un petit pays, il pouvait changer la ligne de l’Union européenne sur la sortie de crise. Cette illusion a été très grave parce qu’elle a dès le début poussé Tsipras a éviter toute mesure allant contre les projets européens. Après le premier accord du 20 février, il était clair que Schäuble et la troïka préparaient le troisième mémorandum. Tsipras et Varoufakis ont néanmoins paraphé l’accord, et ont continué à payer toutes les échéances de la dette sans recevoir un sou de l’Union européenne.

Il était pourtant de plus en plus évident qu’au bout de l’opération, quand le dernier centime du peuple grec aurait été donné aux bailleurs internationaux, il ne resterait comme seule issue possible que la signature d’un compromis pourri. Voilà la réalité de la « résistance au chantage » de Tsipras et son petit groupe. C’était le fruit des illusions réformistes sur la possibilité d’un compromis avec la classe dirigeante grecque, et plus généralement sur la nature réelle de l’Union européenne.

Il faut préciser que durant toute cette période, la gauche du parti s’est durement battue pour exiger que Tsipras mette en œuvre l’ensemble des mesures concrètes promises dans notre programme : appliquer des mesures unilatérales pour atténuer l’impact de la crise en Grèce, geler tout paiement de la dette, et nationaliser les banques, seules défenses possibles contre les exigences de l’Union européenne. Pas seulement au sein du parti, mais aussi publiquement, nous disions que l’approche de Tsipras ne nous mènerait qu’à la défaite. Telle la vérité sur ce point. La capitulation du 13 juillet n’était pas objectivement inévitable ; elle n’était pas écrite depuis le début ; elle a été le résultat de la direction politique de Tsipras – une direction fondée sur le dialogue et le consensus avec la classe dirigeante grecque et les élites européennes et internationales.

Le résultat de tout cela a été le troisième mémorandum, un véritable désastre. Tsipras a signé un accord qui signifie la poursuite de mesures d’austérité très dures, comprenant de nouvelles attaques contre le système des retraites avec de très lourdes coupes, et une vague massive de privatisations dans des secteurs que personne jusqu’ici n’avait osé proposer : aéroports de province, grands ports comme le Pirée et Thessalonique, électricité publique, réseau de distribution de l’eau. C’est le retour de l’Amérique latine – notre épisode latino-américain à nous.

Aujourd’hui, il a été rapporté dans les journaux que le gouvernement a vendu une île à un oligarque russe, et qu’à sa demande il lui ont aussi vendu la mer autour. Plus aucun bateau ne peut approcher en-deçà d’un certain nombre de kilomètres de cette île. Ce n’est pas juste de la privatisation – c’est de la vente à la découpe, et c’est cela le modèle qu’ils ont accepté.

On trouve des camarades dans des organisations hors de Grèce pour défendre Syriza, disant que Tsipras a au moins eu l’honnêteté d’admettre qu’il avait été forcé de signer l’accord et n’a rien caché de sa nature catastrophique. En vérité, il ne pouvait pas dire autre chose, parce que les gens en grève ont compris la nature de l’accord, et qu’il n’avait aucun moyen de dissimuler qu’il s’agissait bien d’un nouveau mémorandum austéritaire. Et cela, parce que dès le début une forte opposition s’est exprimée à l’intérieur de Syriza. Maintenant, tout cela est en train de changer. Désormais on trouve des cadres de Syriza pour faire l’apologie de ces mesures, prétendant qu’elles sont la bonne chose à faire, et que même sans la troïka le gouvernement aurait tout de même été obligé de prendre ces décisions difficiles. Depuis les élections de septembre, il n’y a plus au sein du parlement d’opposition anti-mémorandum et anti-austérité, à l’exception du Parti communiste (KKE).1

 

Quelles est la situation dans Syriza depuis la capitulation, le départ de sa gauche, et les dernières élections ?

Il faut être clair et bien comprendre internationalement que Syriza n’a pas juste changé ; Syriza s’est effondrée. La Syriza telle que nous la connaissions n’existe tout simplement plus. Les gens doivent comprendre que la Plateforme de gauche n’a pas été seule à quitter le parti. La Plateforme de gauche a marqué les esprits parce qu’officiellement elle représentait 33 % des membres, (même si tout le monde savait que nous étions plus nombreux – environ 40 %) et parce qu’il s’agissait du groupe d’opposition le plus radical et le plus organisé dans le parti. Mais elle n’a pas été la seule à le quitter.

Les camarades de tous les pays doivent savoir que le secrétaire général du parti, Tassos Koronakis, historiquement affilié à la majorité Tsipras – c’est pourquoi il est devenu secrétaire général – cet homme-là a démissionné. La moitié des membres élus du secrétariat du comité central de Syriza, la plus haute instance dirigeante élue de Syriza, six de ses douze membres donc, ont démissionné et sont partis. Plus de 50 % des membres du comité central ont également démissionné. Des intellectuels très connus tels que Christos Laskos, Andreas Karitzis et Yiannis Milios, des gens qui il y a quelques années étaient les intellectuels les plus en vue de la majorité Tsipras – qui défendaient sa ligne contre les critiques de la Plateforme de gauche – ces gens-là ont démissionné. Certains d’entre eux, comme Milios, se battent désormais à nos côtés, et d’autres, tels que Christos Laskos, cherchent à organiser d’autres formes d’opposition aux politiques pro-mémorandum de Syriza.

Après cette scission, ce qu’il restait du parti ne pouvait plus fonctionner comme la Syriza d’antan. Par exemple, après la vague de démissions, il a été impossible à Tsipras d’organiser l’élection d’un nouveau comité central. Il a alors a créé une nouvelle instance et l’a baptisée « Instance de responsabilité politique ». Cette instance n’existe pas dans les statuts de Syriza, c’est juste une liste de personnes choisie par lui pour prendre des décisions. Il n’y a aucune légalité dans tout ça.

En réalité, Syriza ne fonctionne actuellement que sous la direction du gouvernement. La seule autorité dirigeante est le cabinet du premier ministre. Et ce n’est pas un hasard si le groupe dirigeant autour de Tsipras a pu faire entrer dans Syriza, dès le lendemain de la scission, certains anciens sociaux-démocrates bien connus, des gens dont il avait plusieurs fois déjà proposé l’adhésion au parti, mais que ce dernier avait jusque là rejetés. Theodora Jakri est ainsi devenue ministre d’Etat à l’industrie. Avec Markos Bolaris, cela fait deux ex-ministres affiliés au PASOK sous le gouvernement du premier mémorandum et ayant soutenu la première vague d’austérité, qui viennent d’intégrer la direction de Syriza. C’est le signe d’un sacré tournant.

Pour vous donner une petite idée de l’atmosphère actuelle dans Syriza, la première alliance, en janvier, entre Syriza et le parti souverainiste de droite Anel, avait été présentée comme une obligation imposée à Tsipras afin d’obtenir suffisamment de députés pour former un gouvernement. Cette fois-ci, elle n’est pas présentée comme une obligation : c’est maintenant une solide amitié, et tous ceux qui ont vu s’embrasser Tsipras, Nikos Pappas et Panos Kammenos, le dirigeant d’Anel, ont bien senti la différence. Syriza n’est plus du tout le parti que nous avions connu.

 

Pourquoi Tsipras a-t-il appelé à de nouvelles élections, et qu’est-ce qui explique, après toutes ses trahisons, qu’il ait pu les gagner ?

Il faut être parfaitement clair : Tsipras dit avoir organisé un nouveau scrutin parce que la Plateforme de gauche, en votant « non » à ses propositions, l’avait privé de majorité parlementaire, mais ce n’est que partiellement vrai. Le gouvernement n’est pas tombé suite à ce vote – Nouvelle Démocratie et le PASOK avaient voté avec Tsipras et leurs voix compensaient largement la perte des autres votes. En vérité, la stabilité parlementaire était forte. Tsipras a organisé le scrutin parce qu’il savait qu’il ne pouvait pas renouveler son autorité au sein du parti. Il l’a fait pour expulser la Plateforme de gauche, mais aussi pour modifier le parti en profondeur. Il a dissout ce dernier pour regagner son gouvernement. Voilà la vraie raison, qui est bien connue et comprise par presque tout le monde, y compris par des gens aujourd’hui dans Syriza – dont des ministres du gouvernement.

Mais la question demeure : comment a-t-il pu gagner ? Une des réponses est évidente. L’explication la plus simple est que Tsipras, cette fois-ci, n’était plus en butte à l’opposition venant du régime, de la classe dirigeante grecque. Au contraire, le régime, à travers les médias de masse, a soutenu Tsipras contre sa gauche. Pas contre Nouvelle Démocratie, non, contre la gauche de son propre parti. La ligne des médias sur ce point était limpide. Et il est très intéressant de noter que cette manœuvre de Tsipras – en appeler à de nouvelles élections pour résoudre les problèmes internes de son parti – avait le soutien des institutions internationales. Merkel a publiquement déclaré que ces élections faisaient partie, non du problème, mais de la solution en Grèce. Tsipras a donc bénéficié du soutien des élites internationales et de la classe dirigeante grecque.

Ensuite, il y la question de la rapidité avec laquelle notre camp a dû se réorganiser et se préparer aux nouvelles élections. Nous avions vingt jours pour terminer une scission, organiser un nouveau parti et faire campagne dans la foulée. Le terrain nous était plus que défavorable. Mais ce n’est pas la véritable raison. Celle-ci se trouve plutôt dans le fait que septembre 2015 restait très proche de janvier 2015 [date de la première victoire électorale de Syriza, NdTr], ce qui signifie que même si les positions politiques d’une large frange de la population étaient en train d’évoluer, elles ne le faisaient pas assez vite pour que cela se traduise sur le plan électoral. Ainsi le succès de Tsipras s’explique-t-il partiellement parce qu’il a pu se présenter dans la continuité de la Syriza d’avant, celle de janvier, dans la continuité de l’affrontement avec Nouvelle Démocratie.

Mais il y a une autre explication qui pèse encore plus. Quand la majorité de la population – la majorité de la classe ouvrière et des forces populaires – a vu que Tsipras avait signé le mémorandum et que Syriza s’était effondrée, elle n’a plus eu d’espoir de renverser le mémorandum. Elle a voté avec cela en tête : qui allait imposer le nouveau mémorandum avec le moins de rigueur ? Le vrai dilemme pour la majorité de la population était : que valait-il mieux ? Voir Tsipras appliquer le mémorandum, ou voir Vangelis Meimarakis, le dirigeant de Nouvelle Démocratie, le faire ? Une large part de la population a voté avec cela en tête, et en craignant que le retour de Nouvelle Démocratie n’amène une vague de vengeance, un surcroît d’austérité et d’oppression, elle a choisi Tsipras. Nous avons entendu nombre de fois des gens nous dire, « nous sommes fiers de ce que vous avez fait, nous serons à vos côtés dans les luttes à venir, mais nous allons voter pour Syriza. »

La victoire de Tsipras aux dernières élections s’explique aussi pour une petite partie par les erreurs politiques concrètes de la Plateforme de gauche, principalement sur la ligne à adopter vis-à-vis de la nécessaire confrontation avec les élites européennes et la possibilité d’une sortie de la zone euro. Plutôt que de se centrer sur la sortie de l’austérité imposée par le troisième mémorandum, la campagne de l’Unité populaire s’est centrée sur la nécessité de sortir de la zone euro et de revenir à la drachme. Mais la question de la devise et de la rupture ou non de la Grèce avec l’euro est une question secondaire, elle n’est pas en elle-même une solution à la situation de crise dans laquelle la classe ouvrière grecque est plongée. La position de DEA sur cette question a été exprimée dans une déclaration que j’ai signée conjointement avec Olivier Besancenot du Nouveau parti anticapitaliste (France) et Miguel Urbán Crespo de Podemos (Espagne) :

« Selon nous, la priorité est de mettre un terme aux politiques d’austérité, que cela se fasse dans le cadre de l’euro si la situation le permet, ou en dehors de ce cadre si le peuple ne peut y obtenir satisfaction. Nous ne confondons pas la fin et les moyens – nous ne sommes pas partisans de telle ou telle devise – parce que la vraie question à laquelle nous faisons face est de savoir qui contrôle le système monétaire. Que le système de crédit s’appuie sur une monnaie nationale ou européenne ne change pas grand-chose tant que l’une ou l’autre reste contrôlée par les habituels spéculateurs financiers écrivant leurs propres règles bancaires. »

Si nous appelons à un Grexit de la zone euro en isolant cette question de la lutte contre l’austérité, alors nos adversaires pourront nous accuser de préparer une aggravation des conditions de vie du peuple grec. De plus, débattre de la capacité ou non d’un Grexit à renforcer l’économie grecque, sans rapport avec la question de qui dirige l’économie – la classe dirigeante grecque – nous mène dans un cul-de-sac. DEA défend, conformément à la déclaration publique citée précédemment, que la question du maintien ou non de la Grèce dans la zone euro doit être abordée sous l’angle de la lutte cotre l’austérité, et s’orienter clairement en direction du socialisme […]

 

Pourrais-tu nous éclairer sur le risque que les fascistes grecs, Aube Dorée, puissent se construire du fait de l’effondrement du soutien aux partis traditionnel et de la liquidation assez rapide du projet de Syriza ?

Nombre de camarades hors de Grèce pensent que la crise de la gauche grecque constitue une occasion en or pour le parti nazi grec, Aube Dorée. De manière générale, c’est correct, mais seulement de manière très générale. Ce qu’il s’est réellement passé est que la présence d’Unité Populaire a entravé de manière importante la capacité d’Aube Dorée à conquérir les déçus de Tsipras. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui étaient déçus ont voté pour Unité Populaire. La plupart se sont abstenus. Mais parce que la gauche était présente et constituait une opposition claire, il n’y a pas eu de mouvement vers l’extrême droite.

On a pu voir par exemple Nikolaos Michaloliakis et d’autres dirigeants d’Aube Dorée s’exprimer vertement contre Unité Populaire, parce qu’ils perdaient l’opportunité de percer aux élections. Il en résulta que si Aube Dorée a pu améliorer son score en pourcentage au cours de ces élections, elle a stagné en nombre de voix. Ceci peut s’expliquer également par le fait qu’Aube Dorée est entrée en crise politique et organisationnelle après les importantes mobilisations antiracistes et antifascistes qui ont fait suite à l’assassinat du rappeur Pavlos Fyssas. L’incapacité des nazis à croître de manière significative dans une telle période est due à tous les camarades ayant participé aux manifestations qui ont précédé les élections. Je dois souligner par exemple que la solidarité avec les réfugiés organisée par Syriza a influencé de manière très efficace l’opinion publique, et a même pu adoucir la posture des médias dominants jusqu’ici très hostiles aux immigrés.

Les problèmes politiques et organisationnels d’Aube Dorée sont des problèmes d’orientation – sont-ils en capacité de construire un courant dur, militant, agissant militairement dans les rues de nuit comme de jour, ou devraient-ils s’orienter vers l’organisation d’une présence électorale d’extrême droite au parlement ? Leur plus gros problème est organisationnel, et cela principalement du fait des mobilisations antifascistes. Ils n’arrivent plus à mobiliser les gens au niveau qu’ils pouvaient atteindre il y a deux ans. Ils ont tenté d’appeler à des meetings publics de masse, d’organiser des attaques contre les migrants. Dans les deux cas ils ont échoué. C’est une bonne nouvelle, mais cela ne veut pas dire que nous pouvons nous reposer sur nos lauriers. Nous devons continuer à les débusquer et viser à les achever à la première occasion.

 

En regardant vers l’avenir, quelles sont les perspectives pour la gauche en Grèce ?

Aujourd’hui Tsipras présente son discours de politique générale au parlement. Nous ne prévoyons pas de surprise, car nous savons déjà ce qu’il va dire. Terminées ses blagues d’avant les élections : le mémorandum qu’il va présenter sera particulièrement sévère. Tout le monde a compris qu’il est impossible d’adoucir les coupes prévues dans les salaires et les retraites, l’alourdissement des taxes sur la population, l’austérité écrasante qui est devant nous. De notre point de vue ceci va ouvrir une période de confrontation entre le gouvernement Syriza-Anel d’un côté, le mouvement ouvrier et la gauche anti-austérité de l’autre.

Personne n’est en mesure de prédire la rapidité avec laquelle nous arriverons à un cycle d’affrontement central comme nous en avons déjà connu en Grèce, avec d’importantes grèves générales, des occupations, d’énormes manifestations. Nous allons devoir faire face à la difficulté que représente ce nouveau gouvernement, qui parle au nom de la gauche, utilise le langage de Syriza, les drapeaux et les symboles que les gens associent à la résistance à l’austérité, et qui maintenant va la mettre en œuvre et tenter de l’imposer. Personne ne sait à quelle vitesse nous pourrons surmonter cette difficulté.

En ce moment même, dans les syndicats dirigés par Unité Populaire, des préparatifs sont en cours pour lancer une première grève générale fin octobre. Je crois qu’il s’agit là d’un record mondial de vitesse. Même si je ne suis pas sûr qu’un grand succès soit au rendez-vous, cela ouvre tout de même une nouvelle période. En même temps nous essayons d’organiser – dans les quartiers, les écoles, les hôpitaux – des comités de résistance à l’austérité. Nous faisons le même travail que toujours, nos méthodes n’ont pas changé.

Une autre nouveauté de la situation est à mon avis que, dès lors que le gouvernement Tsipras va commencer à imposer les conditions du mémorandum, il va envoyer le signal du regroupement des forces véritablement bourgeoises, et je veux dire par là celles de la droite comme de la social-démocratie. Nous ne savons pas à quelle vitesse cela se fera, pas plus que nous ne savons si cela inclura des pans de Syriza. La perspective d’un regroupement des forces social-démocrates de centre-gauche en Grèce dépendra dans une certaine mesure des choix de la direction Tsipras et d’une partie de Syriza. C’est une évidence pour les cadres sociaux-démocrates expérimentés qui se tiennent en embuscade, quand bien même ils ne sont pas membres du gouvernement ou du parlement.

Ma remarque finale concernera la situation de la gauche hors de Syriza. Les résultats électoraux d’Unité Populaire ne nous ont pas donné assez de voix pour entrer au parlement. Nous avons obtenu 2,86 % des voix, mais il nous en fallait 3 %. 7000 voix de plus et nous entrions au parlement. Mais nous avons tout de même rassemblé 155 000 voix. Dans ces circonstances, c’est trop peu, mais ce n’est pas rien. C’est une base pour démarrer la mobilisation. Plus que le vote, le fait saillant est qu’Unité Populaire est en train de rassembler un potentiel de plusieurs milliers de militants et d’activistes – qui sont déjà organisés.

En quittant Syriza, nous ne nous sommes pas perdus dans l’espace. Nous avons créé de nouvelles organisations locales et professionnelles. Bien sûr, en tant que nouvelle organisation nous allons devoir affronter de nombreuses difficultés politiques et organisationnelles, depuis les disputes sur la ligne politique au besoin de trouver des salles de réunion et des bureaux, en passant par la gestion de nos finances. Mais nous avons des directions politiques expérimentées dans de nombreux endroits, et de bons camarades qui savent lutter et s’organiser. Je pense que c’est la base de tout. Notre choix est de nous battre pour cette base – de lutter, de l’améliorer, d’en faire un centre de résistance, et dans le même temps d’élargir Unité Populaire. Nous cherchons à gagner des camarades – celles et ceux qui ont quitté Syriza sans encore avoir rejoint Unité Populaire, du fait de divergences et de désaccords anciens –, à les associer dans l’action et l’organisation collective.

A Antarsya nous disons, OK, nous avons échoué à former un front électoral uni, mais cette situation est déjà dépassée, nous sommes au-delà de cela désormais. Il serait purement sectaire de ne pas agir ensemble pour former un front uni contre l’austérité. Ce front uni devrait aussi inclure des membres du Parti communiste (je parle de membres du KKE, pas de sa direction. Il est impossible de dialoguer avec l’actuelle direction du Parti communiste). Voilà notre principale orientation.

Pour la renforcer, DEA a pris le parti ces deux dernières années de mettre en place le Red Network [Réseau rouge – NdTr], tout d’abord au sein de Syriza, et maintenant en dehors. Le Red Network est un réseau de militants et d’activistes qui s’accordent sur la même orientation politique sans nécessairement partager le même bagage idéologique. Nous autres à DEA revendiquons d’être trotskystes, par exemple, alors que le Red Network ne l’est pas. Il s’agit d’une organisation anticapitaliste, antifasciste qui se bat pour les droits sociaux et politiques, et qui est antisexiste et internationaliste. Cela décrit bien la radicalisation et la politisation en cours. Le Red Network se porte bien et ainsi nous poursuivrons dans une voie éprouvée : renforcer le réseau, se battre aux côtés d’Unité Populaire, pour Unité Populaire, pour la construction d’une alternative aux trahisons du 13 juillet.

Nous ne savons pas encore ce qui résultera de tout cela. C’est pourquoi je peux le dire franchement aux camarades du monde entier, la fin de l’histoire de Syriza n’a pas encore été écrite. Donc pas de conclusions hâtives, et n’écrivons pas l’histoire trop vite. Je pense que le chapitre final sera écrit dans la période qui s’ouvre. Il s’écrira dans la manière dont la classe ouvrière et l’ensemble de la gauche en Grèce [c’est-à-dire la gauche radicale, le PASOK n’étant pas considéré de gauche dans la tradition politique grecque – NdTr], y compris la partie qui a quitté Syriza, feront face aux tentatives de Tsipras et de son groupe dirigeant d’imposer une nouvelle vague d’austérité. Nous ne connaîtrons la fin de l’histoire qu’à la fin de l’histoire, pas avant. Nous traversons une période très difficile, mais l’histoire n’est pas finie.

Je dois aussi insister sur le fait qu’à mon avis personnel, la crise interne de Syriza n’est pas encore achevée. Il y a des camarades qui sont restés dans Syriza avec des illusions, dans l’espoir de trouver des biais pour la redresser. Je ne crois pas que ces gens soient pro-mémorandum, ou de fervents partisans de l’austérité. C’est pourquoi je pense qu’une nouvelle vague de sorties et de démissions est encore devant nous, et nous sommes prêts à accueillir tous ces camarades, les bras ouverts.

Propos recueillis par Ahmed Shawki

 

  • 1. Dans une autre partie de cette interview, l’auteur signale que « le Parti communiste de Grèce n’a cessé de dire aux travailleurs qu’il était impossible de modifier le rapport de forces dans l’immédiat. Comme on ne pouvait gagner, argumentait-il, que restait-il à faire ? Bien voter, c’est-à-dire voter pour le Parti communiste, et quand celui-ci se serait renforcé, alors on verrait. Voilà leur véritable ligne, et pour défendre cette position ils sont prêts à tout. Dans cette élection, par exemple, l’ennemi principal du Parti communiste était l’Unité Populaire. Ses attaques ont principalement porté, même au parlement, contre Unité Populaire et Panagiotis Lafazanis, et non contre Tsipras et son nouveau mémorandum. »