Publié le Mardi 13 février 2018 à 09h54.

L’Empire américain et le Moyen-Orient à l’ère de Trump

Entretien de Alan Maass avec Gilbert Achcar1

Alan Maass : Les États-Unis se sont concentrés sur la défaite de l’État islamique en Irak et en Syrie (EI), qui semble avoir été largement obtenue suite aux offensives pour le chasser de ses principaux bastions dans les deux pays. Qu’arrive-t-il à l’État islamique (EI) maintenant ?

 

Gilbert Achcar : L’EI a manifestement subi une grave défaite. Ils pensaient qu’ils avaient construit un État, un califat qui durerait longtemps sur un très vaste territoire en Syrie et en Irak, et ils ont fondamentalement perdu tout cela. Leur « califat » a duré environ trois ans avant de se défaire. On pourrait dire que c’était déjà un exploit pour l’EI de garder un si grand territoire pendant si longtemps contre pratiquement le monde entier. Parce que c’est le seul groupe contre lequel il y a eu une sorte d’unanimité parmi toutes les autres forces impliquées dans la région.

L’EI a subi une lourde défaite, mais cela ne veut pas dire qu’il va disparaître. Beaucoup de ses combattants ont réussi à se cacher en Irak et en Syrie, et ils ont des branches dans plusieurs autres pays. Et comme nous le voyons dans le cas d’al-Qaïda, le terrorisme peut continuer sur le long terme à travers des réseaux clandestins. Je suis sûr que nous verrons des manifestations de ce terrorisme dans la période à venir, parce qu’il n’y a pas de véritable moyen de se débarrasser d’un tel fléau sans changer les conditions qui le produisent.

  

Aujourd’hui, ces conditions sont assez compliquées. Elles comprennent, tout d’abord, le terrorisme d’État, à commencer par celui d’Israël et celui perpétré par la domination impérialiste occidentale dans la région. Une grande partie de ce qui s’est passé dans le monde depuis 1990 trouve son origine dans les guerres menées par les États-Unis contre l’Irak en 1991 et 2003, et l’occupation de l’Irak qui s’en est suivie. Mais il y a aussi beaucoup de régimes despotiques dans la région qui pratiquent le terrorisme d’État et attisent la même haine, créant ainsi un terreau pour des groupes comme l’EI. Dans l’ensemble, nous assistons à ce que j’ai appelé dans un livre que j’ai écrit après le 11 septembre le « choc des barbaries » (1). La barbarie du fort crée les conditions d’une contre-barbarie des faibles. C’est ce que nous avons vu – et nous le verrons encore plus, je le crains – avec la perpétuation de la barbarie des forts, celle des États-Unis d’Amérique, la plus meurtrière de toutes, ou de la Russie, ou des régimes despotiques locaux tels que la tyrannie d’Assad en Syrie, le plus barbare des gouvernements régionaux, ou la dictature de Sissi en Égypte, pour n’en nommer que deux.

 

Alan Maass : L’autre face de la question découlant de la conquête des bastions de l’EI en Irak et en Syrie est la configuration « régionale » dans laquelle s’inscrit l’impérialisme américain. Quelle est la position des États-Unis par rapport aux puissances régionales au Moyen-Orient et à ses rivaux impérialistes internationaux ?

 

Gilbert Achcar : Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont au plus bas de leur influence dans la région depuis 1990. C’est-à-dire au moment où les États-Unis sont intervenus, déployant des forces massives dans la région dans la période de préparation de la première guerre contre l’Irak. Alors ils avaient atteint un sommet dans l’histoire de leur hégémonie régionale. Cela s’est produit à une époque où l’Union soviétique était dans sa phase de crise. Washington a donc pris le contrôle complet de la situation au Moyen-Orient. Lorsque vous mesurez la situation actuelle par rapport à ce pic, vous mesurez la chute des États-Unis.

L’illustration la plus claire ce furent les soulèvements de 2011. C’est l’année où les États-Unis durent se retirer d’Irak sans atteindre aucun des objectifs de l’occupation, laissant un pays qui était tombé sous le contrôle de l’ennemi régional juré de Washington, l’Iran. Téhéran a maintenant une influence beaucoup plus décisive sur le gouvernement irakien que Washington. 2011 est également l’année où les principaux alliés de Washington ont fait face à des soulèvements de masse. Il y eut Hosni Moubarak en Égypte, puis le dictateur tunisien Ben Ali. En Libye, Mouammar Kadhafi, qui s’était placé au côté de Washington en 2003, a pris leur suite. Et la rébellion a éclaté à Bahreïn, effrayant toutes les monarchies pétrolières du Golfe.

L’intervention militaire en Libye dans la foulée du soulèvement contre Kadhafi a été l’occasion de la fameuse formule d’Obama, « diriger en arrière-plan », reflétant le fait que les États-Unis avaient un rôle plus discret dans cette intervention que leurs alliés européens de l’OTAN. Mais cette intervention a tourné au fiasco. La tentative de contrôler l’insurrection libyenne et de l’orienter vers une conclusion qui préserverait l’État libyen a échoué lamentablement et l’État libyen s’est complètement effondré. La Libye est ainsi devenue le seul pays arabe où la révolution avait réussi à renverser complètement le régime au pouvoir – sauf qu’il n’y avait pas d’alternative présente, et encore moins de caractère progressiste. Dès lors, le chaos s’est logiquement imposé.

La « solution yéménite » – c’est-à-dire un compromis entre le groupe dirigeant de ce pays et l’opposition concoctée par les monarchies pétrolières du Golfe avec le soutien des États-Unis, fortement loué par Obama et brandi comme le modèle à appliquer en Syrie – s’est tragiquement effondrée après moins de trois ans.

Les États-Unis ont donc accumulé toute une série de revers dans la région depuis l’invasion de l’Irak. On se souviendra de la guerre en Irak dans l’histoire de l’empire américain comme une erreur majeure – une occupation destructrice entreprise par l’administration Bush, contre les conseils d’amis proches de la famille Bush, qui savaient à quel genre de problèmes les États-Unis s’affronteraient.

En conséquence, Washington se trouve à un étiage très bas en comparaison avec sa situation il y a à peine quelques décennies. En 2014, il a saisi l’opportunité de l’expansion d’EI en Irak pour orchestrer un retour limité. Une coalition a été organisée pour lancer une campagne de bombardements contre l’EI, et rétablir une présence en Irak et en Syrie. La principale intervention de Washington sur le terrain en Syrie s’est opérée au côté des forces kurdes. C’est en soi un paradoxe, car ces forces sont issues d’une tradition de gauche radicale – pourtant elles étaient le principal allié des États-Unis dans la lutte contre l’EI en Syrie. Donald Trump a considéré cela comme « ridicule », déclarant qu’il voulait l’arrêter.

Encore une fois, cela démontre la faiblesse générale de Washington, alors que l’Iran étend son pouvoir, son influence et son intervention directe dans la région. Et la Russie, bien sûr, apparaît comme un grand gagnant dans toute cette situation, de la Syrie à la Libye.

Moscou a commencé à intervenir directement en Syrie avec ses forces aériennes en 2015. À l’époque, l’administration Obama a salué l’intervention de la Russie sous prétexte que cette dernière participerait à la guerre contre l’EI. Mais tout le monde savait que l’objectif principal de Moscou consistait à viser l’opposition syrienne au régime d’Assad, et non l’État islamique.

Pour l’essentiel, Washington a donné carte blanche à la Russie afin d’aider le régime syrien à écraser son opposition. Après l’élection de Trump, mais avant qu’il devienne président, la Russie a commencé à se préparer au rôle de vecteur d’une solution en Syrie, adoptant soudain la fonction d’arbitre entre le régime et l’opposition, avec à la fois l’Iran et la Turquie.

Un autre problème surgit ici. À l’automne 2016, la Turquie, irritée par le soutien de Washington aux forces kurdes en Syrie, a passé une alliance avec la Russie, portant ainsi un autre coup dur à l’influence américaine dans la région.

Aujourd’hui, la Russie semble être le pays qui gagne du terrain dans toute la région, tandis que les États-Unis en perdent. Moscou apparaît aujourd’hui comme le pilier le plus efficace de l’ordre répressif régional. Après le rôle très brutal qu’elle a joué en Syrie, Sissi lui a accordé des installations aériennes en Égypte, afin de soutenir son intervention en Libye au côté des Émirats arabes unis, en soutien à l’homme fort local, Khalifa Haftar. Toutes les monarchies pétrolières, y compris les Saoudiens, font la cour à Moscou et achètent des armes russes.

Donald Trump ne va certainement pas inverser cette tendance au déclin des États-Unis dans la région. Au contraire, il est la cause d’une nouvelle détérioration rapide de l’influence des États-Unis au Moyen-Orient.

 

Alan Maass : Trump a fait l’annonce que les États-Unis reconnaîtraient Jérusalem comme la capitale d’Israël. Quel impact cela aura-t-il ? 

 

Gilbert Achcar : C’est une provocation complètement gratuite que seul un homme irrationnel comme Trump pouvait faire – irrationnel du point de vue des intérêts fondamentaux de l’impérialisme américain. Cela ne sert certainement pas les intérêts des États-Unis de jouer à un tel jeu. Trump le fait sans raison apparente, mais pour répondre à l’aile la plus réactionnaire de ses partisans et renforcer son narcissisme morbide d’avoir « tenu ses promesses électorales » là où ses prédécesseurs ne l’ont pas fait.

Il l’a fait sans rien offrir pour essayer d’apaiser les Palestiniens. Il n’a rien obtenu du gouvernement Netanyahou en échange d’un tel geste. Cela n’a tout simplement aucun sens du point de vue de la politique américaine au Moyen-Orient.

Cela coûtera cher à Washington, à un moment où son image, à cause de Trump, est déjà terriblement négative dans le monde arabe, dans le monde musulman et dans le « Sud » dans son ensemble. L’amélioration limitée de l’image obtenue sous Obama a été complètement effacée et remplacée par l’image la plus horrible que les États-Unis aient jamais eue dans le monde. Le résultat ne peut être que plus de haine contre les États-Unis, engendrant plus de terrorisme – l’arme des faibles. Et une fois de plus, la population américaine supportera le prix de la rapacité de ses dirigeants, tout comme elle l’a fait avec le 11 septembre 2001, conséquence directe de la politique américaine au Moyen-Orient.

 

Alan Maass : Peux-tu nous parler des développements en Arabie saoudite et des manœuvres du prince héritier Mohammed ben Salman ?

 

Gilbert Achcar : Ce qui se passe dans le royaume saoudien est, avant tout, une affaire nationale : c’est une lutte pour le pouvoir. Ce qui s’est passé est une sorte de « révolution de palais », mais relativement lente au sens où elle a été faite par étapes, jusqu’à récemment l’arrestation spectaculaire de plusieurs magnats parmi les émirs et d’autres membres de l’aristocratie du pays.

Nous assistons à une tentative de Mohammed ben Salman (souvent appelé par ses initiales MBS) pour transformer le royaume en quelque chose qui se rapproche davantage du modèle traditionnel des monarchies, où n’existe qu’une petite famille régnante. Or, dans le royaume saoudien, il existe une famille élargie composée des fils d’Abdel Aziz Ibn Saoud, un roi qui en avait un très grand nombre – 45 fils parmi près de 100 enfants – à cause du nombre d’épouses : plus de 20 ! MBS tente de mettre fin à cette tradition de domination par la famille saoudienne élargie et de concentrer le pouvoir entre ses propres mains, inaugurant une nouvelle ligne dynastique. Il le fait depuis le poste de prince héritier, tant que son père est le roi, et son père soutenant tout ce qu’il fait, il a carte blanche.

C’est un jeune homme ambitieux qui a été nommé ministre de la Défense en janvier 2015 après que son père Salman est devenu roi, alors qu’il n’avait pas encore 30 ans. La première chose qu’il a faite en tant que ministre de la Défense a été de lancer la guerre contre le Yémen – une campagne de bombardement dévastatrice et meurtrière menée par les Saoudiens et leurs alliés. Il a échoué en ce sens que l’espoir d’un règlement rapide par les Saoudiens et la coalition se révéla vite complètement faux.

Comme on peut le voir au travers des événements récents – en particulier le meurtre (4 décembre) de l’ancien président Ali Abdallah Saleh après qu’il a changé de camp une fois de plus et annoncé une alliance renouvelée avec les Saoudiens – ils sont très loin d’obtenir la victoire. Ils ont seulement réussi à provoquer ce qui est déjà la pire tragédie humanitaire de notre temps, avec près de 7 millions de personnes menacées de mort par la famine et près d’un million par le choléra.

MBS a alors reporté son attention sur des affaires plus internes. C’est à ce moment que le précédent prince héritier, qui avait été désigné selon la vieille tradition, a été simplement écarté de cette position. Et MBS a pris sa place. Ce fut un moment clé dans la « révolution de palais », la première rupture majeure avec la tradition. Depuis lors, MBS a consolidé son propre pouvoir en éliminant les rivaux potentiels. Toute personne qui pourrait lui barrer la route est réprimée, arrêtée et harcelée sous divers prétextes, parmi lesquels la corruption. Bien sûr, MBS a eu recours à ce prétexte parce que le thème est populaire, et que le nombre de corrompus dans l’État saoudien est immense. Mais cela n’empêche pas qu’il ne s’agit que d’un prétexte. MBS est lui-même très corrompu – c’est un jeune homme qui peut utiliser n’importe quelle somme d’argent comme il veut, tout en imposant l’austérité aux sujets de son royaume. Il l’a prouvé l’année dernière quand, voyant un yacht appartenant à un magnat russe, il l’a acheté pour un demi-milliard d’euros ! Cela vous donne une idée plus exacte de qui nous parlons.

 

Alan Maass : Quelles sont les répercussions de cette lutte pour le pouvoir dans la région ? Par exemple, le régime saoudien semble avoir tenté d’intervenir au Liban en demandant la démission de son principal allié local, le Premier ministre Saad Hariri. Tous ces mouvements sont liés à sa rivalité de longue date avec l’Iran, n’est-ce pas ?

 

Gilbert Achcar : Le royaume des Saoud est de plus en plus inquiet de l’expansionnisme iranien, d’abord en Irak, puis en Syrie et jusqu’au Liban. Il y a maintenant un couloir de domination iranienne allant de Téhéran à Beyrouth, qui comprend à la fois une présence militaire iranienne directe et indirecte. Les Saoudiens sont extrêmement inquiets à ce sujet parce qu’ils considèrent l’Iran comme leur ennemi juré. Ils le sont depuis la révolution islamique en Iran, qui a renversé la monarchie en 1979 – un scénario cauchemardesque pour les Saoudiens qui ont été confrontés, la même année, à un soulèvement ultra-fondamentaliste chez eux, à La Mecque.

 

Lorsque Salman est devenu roi en 2015, il a d’abord orienté le royaume saoudien vers une politique d’unification des forces sunnites dans la région. Il a suivi cette politique pendant quelques années, y compris en rétablissant certaines relations avec les Frères musulmans. Cela a continué jusqu’à ce que Donald Trump devienne président. Trump, conseillé par le sinistre Stephen Bannon, a poussé à un renversement de cette politique et à une escalade contre l’Iran d’une part et contre les Frères musulmans d’autre part.

Cela a conduit à la fin du premier semestre de cette année à la rupture de l’Arabie saoudite avec le Qatar, qui est le principal sponsor des Frères musulmans. Jusque-là, le Qatar était impliqué dans les bombardements de la coalition au Yémen. Mais il a été expulsé de cette coalition à cause de ce problème. Cela fut une mauvaise manœuvre, et a eu un effet inverse à celui escompté.

L’escalade contre l’Iran est ce qui a conduit à l’épisode récent avec le Liban. Hariri est entièrement dépendant des Saoudiens. La famille Hariri a fait sa fortune dans le royaume saoudien, grâce à ses liens avec les membres de la famille régnante, ce qui est une condition préalable à toute activité lucrative dans le royaume.

Le message qui a été envoyé par les Saoudiens est que nous ne voulons pas que « notre peuple » – c’est-à-dire Hariri – participe à un gouvernement au Liban dominé par un « peuple iranien », c’est-à-dire le Hezbollah. Voilà le message. Mais même cela a échoué en raison de l’intervention des gouvernements occidentaux, y compris les États-Unis et la France. Le président français Macron a joué un rôle actif pour faire sortir Hariri du royaume et le ramener au Liban, où il est maintenant engagé à nouveau dans une forme de compromis, auquel les Saoudiens avaient voulu mettre fin. Cependant, la situation est très instable.

 

Alan Maass : Peux-tu tirer des conclusions générales sur le bilan de la révolution et de la contre-révolution, presque sept ans après le Printemps arabe ? Tu as déjà écrit qu’il fallait le comprendre comme un processus continu, non divisé en épisodes distincts. Pourrais-tu le développer ?

 

Gilbert Achcar : Il faut d’abord comprendre que ce qu’on a appelé le Printemps arabe ne se limitait pas aux questions de démocratie et de liberté, comme cela a été dit dans les médias. C’était une explosion sociale et économique beaucoup plus profonde, due à l’accumulation de griefs à caractère social. Des taux de chômage record, en particulier chez les jeunes, le bas niveau de vie, la pauvreté. Tout cela a culminé en 2011.

C’est pourquoi j’ai souligné que ce que j’appelle un processus révolutionnaire à long terme a commencé, un processus qui va charrier des troubles durant de très nombreuses années – on peut même dire, aujourd’hui, durant des décennies. Il n’y aura pas de nouvelle stabilisation dans cette partie du monde pendant une longue période, car la condition pour une stabilisation c’est dans un changement social et politique radical, qui mettrait la région sur la voie d’un développement économique et social très différent. Sans un changement aussi radical, l’instabilité du Moyen-Orient ne sera pas résolue.

Le problème du moment est que les forces progressistes, qui ont émergé lors des Printemps arabes, ont été marginalisées presque partout au cours des années post-2011. Depuis lors, la région a été déchirée entre deux forces réactionnaires. D’une part, il y a les régimes – ou leurs restes dans les pays où ils ont été renversés ou considérablement affaiblis. Et de l’autre côté, il y a les forces fondamentalistes islamiques – surtout les Frères musulmans parrainés par le Qatar et les salafistes inspirés de l’Arabie saoudite – qui ont surgi depuis les années 1970 et 1980 sur le cadavre d’une précédente vague de mobilisation de gauche, dans laquelle les partis nationalistes et communistes ont joué un rôle clé.

 

La réalité est que toute la région s’est déplacée depuis 2013 de la phase révolutionnaire précédente, le Printemps arabe, à une phase contre-révolutionnaire. Celle-ci est caractérisée par l’affrontement entre les deux forces contre-révolutionnaires – celle des régimes et celle de leurs rivaux islamistes fondamentalistes. C’est ce qui est à l’œuvre dans les guerres qui ont éclaté en Libye, en Syrie et au Yémen – en gros, vous trouvez ces ingrédients partout. Ils existaient dans la situation de tensions intenses en Égypte : la forme que cela a prise se concrétise dans le retour de l’ancien régime, avec un caractère de vengeance, entre autres en écrasant les Frères musulmans.

Nous sommes au milieu de cette phase contre-révolutionnaire. Mais en même temps, vous pouvez voir à partir d’un certain nombre d’indicateurs que les questions sociales explosent. Non seulement tous les facteurs sociaux et économiques qui ont conduit à l’explosion de 2011 sont toujours là, mais ils sont plus exacerbés. Cela conduira à d’autres explosions et à de nouvelles turbulences, c’est certain. Nous ne pouvons qu’espérer que le potentiel progressiste qui a émergé avec force en 2011 sera capable de se reconstituer et de s’organiser pour tenter de gagner le pouvoir. C’est ce qui manquait au Printemps arabe : des organisations qui incarnent ce potentiel, avec une stratégie claire de construction d’une alternative aux anciens régimes et à leurs adversaires fondamentalistes.

  • 1. Gilbert Achcar est professeur au SOAS (Université de Londres). Il a publié, en français, Le peuple veut (Sindbad-Actes Sud, Arles 2013), Marxisme, orientalisme et cosmopolitisme (Sindbad-Actes Sud, Arles 2015), les Arabes et la Shoah (Sindbad-Actes Sud, Arles 2009). Cet entretien a été publié d’abord sur le site web de l’hebdomadaire de l’International socialist organisation des États-Unis, Socialist Worker (https://socialistworker…) le 11 décembre 2017, puis traduit en français et publié le 15 décembre 2017 par la revue électronique suisse A l’Encontre : https://alencontre.org (traduction revue par Inprecor).