Entretien avec Kamel Brahmi, secrétaire général de l’union départementale CGT de Seine-Saint-Denis qui participe à l’organisation du Contre-Salon du Bourget les 20, 21 et 22 juin.
Peux-tu revenir sur le cadre unitaire qui organise ces 3 jours de mobilisation contre le Salon du Bourget ?
La construction du contre-salon s’est faite grâce à l’impulsion de collectifs et d’une coalition (Guerre à la guerre) engagés contre le militarisme, les guerres coloniales et impériales. Ce sont des militantEs qui par ailleurs articulent les luttes contre l’extrême droite, le patriarcat, l’exploitation capitaliste, le saccage de la planète, comme autant de ferments des guerres actuelles et à venir.
Des camarades de la CGT sont par ailleurs actifs dans ces mouvements (Stop Arming Israel notamment) et ont fait le lien avec l’UD CGT 93. Et nous avons construit un appel particulier des organisations syndicales de la Seine Saint-Denis, pour impulser la mise en mouvement des travailleuses et des travailleurs autour de cette exigence de paix et de bataille contre l’économie de guerre, au cœur des enjeux.
En quoi cette année, les enjeux d’une mobilisation large sont-ils d’une actualité brûlante ?
Un syndicaliste te dira toujours que c’est le moment de se mobiliser. Mais c’est effectivement « chaud » et inquiétant sur le front politique et social actuellement. Le monde du travail doit impérativement se faire entendre et pour cela il faut construire les luttes avec la volonté de faire converger pour alimenter et soulever LA lutte.
Le capital veut faire main basse sur nos retraites, un pilier de nos conquis sociaux ; les budgets militaires explosent, et « l’argent magique » pour financer cette course à l’armement c’est celui des salariéEs, de nos services publics, nos droits sociaux, nos salaires.
L’extrême droite a mis ses idées au pouvoir, et attend que les libéraux lui donnent les clefs de l’Élysée. Au niveau international, le fascisme nous donne un aperçu du danger qu’il représente : tronçonneuse pour les plus précaires, chasse aux migrantEs, aux homosexuelLEs, massacre des PalestinienNEs. Le climat pousse à la riposte.
Quels sont les enjeux et la place que les organisations syndicales, et en particulier l’UD 93 doivent prendre dans la construction de cette mobilisation ?
Capitalisme libertarien, racismes et guerres sont des armes des puissants pour maintenir leurs dominations. La responsabilité des organisations syndicales est donc toute particulière. Nous sommes peut-être les dernières organisations à maintenir des liens conséquents avec la pluralité et la diversité de la société. Ce qui fait des organisations syndicales combatives un outil de terrain précieux pour mobiliser les masses. Un salon de l’armement, avec des engins qui coûtent des millions d’euros, sur un territoire populaire, qui accueille de nombreuses migrations liées aux conflits dans le monde (Asie, Afrique sub-saharienne, corne de l’Afrique), c’est presque une provocation.
Les dernières initiatives des camarades dockers de la CGT qui ont refusé d’embarquer des armes à destination de l’armée génocidaire d’Israël montrent qu’il est possible d’agir concrètement en refusant d’être les rouages de cette entreprise de guerre, et de faire respecter la justice et le droit. Nous souhaitons amplifier la prise en compte sur les lieux de travail de ces sujets et organiser la résistance à la complicité au génocide. Il s’agit de pointer tous les secteurs, pas uniquement l’industrie et le transport. Dans les banques, les services… le moindre lien avec l’économie de guerre de l’État d’Israël doit être dénoncé et entravé.
La dernière réunion nationale des dirigeantEs de la CGT a porté cette exigence. Cela fait aussi écho à une des revendications majeures que porte la CGT. Les salariéEs doivent avoir de réels pouvoirs sur l’organisation de leur travail et sur le contenu et la finalité de leur production. Dans notre département, je n’ai rencontré aucunE salariéE qui souhaite participer au génocide à Gaza ou à l’écocide. Ce contre-salon du Bourget aura aussi l’ambition de mettre toutes ces questions sur la table et de travailler les liens entre organisations, pour bâtir une dynamique de masse.
Quels seront les temps forts de ces 3 jours et quelles perspectives peuvent-ils ouvrir ?
La manifestation de samedi 21 juin sera un moment important. Une centaine d’organisations appellent à la manif. Cela sera l’occasion de donner à voir l’opposition populaire à leur monde sous le mot d’ordre : « Vos guerres, vos profits, nos morts : halte au génocide à Gaza ! ». Une manif qui part du cœur de la Seine-Saint-Denis, territoire le plus jeune et le plus pauvre de l’hexagone, pour aller vers un showroom qui pèse des milliards, alors que souvent la guerre est une passion de la bourgeoise grisonnante pour le malheur des jeunes prolétaires, c’est un sacré symbole !
Un débat prévu dimanche 22 juin avec des syndicalistes, de la CGT et Solidaires, sur les manières d’agir dans l’entreprise, autant pour mobiliser les salariéEs que pour travailler sur les transformations civiles de technologies militaires comme le porte la CGT Thales avec l’imagerie médicale. Ce sera aussi, je pense, un temps fort. On doit dépasser cette opposition instrumentalisée par les capitalistes, entre économies de paix et emploi dans l’industrie militaire. Porter des projets alternatifs est un levier pour gagner l’adhésion large des travailleuses et travailleurs. Partir du monde du travail, s’appuyer sur les collectifs militants, pour interpeller, conscientiser, s’engager, afin de soulever un mouvement de masse. On souhaite tracer cette perspective, et chaque geste, chaque action peut compter.
Propos recueillis par Cathy Billard