Publié le Samedi 7 mai 2016 à 13h32.

« La situation en Grèce par rapport à la circulation et aux conditions de vie des migrantEs et réfugiéEs devient intolérable »

Entretien. Élu municipal à Athènes de la coalition Antarsya, Petros Constantinou est coordonnateur national de Keerfa (Mouvements unis contre le racisme et la menace fasciste), mouvement grec antifasciste qui agit aussi en solidarité avec les migrantEs.

En quoi consiste le récent accord entre l’Union européenne, la Turquie et la Grèce ? Quelles conséquences pour les migrantEs et les réfugiéEs en Grèce ?

C’est un ensemble de mesures qui facilitent l’expulsion des réfugiéEs et le rejet d’une demande d’asile sous prétexte que la Turquie serait un « pays présumé sûr », et qui prévoient la détention de ceux dont les demandes d’asile sont refusées. L’Otan et Frontex étant déjà gardiens de la mer Égée, la situation en Grèce par rapport à la circulation et aux conditions de vie des migrantEs et réfugiéEs devient intolérable. Les réfugiéEs bloqués dans le territoire grec sont désormais emprisonnés.

L’État grec est en train de créer des ghettos nommés « centres d’hébergement ». Il ne s’agit que de centres de rétention, de camps gardés par la police, c’est-à-dire des prisons dans lesquelles les conditions de vie sont abominables. Par exemple, le centre de Katsikas en Épire est un campement gardé, plein de boue, dans lequel les réfugiéEs dorment entre les serpents... De tous les campements et centres de rétention viennent des plaintes contre les violences policières faites aux personnes solidaires, ainsi que contre le manque total de soins de santé et d’hygiène. Deux personnes sont mortes ces derniers jours, l’une à cause du manque de soins sanitaires dans le centre, et l’autre blessée par un camion de la police.

Suite à la confirmation de l’accord UE - Turquie par le Parlement grec (1er avril), ont eu lieu les premiers jours des dizaines d’expulsions de migrantEs et réfugiéEs, dont la plupart se trouve maintenant dans les centres de rétention en Turquie. La confirmation de l’accord menace aussi le mouvement de solidarité : il y a eu beaucoup d’arrestations et de violences contre les gens venus pour aider/visiter les réfugiéEs, et les chaînes de télévision veulent les discréditer.

Quelles sont les caractéristiques des mouvements antiracistes et anti­fascistes et de solidarité ?

Le mouvement de solidarité s’est développé dans les îles de la mer Égée et s’est étendu rapidement partout en Grèce. Des personnes solidaires soignent les réfugiéEs, cuisinent pour des centaines de personnes chaque jour, jouent avec les enfants, traduisent et diffusent les informations importantes, etc. Les habitantEs des villes se trouvant sur le chemin des réfugiéEs vers la Macédoine ouvrent leurs maisons. La liste des initiatives est sans fin...

Le mouvement antiraciste et anti­fasciste est aussi un mouvement énorme qui a une très longue histoire, qui se bat contre les néonazis d’Aube dorée et les attaques racistes de la police depuis des années. C’est ce mouvement qui a obligé la justice grecque à poursuivre Aube dorée en octobre 2013 avec des énormes mobilisations suite aux assassinats de Shehzad Luqman et de Pavlos Fyssas.

On demande l’ouverture de tous les édifices nécessaires pour accueillir, héberger et soigner les migrantEs, les réfugiéEs, et leurs enfants. Que les universités inscrivent les migrantEs étudiantEs et leur offrent l’hébergement dans les cités universitaires et les repas dans les restaurants universitaires. Que l’État et les municipalités embauchent le personnel nécessaire pour faire fonctionner ces structures.

L’ouverture des frontières pour touTEs à travers l’Europe étant la revendication principale, on demande enfin que l’État grec prévoie l’intégration dans la société grecque des migrantEs et réfugiéEs qui choisissent de rester ici. « Open the borders » devient « Open the borders and cities ».

Quelles sont les initiatives prises par Keerfa ?

Le 20 avril dernier, Keerfa a organisé un grand événement au port du Pirée, avec la participation de plusieurs syndicats, entre autres de Penen. C’est le syndicat des travailleurs du secteur naval, qui a participé à la grande manifestation à Alexandroupolis contre le mur d’Evros, et qui se bat contre les néonazis et la privatisation du port. Les syndicats et les réfugiéEs y ont pris la parole.

Avant cela, la situation était différente. Les fascistes avaient tenté de faire une descente raciste sur le port le week-end des 9-10 avril, mais ils ont été bloqués par un rassemblement de dizaines d’antifascistes. Le gouvernement a ensuite annoncé l’interdiction de tout rassemblement et manifestation dans le port, mais quelques jours plus tard, il a reculé.

Ce 26 avril, il y aura un événement similaire à Elliniko où la municipalité possède de nombreux bâtiments vides (entre autres l’ancien aéroport et les bâtiments des Jeux olympiques de 2004), mais le seul endroit où les réfugiéEs ont la permission de loger est un camp semi-fermé...

À part ces initiatives, Keerfa intervient aussi auprès des conseils municipaux de plusieurs municipalités, pour demander que les mairies fournissent une liste de bâtiments convenables comme habitation et qu’elles embauchent du personnel. Enfin, nous soutenons chaque manifestation solidaire ou antiraciste, locale ou centrale, en tentant aussi d’y faire participer des migrantEs et réfugiéEs (traductions, organisation de leur mobilisation avec l’aide des camarades bilingues et/ou migrantEs/réfugiéEs eux-mêmes, etc.).

Comment peut-on faire la connexion entre les luttes contre l’austérité et celles pour les droits des migrantEs et des réfugiéEs ?

Il s’agit d’un processus qui va dans deux directions... Pour commencer, les revendications des migrantEs et réfugiéEs doivent devenir les revendications de l’ensemble du mouvement ouvrier. Jusqu’à aujourd’hui, la plupart du travail exigé pour l’accueil des migrantEs et réfugiéEs est effectué par des bénévoles et des personnes solidaires. Nous défendons que cela soit des travailleurs qui le fassent, avec la création d’emplois. Les ouvrierEs, les chômeurEs, les étudiantEs et les retraitéEs, touTEs doivent profiter de services sociaux mieux financés et étendus. Un exemple : le syndicat de l’hôpital de Gennimatas a demandé et gagné de pouvoir travailler au port du Pirée pour les réfugiéEs sur horaire de travail. On veut que cela se généralise, avec l’embauche de milliers de professionnels de la santé dont nous avons tous besoin. Et la prochaine étape sera une grève générale de 48 heures contre la nouvelle loi concernant la sécurité sociale et le système des retraites.

De plus, on ne peut pas se battre contre le racisme et la rhétorique islamophobe sans se battre contre l’UE et ses politiques en général. C’est donc aussi le mouvement antiraciste qui doit adopter les revendications du mouvement ouvrier. L’UE est un des agents principaux des interventions impérialistes au Moyen Orient, l’Europe forteresse est responsable des milliers de morts en mer et sur la route des migrantEs et réfugiéEs. Et les gouvernements d’Europe sont la source la plus importante d’islamophobie.

Par conséquent, la connexion des revendications et la convergence des luttes est un enjeu vital. On intervient dans de nombreux lieux de travail, mettant la question de l’habitat, des soins de santé, de l’éducation des migrantEs, réfugiéEs et de leurs enfants, à côté de la question des licenciements. On intervient dans toutes les mobilisations antiracistes et antifascistes pour poser aussi la question de l’Union européenne.

Est-ce que les fascistes sont en train de reprendre la rue ?

Les fascistes se sont énormément renforcés avec la confirmation du nouvel accord, le ciblage des personnes solidaires, l’emprisonnement des migrantEs et réfugiéEs, la rhétorique islamophobe... Il y a effectivement eu des tentatives de leur part de réapparaître, sous plusieurs formes (pas seulement en tant que Aube dorée) : au port du Pirée, au port de Chios et autour de quelques campements. Ils ont attaqué les migrantEs, les antifascistes et les journalistes, tout cela couvert par la police.

Le procès d'Aube dorée est toujours en cours. La lutte ne se mènera pas seulement dans le tribunal, mais aussi dehors : il faut que tout lieu de travail, tout espace social, tout syndicat, toute organisation politique de gauche, toute école universitaire etc. organise une assemblée sur le sujet et demande la condamnation des fascistes.

La victoire du mouvement en soutien aux droits des migrantEs et réfugiéEs ne laisserait aucun espace aux ­fascistes pour réapparaître.

Propos recueillis par Alain Pojolat