Publié le Dimanche 19 juin 2016 à 10h58.

Les capitalistes britanniques et la construction européenne

Dès 1949, Winston Churchill, dirigeant du Parti conservateur, à l’époque dans l’opposition, a été un des premiers à se déclarer en faveur des « États-Unis d’Europe ». Il soutenait l’unification et l’intégration de l’Europe... mais ajoutait que cela ne pouvait en aucune façon s’appliquer à la Grande-Bretagne à cause de l’Empire et de son « rôle sur la scène mondiale » en tant que grande puissance militaire et commerciale.

Dans les années 1960, le réveil sera rude. Souvent contraint et forcé, l’empire est abandonné et le déclin économique du pays devient de plus en plus évident, relatif à la croissance de l’Allemagne et à celle d’autres pays européens. Enfin, le fiasco de l’invasion franco-britannique du canal de Suez en 1956 et le « veto » des USA et de l’URSS mettront fin aux illusions que certains Britanniques avaient encore en leur rôle de super­puissance militaire.

L’adhésion à la CEE

La Grande-Bretagne se dépêche de demander l’adhésion à la CEE. Elle sera refusée deux fois, la deuxième par un veto de De Gaulle qui craignait (peut-être avec raison) que sa politique étrangère ne soit pas indépendante des USA. En 1973, l’adhésion est acceptée mais ce ne sera pas la fin des tensions, ni avec le reste de l’Europe ni au sein du Parti conservateur et du capital britannique.

Dans les premières années, les capitalistes britanniques pensent pouvoir compenser les paiements au budget de la CEE par une augmentation de leurs exportations. Mais la baisse continue de la compétitivité de l’industrie britannique et une augmentation de l’importation de marchandises européennes ne font que creuser le déficit.

Thatcherisme

En novembre 1979, quelques mois après son élection comme Premier ministre, Margaret Thatcher déclare au sommet européen de Dublin « I want my money back » (Je veux que l’on me rende mon argent)... Dans les sondages, 40 % de l’électorat britannique sont prêts à se retirer de l’Europe en l’absence d’un accord. C’est le début d’une longue période de crispation avec l’Europe.

Les années 1980 sont aussi le développement par Thatcher d’une politique néolibérale : moins d’État, moins de social, moins de « charges ». Elle s’oppose alors à tout ce qui s’apparente à une politique sociale, à des « contraintes » en matière de droits sociaux, etc.

Nettement moins pro-européen que son prédécesseur, Thatcher se tourne davantage vers son ami et co-promoteur du tournant néo­libéral, Ronald Reagan, réveillant ainsi la vielle division au sein du capital britannique entre ­européistes et atlantistes.

Pourquoi la division ?

Parmi les raisons de la division actuelle entre les « in » et les « out », il existe effectivement des intérêts divergents entre les capitalistes qui commercent ­davantage avec l’Europe et ceux qui sont davantage tournés au-delà de l’Atlantique vers les Amériques et au-delà vers l’Asie de l’Est et le marché global. Il y a aussi les grands patrons des médias qui sont peu liés à l’Europe et sont pour beaucoup d’entre eux pour le Brexit.

Néanmoins un sondage montre que les trois quarts des patrons des grandes entreprises britanniques, les grandes banques et la City de Londres, sont pour le « in » ainsi que les deux grandes confédérations patronales.

Comment expliquer alors qu’entre un tiers et la moitié des députés conservateurs, un quart des ministres et un tiers du cabinet sont pour le Brexit ? La principale raison s’appelle UKIP (« le parti pour l’indépendance du Royaume Uni »).

Pendant des décennies, en Grande-Bretagne, il a existé différents partis anti-européens mais qui n’ont jamais décollé. Aux dernières élections européennes, UKIP est arrivé premier avec 25 % des voix, et aux législatives, avec un système qui lui était très défavorable, il a obtenu 12 %. Avec l’éclatement de la crise en 2008, UKIP, avec un discours raciste contre les musulmanEs, les Roms, et les réfugiéEs, a su capter les voix de millions de personnes, profitant, comme ailleurs en Europe, d’une déception vis-à-vis de la politique social-libérale menée par la gauche.

L’original et la copie

Voyant que de plus en plus d’électeurs mais aussi de députés conservateurs se tournaient vers UKIP, Cameron a dû concéder la tenue d’un référendum. Il a beau chercher depuis à rivaliser en discours antimigrantEs et à négocier la réduction des droits des citoyenEs de l’UE qui arrivent en Grande-Bretagne, on en revient à l’histoire de l’original et de la copie, travaillé par un UKIP qui pousse à chaque fois un peu plus loin.

En tout cas, le Parti conservateur continuera sans doute à se déchirer, quel que soit le résultat du vote. Les pronostics sur les conséquences d’un Brexit et ce déchirement divise nos camarades britanniques. Un renforcement des forces réactionnaires dans le pays ou la possibilité pour la gauche de reprendre l’initiative ? L’avenir nous le dira.