Entretien. Céline Lebrun-Shaath, 29 ans, réside et travaille au Caire depuis plusieurs années. Le 5 juillet dernier, son mari, Ramy Shaath, coordonnateur du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) en Égypte, a été arrêté par les forces de la Sûreté égyptienne. Il est, depuis, en prison. Céline a été quant à elle expulsée d’Égypte et mène, depuis la France, la campagne pour la libération de Ramy.
Peux-tu nous raconter ce qui s’est passé le 5 juillet ?
Les forces de la Sûreté de l’État sont entrées chez nous au milieu de la nuit et ont commencé à procéder à la fouille de l’appartement, à saisir les ordinateurs, les disques durs, etc., sans présenter de mandat, sans nous expliquer les tenants et les aboutissants de ce qui était en train de se passer. Je me suis opposée à ce qu’ils saisissent mes affaires personnelles, et c’est à ce moment-là, semble-t-il, qu’a été prise la décision de me déporter hors d’Égypte. Et c’est au moment de partir qu’il a été signifié à Ramy qu’il était arrêté et qu’il devait suivre les forces de la Sûreté.
Ont-ils invoqué des motifs pour cette arrestation ?
Au moment de l’arrestation, aucune explication, aucun motif. Pendant 36 heures, Ramy a disparu, on ne savait pas où il était. La famille a signalé sa disparition et c’est 36 heures plus tard qu’il est réapparu, devant le procureur de la Sûreté de l’État, sans avoir pu prévenir d’avocat, sans avoir pu prévenir personne. La chance qu’on a eue, c’est qu’un avocat se trouvait sur place, qui a pu nous prévenir et assister à l’interrogatoire qui a été mené par le procureur. Et c’est là qu’on a découvert que Ramy était accusé d’« assistance à un groupe terroriste », sans qu’il soit précisé lequel, et qu’il avait de plus été ajouté à une affaire qu’on appelle « affaire de l’Espoir », dans laquelle plusieurs défenseurs des droits humains, avocats, responsables politiques, avaient été arrêtés 10 jours auparavant, suite à la création d’une coalition baptisée l’Espoir, dans le but de préparer les prochaines élections parlementaires, ce qui n’a visiblement pas plu aux autorités égyptiennes. Donc Ramy, en plus de l’accusation d’« assistance à un groupe terroriste », a été ajouté à cette affaire, alors qu’il n’a rien à voir avec cette coalition, dont les activités sont par ailleurs parfaitement légitimes.
Quels liens ces accusations peuvent-elles avoir avec ses activités réelles ? Ce n’est pas un inconnu, c’est un militant, investi dans la vie publique…
Son arrestation, selon nous, est liée à ses activités politiques. Il suffit de regarder ce qu’il a fait dans les semaines qui ont précédé son arrestation et de se demander ce qui aurait pu provoquer cette décision. Et force est de constater que ce sont ses activités en défense des droits des Palestiniens, et notamment son opposition virulente aux nouvelles tentatives de normalisation des relations des pays arabes avec Israël, dans le cadre du « deal du siècle » de l’administration Trump, sur lesquelles il était très mobilisé dans les dernières semaines, entre autres au moment de la conférence de Manama [à Bahreïn, consacrée au prétendu « plan de paix économique de l’administration Trump], qui permettent de comprendre son arrestation.
Vous avez attendu plusieurs semaines avant de décider de lancer une campagne…
Sachant l’innocence de Ramy, on a espéré dans un premier temps qu’il pourrait y avoir une libération rapide, de la part du procureur de la Sûreté de l’État, face à un dossier complètement vide. Il y a eu ensuite des tentatives d’intervention du côté de la famille de Ramy et du côté de l’Autorité palestinienne, Ramy étant aussi citoyen palestinien. Il a été fait des promesses que Ramy serait libéré, ce qui nous a poussés à attendre un peu, jusqu’à ce qu’on fasse le constat que ces promesses n’avaient pas été, et ne seraient pas, tenues.
Vous avez donc décidé de lancer la campagne. Autour de quels mots d’ordre ?
Nous avons deux demandes principales. La première, la demande forte, c’est la libération immédiate et inconditionnelle de Ramy par les autorités égyptiennes. La seconde, c’est mon retour le plus rapide au Caire, pour être au côté de Ramy, étant donné que je résidais légalement depuis plusieurs années en Égypte, que j’y travaillais. L’Égypte est mon lieu de résidence et de travail, travail que j’ai perdu dans la foulée, il faut le dire.
Pour la campagne, tu es active, la famille de Ramy aussi, mais vous avez sollicité des associations, des ONG, des collectifs, etc.
Oui. Dans les jours qui ont suivi l’annonce publique de l’arrestation de Ramy, Amnesty International s’est engagé dans la campagne, ainsi que la FIDH [Fédération internationale des droits de l’homme], mais aussi d’autres ONG comme l’ACAT [Action des chrétiens pour l’abolition de la torture], le CIHRS [Cairo Institute for Human Rights Studies] et l’OMCT [Organisation mondiale contre la torture]. Ces ONG mènent la campagne avec nous, autour de ces deux demandes.
Vous interpellez donc les autorités égyptiennes. Vous adressez-vous aussi aux autorités françaises ?
Oui, il y a des démarches en cours auprès des autorités françaises, mais pour l’instant je ne peux pas en dire beaucoup plus…
J’imagine que vous avez des inquiétudes car on connaît la situation en Égypte, mais aussi un peu d’espoir, avec le lancement et le développement de la campagne. Que peut-on faire pour appuyer vos démarches ?
Disons que nous sommes dans un premier temps, d’information et de sensibilisation. La première chose à faire, c’est de suivre la page Facebook de la campagne [page « Free Ramy Shaath » : https ://www.facebook.com/FreeRam…], de parler du cas de Ramy en partageant les différentes publications et informations de la page. Les gens ne doivent pas non plus hésiter à contacter leur député pour évoquer le cas de Ramy, les interpeller pour leur demander qu’ils interpellent à leur tour les autorités, qu’ils interviennent auprès du ministère des Affaires étrangères. Mais pour l’instant, comme je le disais, on en est encore au stade de la sensibilisation, et on va voir comment évolue la situation avant de lancer un appel plus large à l’action.
Propos recueillis par Julien Salingue