Publié le Lundi 7 octobre 2013 à 14h53.

Le Brésil après les mobilisations de juin

Les grandes manifestations de juin 2013 ont été les plus massives dans le pays depuis 30 ans. Et elles continuent d’influencer de façon décisive la situation politique du pays. Le peuple a constaté que descendre dans la rue ou occuper des bâtiments publics peut mener à des victoires. Les différents gouvernements (fédéral, des Etats et des municipalités) restent sous pression et sont à la défensive.

Des manifestations contre les mauvaises conditions de transport (comme des services publics en général) et la corruption se poursuivent dans les grandes villes. Les occupations d’assemblées législatives et de conseils municipaux sont devenues monnaie courante. Le mouvement qui dénonce la violence d’Etat contre les pauvres et ceux qui protestent reste puissant, et la revendication de démilitarisation de la police militaire a gagné en force.

D’autres questions mobilisent la population. Par exemple, à Fortaleza (Etat de Ceará), le parc de Cocó, zone de protection environnementale, a été occupé pour empêcher des travaux qui la détruiraient afin de favoriser la spéculation immobilière. Le 8 août, le gouvernement de l’Etat et la mairie (du PSB, Parti socialiste brésilien, soutenu par le parti des travailleurs - PT) ont instauré un véritable état ​​d’exception pour mettre fin à cette occupation. Les manifestants se sont alors affrontés à la police anti-émeute, tandis que la garde municipale envoyait ses grenades lacrymogènes au milieu de la circulation (les conducteurs étaient terrifiés). Une victoire provisoire  a été remportée, la justice ordonnant l’arrêt provisoire des travaux. La mobilisation se poursuit.

Un nouveau climat politique et social

La multiplication des manifestations s’accompagne de celle des réunions de différents collectifs qui discutent politique, définissent leurs objectifs et préparent leurs activités. Le niveau de mobilisation, surtout dans la jeunesse, a augmenté. Dans la nouvelle situation ouverte en juin, la répression des manifestations est devenue plus difficile ; elle continue mais est maintenant très impopulaire et ne peut plus se faire avec le niveau de violence qui était coutumier.

L’usure de tous les gouvernements et institutions, observée depuis le mois de juin, continue. Le soutien populaire au gouvernement fédéral, qui avait très fortement baissé, semble s’être légèrement redressé – sans que les enquêtes soient très fiables. Le climat social et politique qui prévalait auparavant, quand la plupart des gens croyaient que le pays avait « trouvé son chemin », a complètement changé. Ce qui domine aujourd’hui est la critique des gouvernements. Dans ce cadre, les contradictions entre le gouvernement fédéral et sa base parlementaire se sont accrues.

Les mobilisations de juin ont également modifié la situation des organisations traditionnelles du mouvement social brésilien, qui dans leur très grande majorité soutiennent les gouvernements du PT : les centrales syndicales, l’UNE (Union nationale des étudiants) et même le MST (Mouvement des travailleurs sans terre). Ces organisations, après avoir été quasiment absentes des grandes manifestations, ont tenté de montrer qu’elles peuvent également mobiliser. Elles ont convoqué une « journée de lutte et de grèves » le 11 Juillet, dont les résultats ont été médiocres, et annoncent aujourd’hui une mobilisation de même type pour le 30 août.

Tout cela témoigne d’une modification significative dans les rapports de forces entre les classes. Bien sûr, la bourgeoisie domine toujours, mais elle ne peut le faire comme avant. Le peuple, bien que dominé, a commencé à revendiquer avec force l’élargissement de ses droits et l’amélioration de ses conditions de vie.

Mais un élément clé de ces dernières années n’a pas changé : il n’y a pas d’alternative crédible de gouvernement à la gauche du PT, qui puisse donner une expression politique aux mobilisations. Les conditions sont plus favorables pour la construction d’une telle alternative, mais ce ne sera pas facile. Les effets de l’adhésion du PT à l’ordre bourgeois ont été profonds.

Certaines des caractéristiques du mouvement de juin contribuent aussi à cette difficulté. Une nouvelle génération politique est née et, comme cela se produit dans de nombreux pays, elle a une grande méfiance à l’égard non seulement des partis institutionnels, mais aussi des organisations traditionnelles du mouvement social en général, par exemple les syndicats. Le MST conserve davantage de crédit, mais sa direction ayant choisi de défendre le gouvernement fédéral, en agissant en commun avec des organisations discréditées telles que les centrales syndicales, ou avec des partis considérés comme liés à l’ennemi, tels que le PT ou le PC do B (Parti communiste du Brésil, d’origine maoïste), il ne peut pas contribuer à la construction d’une alternative allant dans le sens des mobilisations.

Par ailleurs, les mouvements organisés dans lesquels la nouvelle génération se reconnaît – comme le Mouvement pour le transport gratuit (MPL) de São Paulo et d’autres capitales – se concentrent sur un sujet précis (dans ce cas, la question du transport urbain) et ne proposent pas un projet politique global.

Les problèmes et défis du PSOL

Malgré la méfiance qui existe envers les partis politiques, tout nous fait croire que la construction d’une alternative de  gouvernement à gauche passera par le PSOL (Parti socialisme et liberté), et pas seulement parce que  l’on n’a pas encore inventé le moyen de dispenser les partis politiques d’une telle tâche. Le PSOL est le parti le plus identifié avec les principales revendications des manifestations, et il entretient des relations étroites avec plusieurs des mouvements qui les ont impulsées – comme, dans le cas de São Paulo, le MPL et le MTST (Mouvement des travailleurs sans toit). Des collectifs de jeunes où des militants du PSOL sont actifs ont été des participants reconnus des mobilisations. En outre, bien qu’il soit encore loin de constituer une alternative électorale au niveau national, le PSOL a montré – dans les élections de 2012 – qu’il a déjà une crédibilité électorale importante dans plusieurs municipalités.

Le PSOL connaît toutefois de gros problèmes, qui peuvent menacer son avenir. C’est un parti aujourd’hui profondément divisé entre des projets antagoniques. Bien qu’il ait été créé comme une alternative à la gauche du PT, il n’a jamais tiré un bilan approfondi des raisons pour lequelles ce parti a renoncé à ses objectifs initiaux et s’est adapté à l’ordre bourgeois. Une partie de ses élus et de ses militants, qui a subi l’influence décisive des années passées dans le PT, n’a pas aujourd’hui une vision programmatique fondamentalement différente de celle du champ politique constitué par le PT et ses alliés.

Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais ils se sont manifestés de façon explosive lors des élections de 2012. Une courte majorité de la direction nationale du PSOL a alors approuvé une tactique électorale qui incluait une politique d’alliances allant jusqu’à des partis de droite, dès le premier tour – soit des alliances plus « larges » que celles formées par le PT lui-même jusqu’en 2002, même quand son processus d’adaptation à l’ordre établi était déjà très avancé. Pire encore, dans deux capitales régionales où le PSOL pouvait l’emporter, des alliances de second tour ont été passées – contre la ligne officielle adoptée dans la direction nationale – avec dans un cas (Macapa, capitale de l’Etat peu peuplé d’Amapá) les partis les plus à droite du pays, et dans l’autre (Belém, capitale de l’Etat du Pará) directement le gouvernement fédéral. Le candidat du PSOL à Belém a centré sa campagne sur son « amitié » avec Lula et Dilma Rousseff (qui ont fait campagne pour lui). Il a été battu, mais le candidat du PSOL l’a emporté à Macapa – et pratique aujourd’hui une gestion municipale dans laquelle la plupart des militants du parti ne se reconnaissent pas.

Début 2013, une partie du secteur le plus droitier du PSOL l’a quitté pour rejoindre le projet d’un parti « ni de gauche ni de droite » dirigé par l’ancienne ministre et ancienne candidate à la présidentielle, Marina Silva. C’est un parti qui juridiquement est encore en processus de constitution et pourrait ne pas être enregistré à temps pour participer aux élections d’octobre 2014. Mais il a de bonnes perspectives électorales – Marina Silva est en effet la candidate à la présidence qui s’est le plus renforcée avec les mobilisations de juin. Elle n’apparaît pas comme étant liée au système politique et son parti se présente comme un « non-parti » ; ainsi, son nom est « Réseau soutenabilité » et ses membres se réfèrent à lui comme « le Réseau ».

Le départ du secteur qui est passé au « Réseau » (en février) a fait que le bloc formé à la gauche du PSOL se retrouve avec une nette majorité des militants du parti. Par ailleurs, les secteurs de gauche se sont considérablement renforcés avec les mobilisations de juin, et ils continuent de le faire dans la situation actuelle. Cela ne leur donne cependant pas l’assurance de gagner le congrès que le PSOL va tenir cette année. Le bloc le plus à droite conserve une faible majorité au sein de la direction nationale, qu’il a utilisée pour promouvoir des affiliations en masse dans certaines régions (notamment dans l’Amapá, dont il dirige aujourd’hui la capitale), et cela lui apportera un grand nombre de délégués au congrès. En outre, les règles de fonctionnement du parti font que seuls pourront voter ceux qui se sont affiliés jusqu’au 30 avril – donc avant les manifestations de juin et le changement dans la situation. La phase finale (nationale) du congrès se tiendra du 29 novembre au 1er décembre.

Le plus probable reste dans tous les cas que le bloc de gauche remporte le congrès. Si cela se confirme, un grand pas aura été fait pour permettre au PSOL de jouer un rôle central dans la construction d’une alternative de gauche aux gouvernements du PT.

 

João Machado