“Le triste délitement de l’idée européenne », titrait le 10 mars le journal Le Monde en se désolant que selon un sondage récent, « Les Français veulent moins d’Europe. Une majorité d’entre eux se dit indifférente à l’idée européenne. Quand elle n’y est pas hostile. »Mais quoi d’étonnant, alors que les politiques pilotées depuis les institutions de l’Union européenne ne sont, de plus en plus clairement et ouvertement, que synonymes d’austérité pour les classes populaires, de destruction des services publics et des acquis sociaux. L’UE joue ainsi un double rôle particulièrement néfaste : non seulement elle sert aux capitalistes pour imposer les plans qui génèrent la pauvreté et la misère, mais elle déconsidère l’idée européenne elle-même, plus généralement les idéaux de solidarité entre les peuples, en favorisant le développement de sentiments et de courants nationalistes et xénophobes.C’est dans cette situation que « l’Europe » s’est invitée dans la campagne électorale et que l’on voit maintenant les candidats des deux partis qui, alternant au pouvoir depuis plus de trente ans, ont appliqué les mêmes politiques antisociales décidées au niveau français et européen, se livrer à une étonnante surenchère, purement démagogique.D’un côté, dans ce qui ne peut être compris que comme une posture, motivée par sa course aux électeurs du FN, Sarkozy, c’est-à-dire l’actuel co-directeur de l’UE avec sa collègue et amie, Mme Merkel, trouve le culot de s’en prendre à « l’Europe » dont il affirme, dans son discours de Villepinte, qu’elle « ne doit plus être une menace, elle doit être une protection ». Rien de bien surprenant, en revanche, sur le plan des propositions concrètes, typiquement réactionnaires, consistant à s’attaquer à la libre circulation des personnes, autrement dit aux travailleurs immigrés, et à préconiser quelques mesures protectionnistes censées profiter aux entreprises européennes.De l’autre, en s’abstenant au Parlement sur la ratification du MES (mécanisme européen de stabilité), sorte de nouveau FMI européen, le PS et Hollande affirment qu’ils demanderont une renégociation du pacte budgétaire signé le 1er mars par 25 chefs d’État et de gouvernement européens (le TSCG, « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire »). Il s’agirait selon eux d’y inclure des objectifs de « croissance », mais il est surtout notable qu’ils ne mettent nullement en cause ses dispositions imposant une extrême rigueur budgétaire et donnant aux institutions non élues de l’UE des pouvoirs discrétionnaires afin de sanctionner tout pays qui y dérogerait.Dégager Sarkozy et sa bande sera une mesure de salubrité publique, un soulagement pour toutes les victimes de leur politique, un encouragement aux luttes, à la résistance. Mais la lucidité impose d’avertir que sur le plan économique et social, Hollande et le PS ne mèneront pas une politique vraiment différente. L’austérité est leur perspective commune et cet accord sur l’essentiel s’exprime aujourd’hui autour de deux questions décisives, étroitement liées entre elles. La première est la défense des institutions et traités de l’Union européenne – y compris le MES et le TSCG que le PS dit vouloir amender mais ne rejette pas, tout comme il n’avait pas rejeté mais bien approuvé les plans européens qui ont saigné à blanc le peuple grec. Le second est l’objectif de « réduire l’endettement », en payant rubis sur l’ongle une dette publique illégitime puisque résultant des cadeaux fiscaux et autres, aux banques, aux grands groupes industriels et en général aux détenteurs de capitaux. Un objectif pleinement partagé par Bayrou et Le Pen, et auquel même le Front de Gauche ne s’oppose pas vraiment dans la mesure où il refuse de mettre en cause le paiement de la dette.Aider les salariés et la jeunesse à reprendre confiance, à regrouper leurs forces, à se préparer à résister au plan d’austérité qui interviendra au lendemain des élections quels qu’en soient les vainqueurs, implique de défendre dans le débat actuel une perspective radicalement différente, qui s’attaque résolument à l’économie de profit : pour la non-reconnaissance et le non-paiement de la dette publique, en France comme dans toute l’Europe, en utilisant les montants considérables qui seront ainsi dégagés afin de reconstruire les services publics et les protections sociales ; pour un processus constituant vers une Europe démocratique, des travailleurs et des peuples, en rompant avec les traités et institutions de l’Union européenne.
Jean-Philippe Divès